Avec l'arrivée cette semaine de la seconde fournée des ex-kiosques de Panini Comics (qui ont justement délaissé l'espace presse pour se ranger aux côtés des albums en librairie), il est plus que temps de faire le point sur ce changement, important pour un lectorat longtemps habitué à retrouver ses comics à côté des journaux.
Pourtant, il ne servira pas à grand chose de polémiquer sur cette décision. On pourra comprendre la grogne d'une partie du lectorat, obligé de revoir ses habitudes de consommation, et par l'absence des titres Marvel Legacy dans les kiosques habituels, mais aussi par l'augmentation du prix des dits softcovers (faute de leur trouver un meilleur nom, puisque dans la proposition de retrouver plusieurs numéros de séries différentes, l'utilisation de "kiosque" reste toujours tentante). Cette dernière se justifie par un format qui rapproche d'avantage la publication des albums souple qu'on retrouve déjà chez l'éditeur (dans la collection Marvel Select par exemple).
Couverture plus rigide, présence de rabats, d'un papier plus épais - le but est d'avoir un objet plus "noble" et qui se conserve mieux. On pourrait arguer que ça va à l'encontre de l'idée d'un kiosque populaire, mais si le but est de collectionner ou de prêter (oui, les comics se prêtent), miser sur une meilleure qualité pour une meilleure conservation n'est pas idiot. A côté, on pourra être plus critique sur les rabats, bien que l'espace soit utilisé pour un accompagnement éditorial textuel, visant à aider les nouveaux arrivants, bien que tout ne soit pas le plus limpide par moments. Une petite amélioration reste à faire de ce côté.
Le réel point faible pour le moment reste dans la distribution de ces formats, qui impose réellement de changer ses habitudes, surtout que certaines enseignes n'ont pas encore su ajuster leurs commandes sur ces titres, pour répondre à la venue d'un nouveau type de lecteurs. Votre rédacteur aura fait le test dans plusieurs librairies, avec une réponse type "vu que c'était en kiosque avant, on ne sait pas vraiment s'il faut les commander maintenant". Dans d'autres grandes enseignes, les softcovers ne sont pas sur place, mais disponibles à la commande en ligne. A ce jeu là, on peut tout aussi bien se les procurer via les grands distributeurs ou les points de VPC des libraires - un geste facile à réaliser pour les moins bien lotis. Il faudra un certain temps pour s'habituer, on imagine, à ces changements, qui traduisent de toute façon l'état d'un secteur mal en point.
Qu'on se le dise, le marché du comics en France en librairie représente environ 12% de la production totale (selon le dernier rapport de l'ACBD en 2016, on peut supposer que le chiffre a légèrement augmenté depuis) et reste donc un marché de niche, avec d'après une étude de GFK de 2017, 9,3% de lecteurs/consommateurs de comics sur le total des lecteurs de BD (tous secteurs confondus). Autant se dire que dans cette faible proportion, la part allouée au kiosque doit être encore plus faible.
Le problème, c'est que l'édition reste on ne peut plus opaque sur les chiffres de ventes, ce secteur y compris. Mais de nombreuses discussions que votre rédacteur a pu avoir avec les acteurs du milieu, le constat est là : les kiosques se vendent peu, sinon pas, bien que les personnes fidèles à ce format soient bien présentes, et généralement très vocales sur les réseaux sociaux. Le problème c'est que cette présence alimente un fantasme, et qu'une mise en face avec les chiffres, réels, de ces ventes, devrait suffire à faire comprendre pourquoi les éditeurs font certains changements.
On pourra incriminer également l'évolution du marché des comics, en explosion (+ 275% depuis 2007) parce qu'il est parti de très bas, et s'est bien installé en librairie. Le kiosque n'a plus la même présence qu'à l'époque de Strange, et surtout, son lectorat vieillissant ne s'est pas suffisamment renouvelé. Quand on ajoute à cela la catastrophe causée par la crise de Prestaliss, principal distributeur de la Presse en France, qui oblige à tous les éditeurs à se porter solidaire et à verser un même pourcentage des ventes à la société - qu'ils éditent un ou 20 journaux, et quels que soient les tirages - et l'on peut aisément comprendre la nécessité de réagir.
Bien sûr, chacun pourra arguer du choix réalisé par Panini, de la façon dont il a choisi de communiquer dessus (les éditeurs ne peuvent pas publiquement incriminer Prestaliss comme ça) ou de présenter ses éléments de compensation. Mais la réalité du marché, aussi dure et agaçante soit elle - croyez bien qu'elle ne fait plaisir à personne - est là. Le lectorat d'il y a une trentaine d'année et ses habitudes ne sont pas les mêmes, et malgré la délocalisation, on vous rappellera que les softcovers restent encore une façon parmi les plus compétitives dans le rapport quantité/prix. Avec environ 5 numéros pour chaque titre, et un prix du single à 4$ minimum chez Marvel, on reste encore dans un rapport du prix de la VF divisé par 3, voire 4, comparé à la VO. Bien sûr, cela se fait au détriment du choix. Mais qui a dit qu'on pouvait tout avoir ?
Reste à voir, une fois ces questions autour des softcovers acceptées, quelle est la qualité intrinsèque des lectures proposées. Si vous nous suivez depuis au moins l'automne dernier, période à laquelle Legacy s'est lancée outre Atlantique, vous aurez pu constaté que nous avons été assez critiques en général, pas tant sur la qualité des séries, qui n'a que peu changé puisque pour la plupart, les équipes créatives conservaient leur scénariste (et parfois ne changeaient pas du tout), mais parce que l'ensemble de la promesse était somme toute assez bizarre. Avec le recul et la venue du Fresh Start, on ne se retrouve donc qu'avec une phase d'entre deux, le véritable "retour aux sources" pour certaines séries (et personnages) ne se faisant réellement que dans sept mois. Au moins, Panini l'annonce d'emblée dans ses numéros, et l'on reste curieux de voir si un autre relaunch de leur offre sera choisi pour lancer le fameux "nouveau départ".
