Ce week-end, une partie de la population sera tranquillement posée, à se dorer la pilule sur l'une ou l'autre plage, cocktail dans une main, comics plein de sable (sacrilège) dans la seconde. L'autre restera à l'ombre, rivée sur ses écrans pour capter la moindre nouvelle provenant de l'autre côté du monde. La San Diego Comic Con, grande messe annuelle de la pop culture américaine, donnera une nouvelle édition qui, en 2018, se révèle pleine d'enjeux pour l'un de ses principaux acteurs. Le pôle DC Films de Warner Bros a vécu une dernière année difficile à bien des égards, et si l'on ne peut pas prédire qu'en un seul panel du Hall H, samedi prochain, toutes leurs erreurs puissent être pardonnées, il y a assurément une carte à jouer.
La première raison semble la plus évidente : la concurrence, en face, ne sera pas présente. Comme ils avaient pu le faire en 2015, Marvel Studios ne se donnera pas la peine d'être sur place. Les raisons semblent évidentes : une envie de ne pas communiquer, ni sur Avengers 4, ni sur les prochains films à venir qui y sont soit liés (Captain Marvel), soit liés à l'après coup (Spider-Man : Far From Home, Guardians Vol. 3, et tous les autres). On pourra évoquer également un calendrier qui, pour cause de négociations avec la Fox, invite à une certaine retenue, quitte à dégainer d'énormes annonces pour les étés suivants. On n'oubliera pas les présences de la Fox, justement (qui préfère se concentrer sur une projection de sa version longue de Deadpool) et Sony Pictures (qui a encore du chemin à faire pour convaincre de son Venom), mais l'essentiel est que le numéro 1 dans le game du comic book movie est absent, et que DC Films a tout intérêt à en profiter.
La SDCC 2018 reste malgré tout assez charnière pour l'entité DC Films, placée dans une année très pauvre pour eux : malgré tout le capital sympathie qu'on peut avoir pour Teen Titans GO! to the Movies (qui n'arrive qu'à la rentrée par chez nous), il ne peut être le film qui attirera l'attention. Aquaman, lui n'arrive qu'en toute fin d'année. Il va de soi que son trailer, officiellement annoncé, sera l'attente la plus forte. Le personnage est marqué par l'incarnation qu'en a fait Jason Momoa, et a la lourde tâche d'assurer la transition avec sa présence dans ce qu'il reste du DCEU et une orientation plus rattachée à son réalisateur, James Wan, et à la patte qu'il peut donner à l'univers aquatique de DC. La problématique est d'ailleurs plus large. Par les images que Warner compte nous présenter, la question sous-entendue principale se pose ainsi : s'agit-il d'assumer une continuation directe avec l'univers développé par Snyder et consorts, ou de repartir "à zéro". Soit feindre un redémarrage tout en assumant que de précédents films aient utilisé des personnages auparavant.
L'avantage d'Aquaman est qu'il peut se détacher complètement de sa précédente aventure au cinéma sans que ça ne pose de problèmes - c'est en fait le cas de tous les films dont on sait ou suppose la présence ce samedi prochain dans le Hall H. Entre un Shazam qui se présente comme un "film de Noël" (en avril, mais cherchez pas, oh) et Wonder Woman 1984, qui poursuivra son entreprise de raconter des histoires séparées de la continuité présente de DC Films, l'opportunité est là pour l'entité cinématographique : celle de se concentrer sur ses personnages et ses histoires plutôt que la perspective de reconstruire un univers partagé. On vous expliquait dans un précédent édito qu'en fait d'univers partagé, il était assez simple de ne considérer que la trilogie Snyder sans chercher à rattacher les autres films, et par là d'aller dans une direction autre que celle du concurrent d'en face.
Le plus grand challenge pour DC Films repose dans sa capacité à a) surprendre et b) rassurer. L'état post-Justice League a été plus que laborieux, le studio se voyant reconfiguré dans sa structure, et pour beaucoup l'assurance n'est plus présente. Les facteurs sont multiples : mises en route de projets multiples quand d'autres tombent dans l'oubli, l'absence de véritable ligne directrice, la volonté de faire des films hors-continuité qui manque toujours de réel soutien. Depuis quelques années, c'est un reproche qui pourra de toute façon être fait à l'entité : celle de n'avoir personne sur qui se reposer. Il n'y a pas de capitaine aux commandes du navire, qui doit cesser de naviguer à flots. Pour que cessent les commentaires emplis de doute, et mettre le frein aux rumeurs les plus clickbaits qui soient ou confirmer les plus insistantes (coucou Ben Affleck), qu'il s'agisse de Walter Hamada ou Toby Emmerich, une position forte et assumée doit être prise.
Le fonctionnement peut être assuré de plusieurs façons, la plus simple étant d'annoncer un véritable planning de films, puisque celui proposé par Tsujihara voilà quatre ans n'a plus aucune raison d'être. Attention, on parle bien de films réellement en projets, pas forcément d'un calendrier daté à n+5 années. Ce qui reste à double tranchant puisque ce dernier doit aussi être capable de dissocier les projets associés à la "continuité classique" de DC Films et cette autre gamme, dont il serait bienvenu d'avoir un nom officiel - à priori celui de Black Label (pour répondre à une dénomination identique qui doit arriver en comics).
Une fois ce planning établi, assumer cette prise de position. Le studio à tout à jouer (quelle qu'en soit l'issue) à faire preuve d'assurance dans le fait de développer plusieurs univers autour de ses personnages, ou à annuler simplement la perspective de l'univers partagé afin de faire vivre les films par ses personnages, et ses réalisateurs. Retrouver une marque d'auteur, qui aura fait le succès de la firme (remember Nolan). La perspective, radicale, ne semble pas pouvoir se faire puisque l'appétence pour les rencontres entre super-héros est encore là.
Les perspectives de rencontre doivent néanmoins savoir se préparer, et DC Films ne peut se permettre de refaire les erreurs du récent passé. La mainmise de la production sur les intentions des réalisateurs et scénaristes ne peut re-conduire à un Justice League ou un monstre hybride tel que Batman v Superman. A regarder en face, c'est la construction méthodique, et soutenue sur une dizaine d'années, qui permet maintenant à Marvel Studios d'en arriver là et si l'exploit doit être réitéré en face, il faudra aussi y appliquer une méthode rigoureuse - ou du moins faire semblant face au public, bien que rien n'empêchera les journalistes à Hollywood de faire leur travail.
Les possibilités ont en tout cas le mérite d'être là pour que Warner/DC assure le show ce week-end. En 2015, la perspective de BvS et d'un DCEU fort, avait conduit énormément de monde dans une assurance certaine d'avoir le vrai challenger du MCU. Les films et années ont passé depuis, et c'est un travail de regain de confiance qui doit aujourd'hui être mené. Quitte à ne pas flamber, reprendre les choses à une échelle plus petite, et à laisser les héroïnes et héros DC être réappropriés petit à petit par un public qui les a en partie délaissés.
On se retrouvera samedi après le panel pour commenter tout ça - en n'attendant n'oubliez pas qu'il ne s'agit que de films, et que le respect de l'autre dans le débat culturel n'est pas une option.