En préparation depuis l'année dernière après une demande fort romantique, et un accompagnement éditorial et marketing poussé de DC Comics ces derniers mois, le mariage évènement de l'éditeur à deux lettres doit se dérouler dans les pages de Batman #50. Un numéro anniversaire aussi singulier par sa numérotation, et qui aura fait les affres d'une communication désastreuse de DC Comics, qui a spoilé son déroulé - du moins, une partie - quelques jours avant la publication. Mais cette culture du spoiler fera l'objet d'un autre article. Ici, parlons de Batman #50 pour ce qu'il est.
Tom King n'a pas pris de grands risques il y a un an, alors que Bruce Wayne demandait sa main à Selina Kyle. Nombre d'auteurs auront dépeint la relation entre les deux personnages, qui aura toujours évolué sur un terrain fait de nuances de gris. Entre le justicier maussade, la chapardeuse espiègle, l'idée d'une vie amoureuse aura été évoquée maintes fois. Et même consolidée dans certaines histoires : on se souvient récemment d'Earth-2 qui voyait le couple, marié évoluer avec la jeune Helena Wayne en digne représentante d'une future génération de combattants du crime. Cette opportunité, celle de voir Bruce s'échapper un minimum de son costume, ou de voir le Chevalier Noir perdre un peu de sa noirceur (selon votre point de vue), King en a déjà fait l'aboutissement de son propos. Dans Batman Annual #2, qu'on pourra encore considérer comme sa fin véritable de run, le couple finit ensemble et Batman #50 semblait être le point logique, l'ancrage de cette finalité.
Il n'en est rien. Parce que Tom King ne veut pas faire dans la simplicité et parce que l'ensemble des numéros précédents était assez équivoque que tout ne pourrait pas (encore) bien se passer. Batman #50 expose au fil des pages la relation qu'entretiennent les deux tourtereaux, le regard que l'un porte sur l'autre, parfois au sens littéral. Derrière leurs vies mouvementées, derrières les masques, King expose par son texte, et comme il a su le faire depuis de nombreux mois, des sentiments sincères. Par deux lettres interposées, chacun évoque leur première rencontre, la façon dont ils se perçoivent, pour aboutir à leur décision, qui n'est donc pas celle que l'on pourrait espérer.
Car au fil du numéro se pose une question classique dans le super-héroïque, et notamment lorsque l'on touche à Batman. Le Chevalier Noir peut-il connaître une forme de bonheur ? Le super-héros peut-il se ranger ? Mener une vie de couple ? La décision de faire un mariage, avec des préparatifs qui alternent entre humour et forte émotion, est toute aussi symbolique qu'en sortant du simple contexte du numéro, DC Comics a su se montrer frileux sur cette position. Alors que le Rebirth de l'éditeur permettait de renouer certains liens, et qu'avoir un Superman avec une vie de famille a démontré que le super-héros est capable d'avoir ce genre d'existence, King ne perçoit pas les choses ainsi. Il l'expliquait en amont, que ce soit dans The Gift où Booster Gold empêchait la mort de ses parents, ou dans The Best Man, lorsque Catwoman et le Joker discutent ensemble. Le bonheur n'est pas compatible avec Batman. Ou dit autrement : si le bonheur vient à Batman, ce dernier disparaît.
On pourrait donc pester à l'idée que Tom King nous aura fait miroiter ce mariage, mais ce serait se tromper de cible. Pris en compte dans le run de l'auteur, la décision ultime de Selina avait été à plusieurs fois sous-entendue, et c'est d'ailleurs la conclusion du numéro qui montre l'étendue de ce que l'auteur essaie de faire sur le personnage. Batman #50 vient conclure une sorte d'énorme premier acte, installé sur plus de deux ans, avec une révélation qui pose énormément de questions. Contre l'envie de hurler à la facilité d'un "tout était prévu" - attention, c'est un argument très recevable - ici vraiment pas évident, la question de nombreux personnages autour de celui qui se révèle être le grand méchant n'est vraiment pas simple à résoudre.
Avec le recul pourtant, on voit une certaine logique dans l'idée que tout a servi à briser Batman - cette fois, mentalement. Le geste de Bruce comme de Selina, qui se jettent du toit, sont équivoques : là où l'image de l'échappatoire est forte, celle du suicide pèse encore plus, comme la forme d'une cassure psychologique ultime pour celui qui pensait trouver une once de félicité dans sa vie.
King planifie donc les choses sur le long terme, et lorsqu'on se recentre sur le numéro, Batman #50, malgré son dénouement, reste un pur moment d'émotion. Elle est véhiculée dans le texte, terrible dans ce qu'il raconte pour Bruce Wayne, mais aussi dans le dessin. Entre les planches d'un Mikel Janin qui impressionne toujours pas son trait et sa composition, de nombreux artistes invités contribuent au numéro. En l'état, les splash pages pourraient tout aussi bien servir de couvertures variantes, mais leur portée va au delà du dessin.
En général toutes réussies, ces planches sont témoins de cette histoire d'amour entre Bruce et Selina - et c'est là que se situe la véritable célébration. On se plaît à retrouver des scènes iconiques entre les deux personnages, tirées d'histoire culte, et d'autant plus lorsque ce sont les artistes qui les ont dessinées à l'époque qui reviennent les illustrer aujourd'hui. De ces publications, jusqu'aux passages les plus récents, tirés du run de King, une façon comme une autre de récompenser les lecteurs fidèles du moment.
Reste à régler la question de la façon dont a été vendue ce numéro, qui aura forcément un impact sur votre lecture. Comme expliqué auparavant, Batman #50 se veut être une célébration de l'historique de la relation entre Batman et Catwoman, mais n'est pas le single issue évènementiel tel qu'on pouvait se l'imaginer... Ou plutôt, tel qu'il aura été vendu (et promis, on reviendra là dessus ailleurs). Parce que pour celui qui ne suit que le titre Batman, il était difficile au vu des derniers numéros de ne pas anticiper le retournement de situation. A l'opposé, les one-shots qui ont servi de tie-ins étaient largement dispensables, et surtout en contradiction thématique avec ce que King amenait dans ses récents numéros. Ici, le parti pris sera de ne pas céder à la frustration, bien qu'elle soit compréhensible.
Parce qu'on peut reprocher à King de brasser des thématiques déjà vues, de refaire ce qui a déjà été fait, les faits sont qu'il le fait bien. L'écriture est juste, le portrait de Batman est en totale cohérence avec le travail mené depuis deux ans - un Chevalier Noir en son for désespéré, suicidaire, et qui tente de se raccrocher à un élément ultime - et qu'à la force de ses mots, les images viennent appuyer l'envie que tous les lecteurs auront de voir le couple se concrétiser (il n'y a qu'à voir les planches d'Albuquerque ou de Lee Weeks). Le retour de fin est d'autant plus dur qu'il faut aussi se rappeler que le fin mot de l'histoire est loin d'avoir été dit. En l'état, la lecture est bonne, très bonne même, mais King sera forcément attendu au prochain tournant.
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