A l'ombre de travaux mis dans la lumière par le poids que représentent les super-héros auprès du public d'hier et d'aujourd'hui, Frank Miller aura livré quelques oeuvres plus créatives. Peut-être plus iconoclastes, ou juste celles qui lui tenaient le plus à coeur. On en retrouve quelques unes chez Dark Horse, maison mère de Sin City et de l'autre chef d'oeuvre tardif de Miller, 300.
Enfant, Frank Miller découvre le film Les 300 Spartiates, une fresque épique de 1962 lancée à la grande époque des peplums. L'auteur y fait la rencontre, romancée, des guerriers de Sparte, descendants légendaires d'Héraclès selon l'une des versions de leur histoire. Les années passeront vite pour le jeune homme, qui découvre les comics jeune et se passionne pour un autre genre de héros. Encore que, comme aiment à le rappeler les analystes littéraires, les costumés sont eux-mêmes les héritiers des personnages grecs, de leur force supérieure à leur bravoure sans failles.
Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, les comics ont énormément changé. Alan Moore et Frank Miller, entre autres contemporains de l'école post-Bronze Age, ont ouvert la voie à de nouveaux entrants. Des lecteurs moins passionnés par les rebondissements usuels des comics de super-héros, qui trouvent dans l'oeuvre de ces auteurs plus exigeants des récits plus variés, plus riches, plus sombres.
DC Comics ne sait alors où ranger cette nouvelle école d'écriture et leur lectorat, passionné. Se crée des initiatives comme le format graphic novel, l'ouverture aux librairies, et à terme, un projet de classification des BD destinées à un public mature. L'apposition du sigle suggested for mature readers, qui accouchera ensuite de la création de Vertigo, sera vécu comme une véritable censure par Moore ou Miller. Chacun claque la porte, et Miller décide de poser ses valises et sa table à dessin chez Dark Horse pour le restant de la décennie.
300 retrace un épisode (furtif) des invasions perses : la Bataille des Thermopyles, avec de grands pans fictionnels en surplus. Le Dieu-Roi Xerxès, étouffé par un ego sans failles, laisse ses armées parcourir les frontières de l'orient jusqu'à avoir assemblé le plus vaste empire du monde. Une seule destination vers laquelle se tourner désormais : l'occident, la Grèce, seconde grande civilisation de l'époque tandis que Rome vient à peine de proclamer son statut de République.
Dans la version réécrite par Frank Miller, les Spartiates ne sont que 300. La bataille ne dure que trois jours, ils n'ont à leur côté qu'une poignée d'Arcadiens, doivent leur défaite au bossu Ephyaltes, et, bien sûr, ne battent pas en retraite. Une partie de tout cela est vraie, une partie est inventée, ou déformée par le poids du temps qui aura gommé certains faits.
Si Leonidas a bien tenu l'arrière-garde des Thermopyles avec trois-cent soldats, acceptant de mourir sur le champ de bataille, l'armée envoyée pour tenir le dédale était plus nombreuse, et loin d'être une initiative isolée. Si le Spartiate moque "l'amour des garçons" du peuple athénien dans le comics, c'est bien en association avec le général Themistocles que la bataille contre Xerxès s'est tenue. L'une aux portes chaudes, sur terre, l'autre sur la mer, et les Athéniens sans Spartiates conteront une légende moins mémorable.
Compte tenu du track record récent, difficile d'attendre de Frank Miller qu'il réponde pertinemment à sa propre légende. Pourtant, un vent d'espoir souffle sur le premier numéro de ce Xerxes, comme une envie, une passion retrouvée. A l'image du Bruce de Dark Knight III, l'auteur est vieux, incapacité par un corps qui n'a plus l'énergie de ses vingt ans, mais la volonté d'en découdre est toujours bien présente.
On retrouve sur la plage de Marathon les guerriers d'Athènes, avec Themistocles à leur tête. Le général est ici un vieux grigou, boudeur, bagarreur, loin du côté sombre ou impérial de Leonidas. Très vite, Miller apporte un contrepoint à son récit : si cette bataille est bien la soeur de celle tenue aux Thermopyles, les Spartiates ne sont pas les héros. Décrits comme des impuissants prétentieux par les athéniens, ces héros du passé changent avec le discours de l'auteur, qui glisse en filigrane une idée sur le pourquoi de ce combat.
Il n'est pas ici question de se battre pour la gloire ou de mourir pour l'honneur : ces soldats-là pensent qu'ils ont une chance honnête de victoire. Leur motivation est la démocratie, cette idée qui n'a évidemment pas le sens qu'on lui donne à l'époque que dans notre ère moderne (encore que). De même, les Perses y sont décrits comme des soldats, simples, eux aussi. La voix du scénariste les présente comme des hommes avec des familles et des foyers à défendre.
