Troisième année sur les terres de Garth Ennis, troisième année dans l'Amérique profonde et cauchemardesque de Preacher. Cela fait maintenant trois ans que les auteurs, Seth Rogen, Evan Goldberg et Sam Caitlin, se sont lancés le pari fou de porter à l'écran une oeuvre réputée inadaptable, et après tout ce temps, difficile de savoir s'ils y sont parvenus. Avec sa fidélité à géométrie variable et une conception très personnelle du rythme, Preacher se présente comme la cousine intello' de Walking Dead.
Les défauts d'une série AMC alliés à une mise en scène intelligente, défouloir, souvent dans la posture mais toujours esthétique et alliée à une vraie recherche dans la narration. Des personnages hauts en couleur, une identité musicale et un humour gras à mi-chemin entre Rogen et Ennis, en somme une curiosité qui se paye le défaut (inévitable) de se foutre du temps que prend le voyage, ou de l'intérêt de récompenser son public par une progression fléchée. La troisième saison s'est ouverte ce lundi avec l'épisode Angelville, réalisé par Michael Slovis, un habitué et un pote de Sam Caitlin, qui officie de son côté à l'écriture.
Jesse Custer est de retour à Angelville, l'endroit où il été élevé, où il a appris la baston, l'amour du whisky et l'existence d'un monde underground de sorciers et de guérisseurs. Un bayou colonial à l'ancienne où il doit revenir pour ressusciter Tulip, quitte à y risquer sa peau ou à faire un marché qui peut lui coûter cher. En résumé, un entrée en matière où le trio de personnages s'installe à la maison L'Angelle, après être restés fixés chez Denis la saison dernière et avoir passé l'ensemble de celle d'avant dans le patelin texan où tout a commencé.
Avec une petite introduction, la série reprend ce qu'elle sait faire de mieux : créer des ambiances. Le mélange poussiéreux et étouffant s'installe, dans un épisode très bien rythmé qui place comme d'habitude un tas de petites idées de mise en scène bien trouvées, des acteurs qui croient en leur personnage et cette constante dans le mystère. Une des forces de Preacher pendant les premières saisons a été de savoir jouer avec l'inattendu, constitutif du style de Sam Caitlin. Le scénariste s'est amusé à empiler par dessus les planches de Steve Dillon un ensemble mystique, inquiétant. Depuis le regard vide du Créateur dans sa combi' de zoophile sadomaso' directement inspirée de Pulp Fiction jusqu'à la manière dont l'Enfer était représenté une saison plus tôt.
Si la série n'avait à l'époque pas su gérer la longueur ou l'utilité de cette partie (réduite à une blague bizarre, en résumé, et si Hitler était un type sympa ?), l'épisode présente ici une vision du Purgatoire plus aboutie visuellement. Le script se perd dans les métaphores, certaines choses paraissent superflues, mais le passage amène un peu de variété à l'épisode, une correspondance dans cette vision de l'au-delà et un élément d'intrigue important - on imagine - pour cette troisième saison. Si tout ne se comprend pas tout de suite, cette partie devrait être plus claire quand le temps sera pris de développer les origines de Tulip.
En dehors de ça, Preacher garde son identité de défouloir généreux sur la violence - une autre de ses forces, appliquée dans sa mise en scène et fidèle à l'esprit Garth Ennis avec ses héros bagarreurs et son goût pour les gerbes de sang. De nouveaux personnages s'installent, la proximité avec les origines de Jesse en BD tiennent bien debout, et les membres du trio de tête n'ont rien perdu de leur côté attachant.
Cela étant dit, tout ce blabla' sur le triangle amoureux devient redondant après avoir déjà porté les jeux de regards et les murmures des deux saisons passées. De même que la quête de Dieu, abordée furtivement dans cet épisode, n'a jamais parue aussi secondaire. La série a fait le choix de ne pas être le road trip coûteux du comics, aussi on voyage davantage à travers les relations qu'entretiennent les héros entre eux, ou à travers l'adversité qu'on leur propose. En l'occurrence, les L'Angelle se présagent comme des vilains convaincants.
Vous remarquerez d'ailleurs que ce n'est pas la première fois que la série prend cette tournure passéiste - il est question ici de détailler l'enfance de Jesse, mais déjà, avait été évoquée la relation de Jesse et Tulip auparavant. De même que le passé de l'héroïne en femme de gangster, l'obsession pour un événement dans la vie de Arseface ou le rôle de père de Cassidy avant toute cette aventure. Caitlin semble obnubilé par la reconstruction de ses héros à travers leurs origines - Garth Ennis avait déjà fait ce choix, mais les étapes du voyage, les rencontres, paraissaient tout aussi importantes. Aujourd'hui, après trois saisons, Preacher continue de regarder ses héros comme des données à expliquer, à présenter, comme si la série n'avançait que dans la découverte de qui ils sont les uns pour les autres. Probablement une des causes du manque de rythme, ou du sentiment de non-progression critiqué par de nombreux spectateurs.
Aussi, si les dernières minutes de l'épisode promettent une avancée massive prochainement, il est possible que ce sentiment de surplace ne disparaisse pas tout de suite. Possible que l'on passe du temps à Angelville, à alterner entre flashbacks et résolutions amoureuses, violence et grand massacre, sans que la quête du divin ne progresse ou ne soit même considérée comme le sujet réel de cette saison (une fois de plus). A moins de mettre un grand coup d'accélérateur, il faudra considérer Preacher comme une de ces séries à la AMC dans la même catégorie que Better Call Saul - meilleure pour sa narration que son rythme, son esthétique que son utilité à filmer des saloperies, et son humour gras occasionnel qui fait toujours plaisir. En attendant, bienvenue à Angelville.
Preacher redémarre joliment, mais lentement. Tout ce qui était prévu se met en place, pour un début de saison centré sur les origines de Jesse - encore - et une nouvelle installation dans l'Amérique profonde, celle qui empeste la poussière, le whisky, la sueur et le sang. Avec son aisance habituelle au montage ou à la caméra, la série reste une jolie curiosité pour qui aime l'exercice de style ou de genre, mais peut-être pas la meilleure définition d'une adaptation fidèle sur le petit écran.