Quand l’essayiste Ta-Nehisi Coates prend les commandes de Black Panther il y a quelques années, il s'oriente d'emblée vers quelque chose de très politique. Au chapitrage, une ancienne civilisation qui doit entrer dans le XXIème siècle, la difficulté des traditions, de l'exercice du pouvoir, des contestations, du terrorisme et de l'indépendantisme, toute une batterie de sujets à mettre en relation avec le quotidien de certaines parties du monde.
Entre temps, Donald Trump a été élu président des Etats-Unis, amenant l'auteur à se recentrer sur des sujets plus locaux, de même qu'une bonne partie de la sphère comics. Dans un monde où Captain America a été représenté comme un membre de l'Hydra avant l'indispensable retour au statu quo, avant que tout ne s'oublie, Coates prend en main le personnage le plus symbolique de Marvel pour un premier numéro tout aussi politique, et beaucoup plus occidental. Paradoxalement, si son run de Black Panther semblait pétri d'une envie d'avancer vers le mieux, même dans la difficulté, cette entrée en matière paraît bien désespérée - en un sens, tout est donc très normal.
Captain America a repris le costume et le bouclier et combat contre les restes de l'Hydra. Le gouvernement (nouvellement élu) prend Sharon Carter à parti pour assainir la situation après que des terroristes employant des clones de Nuke ont attaqué Washington. Pendant ce temps, en Russie, une nouvelle menace semble poindre, tandis que Steve Rogers contemple, effaré, l'état de sa nation et le déclin du symbole qu'il porte sur son costume. Premier numéro et tout est déjà là - des référents qui vont des nazis aux Russes, d'une politique intérieure déchirée qui réhabilite des repris de justice, et d'un pays qui est en train de perdre tous ses repères.
Coates écrit ici un Captain America hautement métaphorique. Comme Superman, le personnage sert un idéal dans l'industrie des comics, qu'on peut résumer à celui d'un héros profondément bon, profondément juste, ou bien profondément patriote. Captain America représente les Etats-Unis de 1940, période où l'on croyait encore au rêve de Liberty Island et au sourire de cette statue que les migrants apercevaient depuis le bateau qui les emmenait vers le nouveau monde. La fameuse valeur fondamentale des Etats-Unis, pays de la liberté contre le fascisme de tout bord politique. Son héros bannière est un petit gars de Brooklyn, un justicier qui croit tellement dans les valeurs de cette Amérique qu'il est prêt à lui désobéir quand elle-même trahit ce en quoi elle prétend croire.
Des décennies plus tard, Ta-Nehisi Coates utilise l'image de Captain America comme le véhicule de ces valeurs passés confrontées au monde moderne. L'Hydra n'est pas mise là par hasard - ni par seul respect de la continuité. Tout récemment, la recrudescence d'un nazisme moderne a profondément inquiété les observateurs locaux. Les liens entre la présidence et la Russie sont là-encore profondément actuels, et quant au fait de présenter un peuple qui n'a plus foi envers le drapeau, la métaphore paraît presque trop évidente.
Il en va de même pour Nuke, un vilain stupide inventé par Frank Miller pour parodier les héros façon Commando, très patriotes, très violents et très peu représentatifs de ce que lui considère comme l'Amérique authentique. Ici, ils symbolisent une certaine façon de présenter le point de vue de ceux qui se réclament du drapeau mais n'en retiennent que les défauts, ou instrumentalisent l'amour de leur pays pour justifier la violence et la haine. Le discours en voix off de Cap est éloquent à toute une série de points de vue : il évoque le fait de se méfier de l'histoire officielle, les double sens que revêt la notion de "liberté", et le fait que les Etats-Unis ne se reconnaissent plus en lui comme lui ne reconnaît plus l'Amérique.
En résumé, un numéro qui va assez vite vers son sujet - cela passerait presque pour un reproche tant Coates ne se cache pas de ce qu'il a envie de raconter. De la même manière, on lui reprocherait aussi d'insister trop sur les figures et les symboles au détriment d'une narration fluide, ou plus humaine. Cela étant, le numéro reste une introduction et il conviendra de toutes façons d'en reparler (en longueur) quand le propos sera plus développé. Pour l'heure, un bon premier numéro qui tient ses promesses, avec peut-être un peu de paresse de Leinil Yu sur certains fonds et un encrage qui bâcle un peu.
Ta-Nehisi Coates s'est trouvé une tribune. Captain America, en amalgamant un peu de l'héritage de Brubaker, Remender et Spencer (a priori) redevient un héros bannière, un héros qui cause idéal et politique moderne. En réalité on peut se demander si cela a jamais cessé d'être le cas - quand Sam Wilson combattait les garde-frontières ou que Remender le faisait affronter Nuke encore auparavant. C'est aussi une des belles qualités de ce début de run : si Coates est au départ étranger au monde des comics, il en respecte les codes, les coutumes et le suivi. Les séries Captain America qui s'enchaînent depuis quelques années continuent donc un bien joli feuilleton, sorte de chronique fictive en reflet d'une Amérique bien réelle, et plus que jamais, d'un décor de thriller politique saisissant.
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