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The Seeds #1 : chronique d'une humanité en déclin

The Seeds #1 : chronique d'une humanité en déclin

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Les attentes soulevées par l'imprint de Karen Berger chez Dark Horse Comics, Berger Books, étaient légitimes. Celle qui a sacré les plus grands auteurs britanniques à l'âge d'or de Vertigo est reconnue pour son talent que peu ont réussi à égaler. Mais ce nouveau départ, malgré quelques prémisses intéressants, aura eu du mal à convaincre. En défaut, des titres parfois psychédéliques pour le plaisir de l'être, un manque de consistance dans le propos. Avec The Seeds #1, ouverture d'une mini-série en quatre, la donne pourrait être changée. 

Dans un futur pas si loin, un mur est établi. Protégé par l'armée, avec interdiction au public de le franchir, le mur garde une zone sans technologie, laissée à l'abandon. La Zone B. De l'autre côté, la journaliste Astra rêve de pouvoir y pénétrer et faire le reportage de sa vie. Mais la vérité sur les activités qui s'y passent n'est peut-être pas à découvrir, et encore moins à partager. Surtout lorsqu'elle prend racine dans la fabrication d'un mythe qui a servi à couvrir de nombreux mensonges par le passé.

La vérité, rien que la vérité

En parallèle de sa carrière de scénariste, Ann Nocenti a aussi été journaliste, et c'est cet exercice qu'elle transpose dans le personnage d'Astra. Reconnue pour ses prises de positions, et à l'ère des fake news, Nocenti s'intéresse au pouvoirs des histoires, des témoignages, et illustre à de multiples reprises son propos sur le journalisme par la métaphore du mur. Outre la séparation entre les deux zones de la ville qu'elle représente, ce sont les deux côtés de l'histoire, dans le sens large du terme, qui s'illustrent. Le témoignage contre la réalité ; le fantasme contre la vérité. Et par dessus tout, l'importance de ne pas se fier qu'à un seul discours.


Pour peu qu'on suive l'actualité, il est difficile de ne pas voir en sous-texte dans cette histoire une envie de rappeler l'importance du journalisme, tout en dénonçant ses dérives. La recherche du sensationnalisme, la manipulation des faits jusqu'à ce qu'il deviennent en apparence réalité, sont évoqués explicitement. Le rapport qu'entretient la rédactrice en chef responsable d'Astra, pragmatique sur la nécessité du clickbait pour développer des articles de fonds, ancre le discours dans une réalité indiscutable, que votre propre rédacteur connaît assez bien.

The Seeds est un titre noir. Pas seulement à cause du choix de David Aja (au style toujours aussi plaisant) d'utiliser une colorisation toute en trames et niveaux de gris - pour une ambiance Ô combien morose. Mais parce que Noncenti décrit la recherche de vérité en lui associant la perte d'un espoir. Dans les faits, l'humanité est à sa perte, mais ne le sait pas, et on devine que le personnage d'Astra va se heurter tôt ou tard à un dilemme. De raconter des faits quitte à anéantir l'espoir de l'espèce humaine ou de garder pour soi un mensonge, choix moral tel qu'étaient soumis Manhattan et Rorscharch à la fin de Watchmen. Mais Nocenti n'excuse en rien l'humanité dans son récit, propre responsable de ses maux. A cet égard, l'utilisation de l'abeille, symbole parmi les plus forts lorsqu'il s'agit de décrire l'impact qu'a l'Homme sur la nature, résonne avec un sens de l'humour assez cynique.

Et si la science-fiction n'était plus fiction ? 

Dans le rapport au journalisme, dans les digressions écologiques, en dépeignant une humanité qui s'éteint sans en avoir conscience, The Seeds est une lecture contemporaine, fortement rattachée à son époque de publication. Mais l'ensemble doit rester un titre de science-fiction. Parce qu'il est question d'extra-terrestres. Ce n'est peut-être pas clair dès le départ, mais l'idée s'affirme tout au long de la lecture, à mesure que le scénario s'étoffe, et que les destins croisés des quelques personnages évoluent. En plus d'Astra, on nous présente Lola, jeune femme qui entretient une relation avec un être étrange, qui cache son visage par un masque à gaz. Ou un couple d'apiculteurs qui élève des abeilles dans la fameuse zone B. Les rapports, pas forcément directs, se tissent doucement, jusqu'à ce que les liens apparaissent, indéniables.


La façon dont les sous-intrigues se lient ce fait aussi par la symbolique, David Aja utilisant la forme de l'alvéole comme point de passage tout au long du numéro. Au delà du rapport aux abeilles, le symbole s'imprime sur la rétine du lecteur, et donne une force visuelle à The Seeds. De l'objectif d'un appareil photo à un point sur un écran, l'artiste s'exerce à façonner ce monde cohérent, qui ne tient peut-être pas tant que ça de la fiction. 

Le parallèle entre les extra-terrestres, la raison qui les pousse à venir sur Terre, et le rôle de nos abeilles ; le rapport à une humanité en train de mourir, et le fait que la dernière drogue en date permette de se rapprocher de l'expérience de la mort. Le détournement de l'information pour créer des mythes, avant que ceux-ci ne deviennent réels. Le tout donne à perdre, lentement mais sûrement, la tête, et l'atmosphère profondément déprimante décrite dans cette introduction ne rappelle que trop bien ce qui arrive en dehors des pages de papier. A se demander ce qui tient tant de l'anticipation ou de la fiction. Où combien de temps nous sépare réellement de ce que Nocenti décrit.

The Seeds #1 est une introduction on ne peut plus prometteuse à ce qui pourrait être la première véritable réussite de Berger Books (la seconde nous souffle-t-on, avec She Could FLy). Ann Nocenti mêle son expérience du journalisme et un regard critique sur sa société pour un récit de SF engageant, à la fois déprimant par son rapport au réel, et intrigant par ce qu'il reste d'inconnu à découvrir. L'ambiance en noir et blanc et le symbolisme de David Aja fonctionne complètement sur l'ensemble du numéro, et pour qui aime le comicbook indé' qui aime à raconter au delà de divertir, The Seeds est là pour vous.

Arno Kikoo
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