Peut-on seulement ne pas en parler ? L'arrivée de Brian Bendis chez DC Comics est un petit séisme dans une petite industrie, un mouvement de troupes dans un grand conflit qui oppose les deux mêmes acteurs depuis plus de cinquante années. L'architecte phare des séries Marvel quitte son poste pour aller vers la concurrence, qui lui prépare un projet rien qu'à lui en empruntant le titre d'une mini légendaire de John Byrne et avec son héros le plus symbolique, le plus super-héroïque. Ivan Reis aux dessins, une prise de pouvoirs dans l'événementiel Action Comics #1000, l'anniversaire de Superman en sus, une jolie pièce montée et une coupe de champagne pour accueillir Bendis - et en définitive, on s'est peut-être un peu emballés.
Man of Steel #1 n'est pas un mauvais numéro, mais il se perche assez bas sur l'échelle des attentes que les fans pouvaient (légitimement) cultiver devant le côté événementiel de la chose. Y compris sur le dessin, ce qui est un peu moins pardonnable. Tout est là, on retrouve le Bendis, on retrouve un Superman classique, mais l'ensemble a comme un goût d'introduction timide pour un scénariste qui cherche ses marques en essayant de ne brusquer personne. Pas forcément sa méthode de coeur, et pas forcément le résultat le plus encourageant.
Bendis applique la recette de la prise de fonction traditionnelle sur Superman, une méthode qui nous rappellerait le travail de Scott Snyder sur les débuts de Unchained à l'époque. Et à l'époque, d'ailleurs, beaucoup s'étaient aussi emballés en amont du résultat. Un vilain qui remonte aux origines kryptoniennes du héros, un replacement dans sa vie civile qui passe par le symbole et un peu d'introspection, quelques tics d'écriture pour affirmer le style et un numéro bien poli, bien tranquille qui ne cherche pas à renverser quoi que ce soit.
Superman profite (un peu) du style de Bendis, ce grand désacralisateur qui déteste les mythes et aime les humains. Les dialogues décomplexés, mitraillettes, où se posent quelques clins d'oeils et quelques sourires en coin. Mais le numéro est très aride sur ce plan là également : à peine a-t-on le temps d'apprécier le scénariste prendre en main ce nouveau jouet pour le faire communiquer et échanger quelques répliques complices que le numéro est déjà terminé sur un cliffhanger surprenant de facilité. Au sens où cet élément de l'intrigue censé nous faire revenir le mois prochain est, littéralement, laissé en blanc.
Tout tient debout, on peut faire assez peu de reproches formels à l'écriture et manifestement, Bendis trouve ses appuis dans l'aspect le plus simple de Clark Kent comme de Superman : c'est un héros. Il sauve les gens, arrête les méchants, travaille au Daily Planet et mène sa petite vie de famille que les événements post-Convergence ont amenés dans son paysage, et le scénariste s’accommode de tout ça pour définir un nouveau quotidien. On retrouve un sentiment de classicisme absolu dans ces quelques pages, comme si tout avait toujours été ainsi, comme si on prenait Superman depuis le début, comme si rien n'avait précédé Bendis et que le début de cette intrigue était véritablement le premier pas d'un renouveau qui remettait les choses à plat.
C'est là qu'on sent un certain respect du scénariste envers le héros qu'il aborde sans chercher encore à se l'approprier - il prend son temps. En replaçant Superman dans ce qu'il connaît de lui par simple expérience de lecteur, probablement, et en commençant déjà à poser de nouvelles têtes, ce qui promet un développement dans la longueur. Problème, pour un lecteur habitué, cette entrée donne un effet de retour en arrière après les avancées des runs de Jurgens et Tomasi sur Superman et Action Comics, mais plus problématique encore : tout ça paraît très banal. Très commun. Du déjà vu, de l'énorme déjà vu et si on peut faire confiance à Bendis sur la longueur, on ne peut simplement pas exploser de joie ou vendre un indispensable après cette première lecture.
Et tout ça serait encore moins grave si Ivan Reis ne donnait pas l'impression d'être sur son strict minimum dans ces premières pages. Est-ce qu'il s'accorde avec l'encrage de Joe Prado ? Est-ce que les deux artistes ont eu le temps de travailler ensemble ? Ou bien est-ce la colo', là-encore ultra classique d'Alex Sinclair qui donne cet effet de grande banalité ? Le numéro est loin d'égaler le travail de Reis dans ses temps forts (tout le monde se souvient des débuts d'Aquaman il y a quelques années), à l'exception, évidemment, des deux jolies double splash pages.
Le passage de Fabok est de son côté extrêmement bref, et malgré la présence de ces deux noms très talentueux aux dessins des planches intérieures, la série n'est pour le moment pas non plus immanquable du côté des dessins. Mention spéciale au design du vilain - il doit sans doute y avoir une explication à la difficulté qu'ont les artistes modernes pour créer de nouveaux méchants iconiques chez Superman. Si vous la connaissez, une hotline sera bientôt mise en place, parce qu'on aimerait vraiment savoir nous aussi.
En résumé, ce Man of Steel #1 est loin d'être une mauvaise lecture, mais on ne sait vraiment pas si c'en est une bonne pour autant. A quelques moments, on retrouve des accents de Brian Bendis dans les dialogues, dans les références, et on se dit que le scénariste aurait beaucoup à faire pour poursuivre le travail de Tomasi sur la normalisation de Superman. Là où le papa-scénariste avait créé une jolie dynamique familiale autour des Kent, Bendis pourrait lui rendre une vie civile accrocheuse, et même pourquoi pas un goût pour le polar ou l'enquête (après tout, Clark est journaliste). Mais, parce qu'il n'est pas pressé ou parce qu'il n'a pas envie de brusquer le lectorat DC avec ses habitudes à lui, peut-être aussi parce qu'il voit loin, le scénariste fait ici preuve de contrition. Son numéro est commun et une introduction normale, correcte, dont le plus gros défaut est de ne pas être à la hauteur de son potentiel y compris du côté des dessins. C'est dommage, mais comme souvent, on devra attendre de voir sur les prochains numéros.