On l'avait perdu de vue - volontairement - mais le revoilà. Cela fait maintenant de nombreux mois que Venom et son petit univers font leur bonhomme de chemin à l'ombre des grands plans d'ensemble de Marvel, sans gêner personne et surtout sans faire de vagues. Le personnage est devenu l'équivalent papier de Gotham : personne ne regarde, tout le monde s'en fout, mais ça continue quand même, inexplicablement. Dans les deux cas, tout est permis et on se fout un peu de la cohérence d'ensemble. On aurait même envie de dire que l'attrait principal des deux est devenu au fil du temps cette immense porte ouverte vers une zumba sans limites, et à cet égard, sans surprise, Venomized ne déçoit pas.
La mini-série est une nouvelle fois l'oeuvre de Cullen Bunn, qui s'est calé sur le braquet "Lobo" de sa palette de styles à chacune de ses prestations sur les Spider-séries. En résumé, l'arc consiste à appliquer son principal ajout à la mythologie symbiotique, les Poison, à une très grande échelle. Il s'agit en effet de la Terre entière, ni plus ni moins. Une Secret Invasion de répliques sans grandes personnalités d'autres vilains (parce que c'est plus facile et moins fatigant), dont le plan machiavélique consiste à "venomizer" les héros de la Terre pour les ingérer et récupérer leurs pouvoirs. Vous conviendrez que c'est diabolique.
Tout l'arc va donc reposer sur le principe ludique, mais un peu concon, de mettre le symbiote sur tous les héros de Marvel, histoire de dire "hé, c'est marrant ils ressemblent tous à Venom un peu, haha. C'est marrant." et de broder une histoire autour en faisant fi de toute forme de calage temporel puisque la série mobilise tant de héros qu'elle est en fait assez difficile à placer. A vrai dire peu importe, on aurait du mal à dire que l'équipe créative elle-même prend son concept au sérieux.
Puisque, arrive rapidement un grand plaisir fanservice de voir des héros en costume de Venom se marave avec des héros en costume de Poison - parce que la vie, c'est simple, finalement. Bunn ne réutilise pas son principe de Venom Inc. où recevoir un symbiote faisait automatiquement du héros un vilain (quelque part, tant mieux), ni le fait que les symbiotes amènent généralement de nouvelles capacités à leurs porteurs. En fait, on ne sait plus exactement ce qui est ou n'est pas canon chez ces créatures : ici, ce sont juste des costumes de power up (léger) ou bien une sorte de métaphore intrigante sur la maltraitance animale - on ne sait pas.
Assez festif, l'arc propose pas mal de rebondissements, pas mal de combats et mobilise énormément de personnages quitte à aller les chercher loin. L'ensemble reste plutôt fun si on a envie de le prendre au second degré, quand on voit par exemple Venom se transformer en prêcheur écologiste qui pourrait lancer le slogan "symbiote lives matter" : il nous rappelle que ces créatures sont aussi des êtres vivants, innocentes, pacifistes, qui ne demanderaient qu'à courir dans les champs de la liberté en sentant le vent ébouriffer leurs cheveux et la rosée des prairies humecter leurs pattes visqueuses. Fascinant renversement pour ce qui était il y a moins d'un an une parabole sur la drogue, l'addiction, la schizophrénie voire la maladie infectieuse. Et si nous ne les avions simplement jamais compris ?
L'arc profite de quelques jolis numéros, le trait d'Iban Coello reste dynamique et suffisamment léger pour ne pas rendre autre chose qu'un festival d'idées étranges qui se prend à la légère. Il y a en revanche matière à être franchement déçu de certains designs résultant de la fusion entre les héros et les symbiotes - c'est le gimmick principal, et pourtant la plupart sont extrêmement convenus. Le problème étant que les Poison eux mêmes sont une race plutôt pauvre artistiquement, seulement représentée par ces sortes de mâchoires et de regards carnassiers à la Joe Madureira. Le symbiote de base reste une plus belle invention et qui ne va pas au bout de sa promesse ici.
En dehors de ça, quelques rebondissements, un ensemble plutôt inconséquent à l'exception des portes ouvertes pour la suite. Difficile de savoir dans quel état Donny Cates récupérera Venom ou s'il choisira de réutiliser les idées déployées dans cette année curieuse que Marvel aura concocté pour les trente ans du personnage. En attendant, lui et son univers seront devenus en quelques mois un immense délire assez fascinant, qui témoigne de comment un personnage peut partir en vrille quand l'éditeur en poste ne fait pas son boulot (j'ai noté le nom du gars, il s'appelle Devin Lewis et je pense qu'on est sur un gros cas d'emploi fictif) et de pourquoi on a parfois tort de vouloir que certains héros grossissent plus qu'ils ne devraient.
C'est d'ailleurs assez amusant de se dire que Venom reste un personnage populaire malgré tout. Vraisemblablement, pour son design, son côté jumeau maléfique, les bons arcs qui ont été écrits à son sujet - et la proximité du film, bien évidemment. En réalité, on n'aurait sans doute pas dû oublier que le personnage est avant tout une métaphore sur la dépendance. Sa popularité l'a éloigné de la dualité anti-héroïque qui le rendait cool à une époque, faisant de lui aujourd'hui une simple porte vers tout un tas de concepts curieux, appliqués sans aucune retenue au point qu'on s'attendrait presque à voir un Venom-Galactus ou un Venom-Watcher le mois prochain, juste pour la déconne. Heureusement, le relaunch devrait sauver les meubles avant que le personnage ne termine comme la licence Marvel Zombies - auto-détruire à force de se mordre la queue.