La corollaire à cet absence de vrai relaunch est que tous les softcovers ne constituent pas de bons points d'entrée pour les nouveaux arrivants, malgré leur numéro 1 en façade, et certains constitueront donc des premières lectures assez perturbantes. A côté, le regroupement des séries suit une certaine logique éditoriale, avec un rassemblement par les personnages et les licences ou thématiques, qui suit aussi une logique de popularité. A ce jeu là, on ne se le cachera pas non plus, certaines séries de qualité, mais moins en vues, sont malheureusement absentes, quand d'autres qui font plus office de produits de commande sont là simplement pour exister.
On réservera donc la fin de cet article pour vous proposer notre petite sélection des titres à suivre pour ces débuts de Marvel Legacy :
• Marvel Legacy : Avengers Extra. C'est certainement le kiosque le plus qualitatif dans son ensemble. On y retrouve en effet le Thor de Jason Aaron, que l'on vous a déjà vanté de multiples fois, avec un arc qui amorce la fin de la période où Jane Foster est porteuse du titre. Beau, bien écrit, mais clairement destiné aux lecteurs les plus fidèles, c'est une série à ne pas manquer. A côté, le passage de Mark Waid et Chris Samnee, discours sur le symbole du Captain et sur son histoire, est également un rendez-vous incontournable. Si le Incredible Hulk de Pak est moins intéressant, la volonté de refaire un Planet Hulk reste amusante, bien que l'agenda d'époque avec la sortie de Thor : Ragnarok se voit facilement, avec la volonté facile de Pak de se faire un auto-hommage à la première saga.
• Marvel Legacy : Marvel Epics. Là aussi, c'est pour la présence d'un certain titre et d'une certaine équipe créative que l'on vous le conseille, puisqu'on y retrouve le Thanos de Donny Cates et Geoff Shaw. Intéressant dans son concept, avec un délire cosmique en construction, le titre est sublimé par la patte de son artiste. La partie consacrée aux Gardiens est loin d'être inintéressante même si dans le premier numéro, la transition période Legacy rend la lecture un peu floue. Mais le titre accueillera la (très) longue saga Infinity Countdown/Infinity Wars, un morceau que les amateurs d'events ne pourront pas manquer.
• Marvel Lecacy : X-Men. Pas le softcover le plus accessible à priori, mais le démarrage avec un crossover consacré à Mojo et sa course à l'audience permet de réellement brasser le thème de l'héritage des mutants. Le super-vilain accro aux audiences profite en effet de ses pouvoirs pour imposer aux différents groupes des X-Men de repasser par des moments iconiques de leur histoire, l'occasion parfaite pour tirer sur la corde nostalgie des anciens lecteurs, d'intéresser les nouveaux (forcément curieux, évidemment), avec un récit vraiment fun dans son ensemble. La conclusion se déroule dans le second numéro tout juste sorti, et le titre Old Man Logan également présent, scénarisé par Ed Brisson, reste assez agréable à lire notamment parce qu'il démarre avec un arc qui ne s'embarrasse pas trop des récits passés.
• Marvel Legacy : Avengers. C'est le second softcover mensuel qu'on vous conseillera parmi les quatre proposés. Les titres Avengers et Champions se retrouvent dans un crossover divertissant et qui illustre bien l'opposition entre les anciens et les nouveaux super-héros de Marvel, Mark Waid composant avec les capacités de chacun, et l'histoire trouvant surtout une très belle prestation graphique, avec Jesus Saiz d'un côté et Humberto Ramos de l'autre, un petit plaisir pour les yeux. Le Iron Man (enfin, Ironheart) de Bendis est plus lent dans sa narration (une habitude avec le scénariste), mais si l'on aime sa maîtrise du dialogue où qu'on accroche à Riri Williams, c'est plutôt plaisant. Et puis, Alex Maleev aussi.
Quid du reste ? Hé bien, on vous a dit qu'on faisait une sélection. Cela ne veut pas dire que Deadpool ou Spider-Man (et les deux autres bimestriels) ne soient pas digne d'intérêts, mais la qualité de ces fascicules est variable. Quitte à choisir dans les grosses licences, ce sont celles mentionnées avant qui maintiennent notre attention. Que cela ne vous empêche pas d'aller à leur découverte si vous êtes fans des personnages en revanche, notre avis n'en est qu'un parmi bien d'autres.
Le passage à Marvel Legacy de Panini ne se fait pas sans accroche, pour des raisons plutôt extérieures au contenu même des nouveaux magazines. Obligeant les lecteurs à changer leurs habitudes de lecture, l'offre a le mérite de rester présente en quantités, bien que l'on pourrait demander un peu plus de diversité dans les titres choisis (il reste le bookazine Marvel Heroes pour cela, à l'ensemble assez qualitatif malgré un prix qui peut en effrayer certains - faites la comparaison avec la VO, si c'est le cas). Suivant une évolution du marché, les nouveaux "kiosques" font donc office de transition par rapport à l'ancien modèle, et il est certain que la prochaine étape, celle du Fresh Start, constituera une nouvelle difficulté à affronter pour l'édition du côté français.