Beaucoup de lecteurs voient en Frank Castle un simple archétype. La réponse des comics à la décennie 1970, avec son cinéma de flic vengeur, le trauma' des soldats revenus du Vietnam et la délinquance urbaine. Mais si le Punisher est un équivalent de Death Wish au départ, il aura considérablement évolué - vers Garth Ennis, Greg Rucka, Nathan Edmonson, une posture d'anti-héros complexe et psychologue dans Daredevil, un Captain America appliqué à la dure morale du Vietnam dans The Platoon.
De façon assez amusante, les auteurs se sont amusés à mettre un costume au Punisher - dont la particularité est justement d'avancer à visage découvert. On l'a vu en Cap improvisé dans les Ultimates, en War Machine dernièrement et en Ghost Rider d'un genre nouveau sous Donny Cates, dans Thanos Wins. Un arc de la série consacrée au Titan Fou où le scénariste imagine le futur de Frank Castle, tué par Thanos puis revenu des enfers en Rider, transformé en héraut de Galactus. Un mélange intéressant de pouvoirs qui évoquerait un genre de surenchère façon produit dérivé des années 1990, les plaisirs coupables à base de robots-ninjas-mutants et autres franchises pour dessin animé bizarre. Ici, un Punisher Rider Surfer, forcément cool si vous accrochez à l'idée.
Avant que ne s'effondre sur elle-même la timeline où le vieux Thanos espérait mourir des mains de son homologue passé, Odin aura traversé les réalités pour sauvegarder l'âme du Rider, considérant que ses prouesses lui valaient bien une place au Valhalla. Frank Castle se retrouve donc entouré de valeureux dieux vikings, pour une éternité où il ne reste qu'à se bourrer la gueule en espérant que le passage du temps saura le faire oublier.
Las de son comportement ingrat, Odin propose un marché au Punisher : lui rendre ses pouvoirs contre la promesse de le voir s'en aller et ne jamais revenir. Le cavalier de la mort cosmique et de la vengeance armée s'engage donc pour une dernière croisade, une dernière revanche, et part vers Titan mettre une dernière salve de cartouches infernales à celui à qui il doit l'ensemble de ses malheurs. Mais tout ne va pas se passer comme prévu, évidemment.
Donny Cates écrit cette mini comme un véritable spin-off, moins qu'une suite authentique. On sait d'entrée de jeu que ce qui s'y passe n'aura pas de réelles répercutions. Le scénariste est assez honnête dans ses intentions, continuer de s'amuser sur un personnage qu'il n'a pas eu la place de développer dans Thanos Wins. A ce titre, avoir Dylan Burnett et Antonio Fabela aux dessins et aux couleurs était la bonne chose à faire : leur style commun est capable de rendre quelque chose de spectaculaire, tout en restant assez cartoony et bariolé pour que l'on ne prenne pas tout au premier degré.
Dans cette perspective, la série Cosmic Ghost Rider semble se préciser comme une lecture à la Rick & Morty du monde développé par Cates. Le Punisher grisonnant, alcoolique et violent pointe vers cette idée, de même que la richesse visuelle et les libertés que prend l'auteur vis à vis de l'échelle de pouvoirs (pour Odin, Thanos ou le Rider lui-même) ou de la temporalité. La série sera difficile à caler, voire difficile à apprécier si on attend autre chose qu'un bon gros délire - cela étant, le titre ou le principe même du personnage n'annonçaient pas autre chose.
Le numéro est généralement assez bon, voire très bon, bien servi par le trait dynamique de Burnett, les très bons dialogues de Cates et une dernière page qui promet quelque chose d'assez inédit, à la Beelzebub. Odin a de très bonnes répliques et ne se départit pas de son rôle d'ordure historique, et quant à Castle, il ne s'éloigne en définitive pas tant que ça des thématiques classiques du Punisher : le jugement, la rédemption, le bien, le mal, la vengeance. L'ivresse de pouvoirs façon Ghost Rider est aussi bien amenée, de même que des dernières pages plutôt mignonnes sur un personnage qu'on ne décrit que rarement sous cet angle.
L'ensemble a une drôle d'allure, la tête d'un véritable exercice de style ou de cartoon soigné et joliment exécuté. Assez peu de défauts jalonnent le numéro, qui reste perméable même aux non-lecteurs de Thanos (le résumé des premières pages fera l'affaire si vous prenez le train en marche), les planches sont superbes et l'ensemble drôle ou touchant - c'est du bon matériel.
Petit coup de coeur que ce Cosmic Ghost Rider, qui risque de passer inaperçu au vu des mastodontes qui se bousculent dans les kiosques cette semaine. Cela étant c'est aussi la petitesse des enjeux du titre et son aspect bizarre, hors catégories qui fait tout son intérêt. On espère que Cates sait où il va avec ce Big Pun stellaire et enflammé, en attendant le voyage promet d'être (au moins) divertissant.