Avec le relaunch encore assez jeune de Valiant Comics de 2012, apporté il y a deux bonnes années en France par l'éditeur Bliss Comics, les lecteurs ont pu se familiariser avec ce qui constitue le troisième plus grand univers super-héroïque de l'industrie du comic book. Et notamment l'un de ses personnages les plus emblématiques, X-O Manowar. Après trois imposantes intégrale comprenant l'intégralité du run de Robert Venditti, c'est une toute nouvelle mouture qui s'offre à nous aujourd'hui. Et pour ce relaunch, on peut dire que Valiant n'y va pas de main morte en attribuant aux commandes l'un de ses meilleurs architectes : Matt Kindt.
Le scénariste déjà passé sur Ninjak, la trilogie Divinity, Rai ou encore Unity, s'attaque donc à ce personnage fondamental. Et se permet une rupture brutale avec la précédente série, afin de se démarquer tout en offrant au nouvel arrivant la meilleure porte d'entrée possible. Oublions donc les péripéties d'Aric de Dacie et de son armure exceptionnelle, Shanhara, puisque le personnage est parti loin de sa Terre natale. On le retrouve sur la planète Gorin, où le brave homme essaie de mener une vie tranquille, en compagnie de sa compagne autochtone Shon, loin de la violence qui l'a poursuivie tout du long sur Terre. Mais à chercher la tranquillité, les problèmes ne sont jamais loin.
Plusieurs choses à noter dans la proposition de Matt Kindt. En premier lieu, ce détachement de tout contexte terrestre est l'occasion idéale pour partir sur de nouvelles bases. L'autour développe son propre univers sans la moindre contrainte, et imagine une planète régie par trois grandes peuplades embarquées dans une guerre sans fin. Le lore est vaste et permet de ramener X-O Manowar à ses racines : celles d'un guerrier habitué à la guerre et la violence, à la fois combattant et stratège. Un retour à la source qui profite de ce mariage avec un cadre nouveau pour imaginer une grande quête mêlant science-fiction et épopée épique. Le tout se mariant également visuellement, avec des factions armées qui allient à des technologies futuristes une apparence qui renvoie aux affrontements armés telles que l'Histoire les a connus.
Le second point, c'est que si Kindt opère un relaunch pour le personnage, il ne fait pas abstraction du passé de ce dernier, et tout le poids des aventures sous Venditti est pris en compte. On oublie donc cet Aric arrogant et impulsif pour un homme bien plus mûr, qui porte (littéralement) les cicatrices et le poids de la violence sur lui. Son rapport à l'armure X-O Manowar est également partie intégrante du récit, lui qui en a besoin pour surmonter les tâches qui lui sont données, alors qu'il répugne à l'utiliser. Un rapport conflictuel qui renvoie au difficultés internes d'Aric à faire face à sa nature et l'accepter, et qui permet également à Kindt d'élever son personnage petit à petit. Le titre de l'album est assez révélateur sur la trame que le scénariste veut développer, et l'on sent à la lecture qu'il s'agit ici d'une intrigue de long terme. A cet égard, le fait de ne voir que peu développées certaines questions évidentes (pourquoi Aric a-t-il quitté la Terre ?, par exemple) entraînera un peu de frustration.
Enfin, on appréciera la richesse du propos opéré par Kindt. On assimile à tort l'idée que X-O Manowar est un titre bourrin, et si la violence et la guerre font en effet rage tout au long de ce périple, on sent l'auteur également appuyer quelques positions politiques. Dans la réflexion de cet Aric plus mûr, plus lucide sur sa condition de guerrier et sur le fait qu'aucun camp n'est tout blanc ou tout noir. Entre trahisons, amitiés factices et la relativité des "pertes acceptables" pour un camp comme pour l'autre se dresse aussi au loin, une autre menace, qui amène un côté plus stellaire. Ce qui nous mène à se dire que la suite s'annonce plus cosmique, et participe à cette montée crescendo tout au long de la lecture.
Et là où ce nouveau X-O Manowar fait aussi très fort, c'est dans sa composition artistique, assurée par les deux poids lourds que sont Tomàs Giorello et Doug Braithwaite. Habitué des univers de fantasy et de science-fiction, Giorello compose avec Kindt une planète visuellement très riche, qui marie comme évoqué précédemment des éléments futuristes avec d'autres bien plus dans la veine guerrière "ancienne". Aux armes et factions incongrues se mêlent un bestiaire parfois surprenant, quelques idées qui sentent bon l'organo-mécanique à la Giger, alors que les trois principales factions de Gorin permettent d'aller chercher du côté d'un Star Wars ou d'un Mad Max - en somme, que du bon goût.
A cette recherche et la composition d'un univers varié et très rapidement prenant, il faut compter sur le trait des deux artistes, qui donnent de leur meilleur sur les six numéros qui composent ce tome. Les deux, à leur façon, retranscrivent de façon intense ce que vit Aric. Tantôt proche de son personnage, tantôt vertigineux et écrasant par une impression de gigantisme, le dessin nous emmène à la fois en pleines batailles tout en faisant découvrir un monde jusqu'alors inconnu. Le trait de Giorello profite d'un encrage plus marqué que celui de Braithwaite, mais les deux artistes profitent tous deux du travail de Diego Rodriguez pour ce qui concerne la colorisation. On a donc une sensation unie tout du long, les couleurs profitant d'un rendu "mat" particulièrement à propos avec l'âpreté des aventures vécues.
Faut-il s'étendre plus ? Le X-O Manowar de Venditti était bon, celui de Matt Kindt est une réussite. L'auteur sait utiliser à merveille l'opportunité du relaunch pour faire évoluer son personnage dans un nouvel environnement, riche aux multiples possibilité, tout en conservant ce qui fait l'essence de son personnage. De quoi attirer les faveurs du nouveau lectorat sans perdre les "anciens''. Malgré quelques questions qui restent en suspend, difficile de ne pas accrocher à cette approche de X-O, bien que l'armure complète se fasse désirer. Le tome profite en outre d'une patte graphique incontournable pour ce croisement d'épopée guerrière et de science-fiction, avec en outre un excellent travail de Bliss sur les bonus : interviews des créatifs et de l'équipe éditoriale, recherches de designs, planches et autres couvertures s'offrent comme l'appéritif après un très bon repas. Si vous ne l'aviez pas compris, il s'agit bien d'un coup de coeur et d'un incontournable pour qui veut se lancer dans l'univers Valiant.
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