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Avengers : Infinity War, l'apothéose attendue ?

Avengers : Infinity War, l'apothéose attendue ?

ReviewCinéma
On a aimé• Dense, généreux
• Le grand vilain qui nous manquait
• Une fin qui fera vraiment débat
• Le savoir faire d'ILM
• L'apothéose de dix années de travail
On a moins aimé• Problèmes de rythme et de répétitions
• Se permet trop de facilités et de raccourcis
• A-t-on envie d'être dupes ?
Notre note

Le débat revient, comme à chaque sortie Marvel Studios. Immense par le poids de ses réussites (financières), la société de Kevin Feige suscite à chaque entrée une attention médiatique immense là où le consensus critique est souvent plus mitigé. D'une certaine façon, le MCU s'est octroyé cette aura d'immanquable dans le paysage culturel actuel, sans avoir pourtant jamais proposé ce que certains appelleront des chefs d'oeuvres, d'autres des grands moments de cinéma. S'il y a de bons ou de très bons films qui se terrent dans le vaste historique de la maison, on leur demande en général d'être surtout de bons divertissements.

Là où le public aura eu dix ans pour grandir et moduler ses attentes (sur Marvel ou sur l'ensemble des adaptation de comics au global), Avengers : Infinity War reste un événement. Pour le film, mais aussi ou surtout pour le projet. Une saga de dix-huit métrages censée mener à cette apothéose après avoir transformé Hollywood, fait mentir les experts qui parlaient de fatigue il y a déjà cinq ans, terrassé la concurrence et autres faits d'armes notables. En cela, l'arrivée de Thanos sur Terre est un firmament. Sur le plan cinématographique, il n'y aura pourtant pas eu tant de changements.

 

Énormément de choses se bousculent dans ce troisième métrage consacré aux Vengeurs, ou plutôt à cette moitié d'épisode. Coupé en deux films tournés en bout à bout, le combat des héros terrestres face au Titan Fou propose ici sa première partie. Celle-ci est dense, riche, de qualités comme de défauts mais surtout de personnages. De scènes, de couleurs, d'affrontements, d'éléments à détailler et décortiquer et une critique papier apparaît comme un espace plutôt compartimenté pour analyser ces cent cinquante-cinq minutes où, étonnamment, quelques risques sont pris.

Ce que tout le monde attendait y est, ce que beaucoup redoutaient aussi. L'évidence veut que l'on commence par l'attraction principale, un certain Thanos, attendu depuis six ans après le regard caméra et le sourire carnassier d'un cascadeur grimé en violet. Le temps que les néophytes comprennent qu'il ne s'agissait pas d'une annonce de crossover avec Hellboy, et le MCU avait son grand vilain. A l'ombre de méchants sacrificiels en somme, celui qui nous manquait. Pour de vrai.


Avengers : Infinity War est l'aventure de Thanos, le Titan Fou. Cet adversaire tout puissant structure le métrage, dans une série de rencontres - souvent répétitives - par lesquelles on apprend à le connaître, à le fréquenter. Chacune de ses apparitions alourdit le poids qu'ont choisi de lui donner les scénaristes, et aux habitués de Jim Starlin qui nous liraient peut-être, les motifs de sa présence sont assez loin de la version papier du personnage (encore que, Silver Surfer #35 est là pour nuancer le propos). Moins une copie carbone qu'une réinvention sur le modèle prôné par Marvel, celui du vilain dramatique, du personnage auquel on peut s'attacher. Les seuls adversaires qu'arrive à écrire correctement la Maison des Idées dans ses adaptations.

Porté par un Josh Brolin saisissant et le travail de capture d'ILM, cet adversaire des Vengeurs traverse le film comme un bourreau, comme la marche de l'inéluctable qui jure avec la légèreté de ton de certains films du MCU. La société joue gros sur son dictateur spatial, qui appuie une sorte de dramaturgie, un rôle de martyr inversé. Seul vecteur des enjeux, il occupe un temps d'écran considérable et profite de son propre arc scénaristique - de ce côté là, les Russo réussissent un joli tour de force même si cette monomanie pour Thanos fait passer le film par un nombre conséquent de redites et une structure où on voit les fils.

