A côté de L'Histoire Secrète du Foot Clan, l'autre sortie importante du retour des Tortues sous nos latitudes s'appelle La Guerre de Krang. Numéroté, ce tome sera ou serait le point de départ des publications Hi Comics liées aux personnages d'Eastman et Laird - coup double en définitive, puisque si l'un revient sur les origines du vil et malveillant Shredder, l'autre présente la première rencontre de ces nouvelles TMNT avec le Général Krang, le cerveau sadique qui nous manquait.
Dans la mini consacrée à l’ascension du ninja séculaire, ses pointes acérées et son goût pour le violet croisaient déjà ce qu'on pensait être un Krang, c'est à dire un Utrom, nom de l'espèce de ces diaboliques cervelets aux instincts de conquérants. Mais curieusement, l'histoire "officielle" des Tortues voit généralement le fandom se scinder en deux face à cette étrange créature. Qu'est ce que Krang ? Un cerveau, auquel le souvenir de vos années chocapic attache peut-être un doublage particulièrement créatif, dans un exosquelette à crête de punk à moitié nu et en lunettes 3D. Difficile de rationaliser ce personnage là, pensiez vous ? Et bien vous avez tort, quoique la porte ne soit ici qu'entrouverte.
Il avait été question dans le volume sur le Foot Clan d'une envie de prendre plus au sérieux la mythologie TMNT. Depuis un ancrage plus historique dans l'histoire des clans ninjas, avec les codes d'un cinéma de genre qui fonctionnait. Ici, il faut garder en tête un élément que le lectorat moderne n'a peut-être pas forcément en tête : les Tortues Ninjas, si elles sont d'enfer et dans la ville, ont toujours eu une composante spatiale, depuis leurs débuts.
Depuis la civilisation Triceraton, chère à Peter Laird, jusqu'aux sagas cosmiques de Ryan Brown et Steve Murphy, les chevaliers d'écaille ont par maintes fois quitté les égouts de New York pour explorer l'espace, dernière frontière de l'espèce humaine et de l'imagination de scénaristes inventifs. Ici, Krang est bel et bien le despote impérial que vous avez appris à connaître et à aimer pour d'autres motifs : un Thanos de substitution, imposant, fort, stratégique et cruel. Ce cerveau a un plan, et cette première rencontre quoique fortuite n'est que la première d'une longue série d'affrontements avec ses adversaires reptiliens.
C'est à peu près de cela dont il s'agit dans ce tome : pendant que l'enquête autour du fameux liquide mutagène progresse, une source d'April est enlevée par un lointain peuple alien humanoïde. Les Tortues sont malgré elles emportées dans leur fuite, et tombent nez à nez avec une rébellion (insignifiante ?), une guerre, et un cerveau tentaculaire dans un costume surarmé. Les héros prennent sur eux d'assister les rebelles, ce qui sera l'enjeu d'une série d'affrontements et d'aventures rythmés, un bon premier tome, qui a tout de même une bonne dose d'imperfections.
Premièrement, l'aspect graphique déçoit après le boulot irréprochable de Mateus Santolouco dans l'autre volume de la semaine. Les designs de Ben Bates sont assez peu inspirés sur le monde représenté : classique, cherchant ses origines dans une sorte d'hommage à Sonic ou à Zelda, dans une fantasy stellaire qui sert clairement de prétexte et fait l'objet de moins de recherches que la partie Utrom.
Les dialogues ont tendance à freiner un récit généralement bien rythmé, efficace, qui place son lot de jolis combats et de répliques marrantes, parfois hélas alourdies par l'envie de donner du corps à ces personnages de second plan. Mais, les Tortues sont bien écrites, bien incarnées, et le déroulé en arrière-plan des aventures du Foot sert de joli liant pour l'intrigue de long terme (qui s'annonce musclée).
Mais surtout, c'est encore une fois le sérieux avec lequel Kevin Eastman et Tom Waltz reprennent en main la cosmogonie Tortues Ninjas qui est réellement agréable. Puisqu'après tout, après avoir été sombre, bon enfant, à nouveau sombre, parodique dans certaines adaptations, carrément grasses ou grotesques dans d'autres, le compromis entre le petit et le grand public paraît complexe à trouver sur cette BD qui reste, après tout, l'histoire de quatre tortues mutantes qui cassent des ninjas et des robots entre deux pizzas hawaïennes.
Mais les deux volumes qui arrivent cette semaine confirmeront au nouveau que oui, on peut tout à fait prendre les Tortues Ninjas au sérieux dans le paysage moderne des comics de super-héros. Bien servie par un run qu'Hi Comics reprend en main (presque au début, si on tient compte des années de retard accumulées), cette itération prometteuse paraît presque moins délirante que certains volumes originaux - voire plus qualitatives graphiquement. Puisque si on peut se plaindre des dessins de Bates ici, comparativement à ce qui s'est fait avant ou se fera après, force est de le dire : le graphisme a toujours été le parent pauvre des comics TMNT, et si ici le niveau ne vole pas follement haut, le dynamisme général est largement suffisant pour accrocher.
En somme, un doublé intéressant cette semaine, avec (le) Shredder d'un côté et Krang de l'autre, les deux grands vilains classiques réintroduits au mythe pour les nouveaux entrants ou ceux qui aimeraient prendre la suite des volumes de Soleil. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si de nombreux organes de presse ont vanté le travail d'IDW sur le relaunch des Tortues opéré il y a quelques années, tant l'envie de bâtir un véritable nouvel univers autour de ces héros aura été fait avec soin. Ce qui est assez rarement le cas sur d'autres comics de licence, aussi on apprécie qu'à défaut d'être juste des sortes de célébrités que l'on rend au format séquentiel, les TMNT n'aient pas oublié d'être des comics avant d'être des héros de franchise.