Il n'est plus si évident de choisir quels événements seront réellement importants dans l'avenir. Cela fait quelques années maintenant que Marvel accélère ses arcs, ses crossovers et ses mini-séries importantes, des gamechangers qui peinent généralement à tenir leurs promesses et dont le but reste avant tout économique - il y aurait des millions de signes à écrire sur cette partie du comics moderne chez les majors, qui accompagne le rythme frénétique des relaunchs pour tromper les chiffres et l'éventuelle lassitude du lecteur.
Original Sin, Secret Empire, Marvel Legacy et encore récemment Infinity Countdown ou No Surrender en parallèle : des morts, des résurrections, des changements de camp, des retcons et des renversements, en pagaille, partout et tout le temps. La promesse de Marvel Legacy en particulier était pourtant toute autre : arrêter, justement, cette inflation dans le rythme et l'éternel grossissement des enjeux, pour revenir à un éditorial plus sélectif et plus long-termiste. Ce que, en un sens, le style et le sous-entendu narratif de Mark Waid et de Voyager sous-entendaient.
L'éditeur n'a (pour une fois) pas attendu le sept-centième numéro pour revenir au numéro #1, et a même fait les choses proprement puisqu'après lui avoir confié l'écriture de Legacy, Jason Aaron vient prendre les rênes de la série la plus épaisse du Marvel moderne. Celle dont le travail devrait justement être de remettre un peu d'ordre dans cet enchaînement racoleur à laquelle on a droit depuis quelques années. Et pour commencer, reformer les Vengeurs au moment où la Terre en a besoin.
Le numéro s'ouvre ainsi sur ce qu'Aaron n'avait pas eu le temps de développer la dernière fois : il y a un million d'années, une première mouture de surhommes issus de différents panthéons s'assemblait pour affronter les premiers Celestials. Difficile de savoir où situer la création des Eternals ou des Deviants dans cette grande réécriture de l'histoire terrestre, cela étant l'idée avait d'emblée de la valeur et on regrettait à leur première apparition de ne pas voir les héros plus longtemps.
Aaron va ici vers ce qu'il sait faire, une méthode qu'il applique depuis son Thor : God of Thunder ou même Scalped ou Southern Basterds pour ouvrir les comparaisons : la narration sur plusieurs périodes, en parallèle. Une technique qui a fait ses preuves et qui peut se révéler assez facile selon comment on l'utilise, mais le scénariste n'a jusqu'ici jamais déçu dans son emploi, on aurait donc envie de lui faire confiance malgré un numéro plutôt simple dans son exécution. Le scénariste n'espère pas densifier la mythologie Marvel avec ses proto-Avengers, ou en tout cas, pas pour le moment. Ils sont un témoignage du passé, ni plus ni moins, et on aurait tort d'essayer de trier la cohérence temporelle ou l'ancrage recherché par le scénariste. En allant plus loin, on pourrait même se demander s'il n'a pas simplement récupéré son principe de The Goddamned, filtré avec les conventions mainstream d'usage.
Le résultat est un début d'arc efficace, une promesse de mystère à résoudre et de fédération générale autour des héros Marvel dans le but simple de reformer les Avengers. Principalement axés ici sur trois figures (connues), Tony, Steve et Thor. Des dialogues qui passent plusieurs fois le quatrième mur servent à rappeler aux nouveaux entrants ce qu'ils auraient pu manquer, mais surtout à faire le tri dans un grand bordel de plot twists qui paraîtrait absurde si on essayait de le cacher.
Mais même en étant ouvert, on a du mal à sauter au plafond à l'ouverture de ce Fresh Start. Soit parce qu'Aaron et McGuinness jouent la sécurité, soit parce qu'on a déjà un peu trop vu ce retour au classique dernièrement pour encore s'émerveiller de cette nostalgie, de ces petites références et de ces effets déjà vus. En un sens, l'écriture de Mark Waid avait une qualité plus englobante qui maniait ses menaces sur un plan beaucoup plus horizontal, entre plus de héros et avec plus de conséquences, que cette attaque qui sent (aussi) l'envie de coller à ce que Marvel sera devenu après Marvel Studios.
On peut se demander à quel point l'exercice est conscient ou inconscient vu comment le cinéma a, à mots couverts, influencé les politiques éditoriales depuis une dizaine d'années. Difficile aussi de savoir si le trait n'est pas un peu forcé pour rendre la lecture perméable à de nouveaux lecteurs (après tout, c'est un numéro #1), mais le choix des personnages ou certains dialogues - ceux de Thor en particulier, et sous la plume d'Aaron en particulier - respirent d'une certaine intention qui n'est pas forcément celle du scénariste. Plutôt celle d'un éditeur qui cherche à rassembler, et on aurait tort de lui en vouloir. La série Avengers, plus qu'aucune autre, ne pouvait échapper à un sentiment de dépersonnalisation vu l'importance que la franchise revêt aujourd'hui.
On se retrouve donc en face d'un début d'arc à moitié prometteur, à moitié inquiétant pour ceux qui espéraient réellement du Fresh Start quelque chose de nouveau. Là où il est bien sûr trop tôt pour tirer la conclusion de tout un relaunch, ce-dernier avait jusqu'ici l'air d'un grand mercato où l'auteur de telle série en prenait une autre, et inverse. Pas de grandes annonces, pas de grand plan éditorial sur plusieurs années, on avance à vue avec l'envie d'assainir le foutoir laissé par Axel Alonso, et ce premier numéro est à l'image d'une remise dans le rang. Cadré, classique, plutôt intrigant sur ce qu'il a envie d'amener de neuf (les vieux Vengeurs, les Celestials d'un Marvel Universe à l'historique différente et pourquoi pas She-Hulk, parce que c'est le meilleur personnage de la vie). McGuiness déçoit à son niveau en n'osant pas davantage, à moins qu'il ne s'agisse d'un encrage un peu trop grossier.
Avengers #1 est bel et bien la suite de Marvel Legacy. On va mettre de côté l'idée que tout ça est un nouveau départ, puisque malgré les propos marketings de Cebulski (qui s'adressent sans doute plus aux actionnaires et à ses supérieurs directs qu'à nous), c'est plus dans l'éditorial que se terre l'intention et moins dans le narratif. Ce numéro n'est rien d'autre que la continuation d'une logique de retour au classique qu'on aurait envie de célébrer, si on avait pas un peu trop l'habitude que cette envie ne dure que six mois/un an avant que les impératifs économiques ne poussent encore le cycle vers la nouveauté. Un éternel va et viens qui dure depuis bien avant notre naissance (ou juste la mienne, dites nous), mais qui devient grossier quand la série aurait - réellement - simplement pu changer d'équipe créative sans besoin de créer un tel événement. Probablement un bon arc en devenir, mais le kickstart d'un relaunch excitant ? Probablement pas.