En résumé ? Une narration par étapes dans un grand film choral, chaque gemme représentant un checkpoint et un affrontement entre l'équipe des gentils et celle des méchants. Chacun des joyaux est en quelque sorte gardé par une petite faction, avec des points de ralliements sous forme de team-ups pour donner dans la démonstration visuelle. Efficace, divertissant, parfois rythmé et à d'autres moments non. La juxtaposition de l'arc de Thor et de celui de Cap' est à cet égard plutôt éloquent : l'un est très présent, très ancré et va chercher dans une partie de l'univers Marvel que l'on connaît moins, l'autre n'est pratiquement pas mis en lumière par le film qui se contente de le voir comme un point d'ancrage narratif autour desquels gravitent des héros à placer.


Un réel déséquilibre s'opère dans le comparo' des héros cloués au sol et des autres, avec l'imagerie space opera déployée et l'incapacité de donner à chacun un temps d'écran équivalent. Beaucoup seront donc présents pour de bêtes raisons de fanservice ou servir la dynamique des (nombreux) combats. On aurait aimé voir plus des civilisations spatiales évoquées, voire de l'armée et des lieutenants de Thanos, mais l'obsession du montage pour son anti-héros violacé pousse certains à l'ombre, d'autres vers la lumière. 

Et pourtant, le plaisir des retrouvailles est là. Le film sait où mettre ses effets, ses apparitions, ses deus ex machinas (il y en a, beaucoup) pour créer un peu d'ampleur autour de cette grande bagarre d'êtres surnaturels à l'échelle de puissance complètement aléatoire. Thanos passe quelques fois le quatrième mur, le film s'autorise l'habituel humour méta' des Marvel. Plus intéressant, les Russo arrivent à faire marcher ensemble ce grand appareillage de héros, un exercice glissant sur lequel nombre de fans exprimaient des inquiétudes justifiées. Les sarcasmes de Strange, l'anachronisme du Wakanda, la bonhommie naturelle de Banner, tout se répond assez bien dans une construction chorale qui porte bien son nom : des voix différentes, des tonalités variées, qui forment ensemble la mélodie du MCU cohérent, unifié.

A ce titre, le scénario va parfois chercher assez loin ses clins d'oeils et sa digestion des dix années passées, où dans le quatrième mur des vannes qui seront plus devenues des gimmicks d'interviews ou de hors champ. Comme si Marvel tenait à cet esprit de famille, son appareil promotionnel et la référence à ses propres défauts. Une impression mélancolique portée par ces personnages acculés, adossés à la désespérance de ne pouvoir vaincre pour une fois, et en même temps de tout l'esprit d'un film qui annonce bêtement et simplement le début de la fin. 

Puisque, et ce serait autant à mettre au banc des qualités que des défauts, Infinity War prend des risques sur une fin que l'on n'imaginait pas. La question sera moins d'ailleurs de savoir quoi en faire que d'apprécier ou non ce qu'elle tente de provoquer. La surprise, la stupeur. Une conclusion en forme de grand point d'interrogation qui aura à répondre de ses dires l'année prochaine, mais qui pour le moment reste le choix artistique le plus intelligent pour faire mentir toutes théories ou spéculations préalables, en faisant en plus parler du film à ceux qui seraient clients de ce genre de surprises. Ce n'est pas un hasard si Marvel a à ce point cultivé la politique du secret, mais il est là-encore difficile de développer.


C'est en revanche du côté de la mise en scène que l'on recoupe avec l'ultra-classicisme de Marvel. Dans les habituels décors de Pinewood, le film se sent étriqué dès qu'il s'éloigne de ses fonds vers à perte de vue, de ses superbes plans panoramiques dans des contrées de synthèse qui n'existent que pour le spectateur et le département effets spéciaux. Et, par endroits, par bien des endroits, si les Russo cherchent une caméra plus proche des visages pour capturer l'émotion permanente d'urgence et de doute, la mise en scène reste relativement bateau.

On se demande d'ailleurs s'il faut encore mettre cet élément dans les cases à cocher des productions Marvel Studios. La plupart des prouesses visuelles de ces films sont généralement à retrouver dans les différentes façons qu'ils trouvent pour filmer l'action, souvent dynamique, parfois inventive, généralement séduisante dès lors que le budget est conséquent du côté d'ILM. Ici, c'était annoncé et le contrat est rempli : les combats sont généralement très beaux à suivre en dehors de quelques hésitations pendant le premier acte. Sur l'inventivité, on a clairement abandonné l'idée de faire réaliste dans le MCU (hey, on parle de comics) et on se permet désormais à peu près ce que l'on veut - quitte à contredire certains films précédents. Il en ressort de jolies bagarres, de jolies mandales, de jolis canons qui tirent de jolis lasers, et à l'exception de quelques fonds verts qui laissent à désirer, la partie action reste généreuse et dense, elle-aussi.