Ce renversement là est intéressant et valide la thèse d'un Miller assagi - si ce n'est sur le plan de la violence graphique, où l'auteur se permet des exagérations à la Elektra ou Sin City, grotesques sous son trait très fatigué.
Puisque, si le style est semblable, si on retrouve des postures, des codes, des ombres ou des contours séduisants, le dessin est généralement assez pauvre. Simpliste à l’extrême sur certaines scènes, il devient carrément grossier sur d'autres et désespérément vides, avec un soutien d'Alex Sinclair aux couleurs qui ne fonctionne qu'à moitié.
Les cases se sauvent par la rareté du format à l'italienne, ces personnages en file qui se rentrent dedans comme de jolies toiles allongées. Quelques effets sous-tendent le tout, dans les découpages et surtout les scènes de foules lorsqu'elles sont compartimentées. Derrière, Miller est pingre, ou bien juste devenu incapable d'égaler son talent de l'époque.
Puisque si 300 pourra déjà faire grogner les amoureux du style Daredevil ou Wolverine, la BD est follement généreuse. Sur les effets, les splash pages très nombreuses ou le placement des personnages, l'expérience graphique seule vaut la lecture de l'oeuvre. Ici, difficile de dire qu'on est aussi emballés - sans être forcément aussi mauvais que sur les back ups de DK3, Miller a du plomb dans l'aile, et son trait devient particulièrement criard quand ses cases prennent de l'espace.
Derrière, on pourra s'amuser de retrouver des références explicites au film - comme l'usage que Themistocles fait de son casque - et des dessins qui rappellent cette belle iconographie. L'ouverture de ce Xerxes reste une belle entrée en matière compte tenue des attentes toutes modérées que l'on peut placer sur l'auteur aujourd'hui : il prouve qu'il est encore capable d'un bon storytelling, d'un découpage travaillé et jouer le symbolisme épique à plein.
Comme sur 300, on s'attend d'ailleurs à ce que l'appareil mythique ne commence que dans la narration de long-terme - le simple titre de l'oeuvre commande de raconter les origines du Dieu-Roi, véritable attraction de l'exercice fictionnel. Problème, derrière toutes ces belles qualités, le numéro s'adresse essentiellement à cette catégorie de fans qui doit savoir quoi attendre de la légende chapeautée aujourd'hui.
Miller n'est simplement plus pertinent aux dessins en 2018 - voire encore avant. Peut-être entre les mains d'un encreur plus souple, d'une coloriste qui lui correspondait mieux, mais là où la nostalgie fonctionne à quelques endroits, on est surtout content que ce ne soit pas aussi catastrophique que ce que l'on pensait. C'est même parfois joli, mais loin de suivre les standards imposés par 300.
En résumé, si Xerxes est bien un événement de fait, le premier numéro est encore trop léger sur la symbolique de long-terme pour pouvoir tirer un constat autre que : Miller, peu à peu, revient bel et bien. Après Dark Knight III et avant son travail sur l'imprint Black Label ou le mythe Arthurien, l'auteur vient signer la vraie suite de l'un de ses meilleurs travaux, avec toute l'étendue de ses limites modernes en terme de redondance artistique et d'incapacité à égaler sa légende. Quelque part, vingt ans après, ce numéro peut cependant être vu comme une jolie madeleine de Proust pour les amoureux d'un auteur qui aura cessé de produire pendant trop longtemps - et à ce titre, être bon est le seul critère que l'on pouvait lui demander.
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Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, les comics ont énormément changé. Alan Moore et Frank Miller, entre autres contemporains de l'école post-Bronze Age, ont ouvert la voie à de nouveaux entrants. Des lecteurs moins passionnés par les rebondissements usuels des comics de super-héros, qui trouvent dans l'oeuvre de ces auteurs plus exigeants des récits plus variés, plus riches, plus sombres.
DC Comics ne sait alors où ranger cette nouvelle école d'écriture et leur lectorat, passionné. Se crée des initiatives comme le format graphic novel, l'ouverture aux librairies, et à terme, un projet de classification des BD destinées à un public mature. L'apposition du sigle suggested for mature readers, qui accouchera ensuite de la création de Vertigo, sera vécu comme une véritable censure par Moore ou Miller. Chacun claque la porte, et Miller décide de poser ses valises et sa table à dessin chez Dark Horse pour le restant de la décennie.