On profite tout de même de quelques jeux, de quelques scènes plus ésotériques, de quelques idées du côté du sound design qui font leur effet. L'ensemble reste un divertissement impressionnant qui se donne les moyens de ses ambitions, parvenant comme l'écriture à rassembler les différentes esthétiques des héros dans un tout cohérent. Sans être du pur cosmique à la Marvel non plus, on reste plus proche d'une idée simplifiée que de délires visuels à la StarlinDitko ou Kirby.

 

Le principal problème d'Avengers : Infinity War tient en fait à un fait simple : il est Avengers : Infinity War. Là où la presse outre-Atlantique va répéter à bâtons rompus qu'il s'agit de l'énième meilleur film de super-héros de tous les temps, certains fans pourraient prendre au premier degré la locution. Il s'agit peut-être du plus Marvel des Marvel Studios, cette idée de crossover estival qui remet les choses à plat. Plus Brian M. Bendis que Jonathan Hickman, cherchant un relaunch proche comme un arc d'ampleur avant la remise à zéro. Reposant énormément sur les épaules colossales de Thanos, dans ce monde imaginaire devenu par la force des choses l'une des franchises les plus puissantes du cinéma moderne. 

Dans l'intervalle de spectateurs qui auront eu dix ans pour attendre plus gros, le relativisme absolu ne fonctionne pas, et l'objet en face duquel on se retrouve est honnête : exposer, divertir, regarder en arrière et préparer le terrain pour demain. Un véritable blockbuster en forme de feu d'artifice, et une première partie qui se révèle d'autant plus frustrante que l'on a pas forcément envie d'avaler ce qu'elle nous foure dans la bouche. Derrière, Marvel tient peut-être enfin la réponse au premier Avengers de Joss Whedon, cette première fois où un monde de six héros lancés dans un pari fou s'étaient rassemblés pour protéger la Terre d'un envahisseur extérieur.

Infinity War fait la même chose, avec plus de héros, plus de moyens, plus de combats. Les routines restent inchangées, elles auront seulement pris de la bouteille pour appuyer leurs effets et mieux gommer leurs tricheries, trouver un peu d'âme et de passion chez ces réalisateurs/faiseurs qui croient en leur exercice et déploient dans Thanos de vrais accents de sincérité et le supplément d'âme qui échappe à certains leurs prédecesseurs. Un film qui porte haut les couleurs de Marvel Studios et de cette tradition instaurée avec Iron Man de rendez-vous sérialisé pour le public, qui s'est attaché aux visages de ses héros comme à ces codes de narration parfois balourds mais vers lesquels on revient.

A une nuance près : le troisième film des Vengeurs a un goût de tout pour le tout qui le rend plus intéressant. Pas forcément mieux écrit mais fait avec assez d'énergie pour qu'on puisse s'en souvenir. C'était probablement l'idée même de Thanos : fabriquer un vilain qui mérite qu'on l'attende pendant six ans, un adversaire loin des Obadiah et des Ronan, dont on puisse se souvenir et porter en exemple de ces grands méchants dont le cinéma de super-héros a parfois le secret. Pour le reste ? D'énormes combats, des enjeux bigger et badder, et une école entière de production qui se réitère pour boucler le cycle. Un vrai bon divertissement, qui donne beaucoup et vaut qu'on l'apprécie.

 

Avengers : Infinity War arrive dans cette année de cinéma comme le mastodonte façonné par Disney, Marvel Studios et son président historique. Un premier au revoir avant un adieu, une page à demi-tournée qui amalgame dix ans de travail, de personnages et d'une philosophie compilée dans un grand film choral avec autant de plaisirs que de plaisirs coupables. Un bon vilain, de jolis combats, et une formule qui continue de faire ce qu'elle fait de mieux comme de moins bien. Personne n'attendait une révolution avec ce projet, mais l'ensemble s'en tire mieux qu'Age of Ultron et touche parfois les sommets de fan service réussi qu'on en attendait. Tout le monde ne sera pas client, encore moins si la seconde partie du dyptique ne tient pas, par la suite, ses promesses - d'une autre envergure cette fois, et on aura à coeur d'être plus critique si le dernier chapitre reste à cette échelle.

Corentin
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