En parallèle d'une arrivée sur l'univers de Superman au sein de DC Comics, Brian Michael Bendis profite de son déménagement d'un pôle à l'autre de l'industrie du comic book pour relancer ses titres en creator owned, dans un Jinxworld nouvellement hébergé par l'éditeur à deux lettres. Un premier essai qui montre que l'auteur a encore de belles choses à raconter.
Pour cette première entrée en la matière, Bendis retrouve son collaborateur de longue date, Michael Gaydos, avec qui il créait il y a plusieurs années Jessica Jones. On remarquera à juste titre que Pearl est un comic book pour lequel on aurait envie de faire quelques rapprochements, pour l'atmosphère qui s'en dégage et le fait d'avoir un personnage féminin central. Mais la comparaison s'arrêtera là. Pearl est bien plus terre à terre dans sa proposition, et l'héroïne n'a pas grand chose à voir avec notre détective privée préférée.
Mélange de romance moderne et de récit criminel, Pearl nous emmène aux côtés du personnage principal, qui donne son nom au comic book, artiste tatoueuse qui essaie d'échapper aux liens qu'elle a entretenus avec la mafia japonaise de San Francisco. Bendis présente une femme indépendante, douée dans ce qu'elle sait faire, qu'il s'agisse de manier l'aiguille ou le flingue, lui donnant les clés pour faire sa place dans le monde artistique ou le banditisme, alors que l'idée est de s'échapper d'un de ces univers. En même temps, le scénariste tisse le début d'une histoire, possiblement d'amour, avec une écriture assez légère pour qu'on ait envie d'y croire - et qui démontre s'il en était besoin l'aisance de Bendis en tant que dialoguiste.
On retrouve un peu d'humour, un parler actuel, et si le numéro se montre assez verbeux, l'ensemble ne tient pas du superflu mais permets de construire rapidement cet univers malgré le nombre de pages limitant. Bendis nous y parle d'art dans une forme particulière, où le dessin se fait sur le corps, et réussi à capturer l'essence des conversations qui peuvent tourner autour. Sur la signification des tatouages, sur l'importance de l'artiste - et les aléas du métier, on perçoit une envie de s'intéresser à cette culture de la part du scénariste, qui a par ailleurs fait appel à un vrai tatoueur, Diego Martin, spécialisé dans les créations d'inspiration japonaise (un coup d'oeil sur sa page vous permettra de voir ses travaux).
La recette du polar est également respectée. Un bref moment d'action, et l'histoire nous fait passer rapidement d'un début de romance à un côté plus classique du genre, d'un évènement a priori anodin qui répond à la loi de la "mauvaise personne au mauvais moment" pour une cascade de perturbations en perspective. Là aussi, le job est fait même si le principal reproche sera que l'introduction prend son temps, plus pour présenter ses personnages et son univers que rentrer dans le vif du sujet. Un écueil inévitable, peut-être, avec un format de toute façon calibré et qui incitera certainement quelques uns à préférer le format TPB.
Ce serait pourtant dommage de ne pas profiter tout de suite de Pearl #1, qui a comme bel atout la prestation de Michael Gaydos. On retrouve quelques éléments habituels, avec un trait légèrement hachuré et un encrage assez épais, une certaine économie dans les décors et rendu qui se veut photoréaliste. L'artiste emploie pour Pearl une jeune modèle et ça se ressent à certains moments, notamment dans le rendu du regard, mais l'ensemble tient la route. Notamment pour l'utilisation des couleurs - en peinture - que Gaydos fait. Privilégiant les teintes d'ambiance, il alterne en fonction des scènes sur des couleurs froides lorsque les aspects criminels du récit sont en jeu, en opposition avec des teintes plus rassurantes pour quelques moments intimistes. L'économie des couleurs a aussi son importance pour le délimité d'un flashback, qui semble hors du temps de cette façon.
Un joli travail donc, qui vaut également pour la mise en scène. Optant pour des planches généralement à six cases, on observe des envies de varier, que ce soit par l'utilisation de plans plus larges pour poser les moments importants du récit, comme la multiplication des cases pour rendre compte des brèves accélérations du récit, dans un ensemble assez posé. Le lecteur accélère et ralentit le parcours des planches avec ces ajustements, pour une lecture qui s'accorde bien en rythme.
On ne peut faire à Pearl #1 comme reproche que celui de prendre son temps dans un marché où il faudrait généralement piquer au plus vif la curiosité du lecteur. Préférant présenter calmement ses personnages et esquisser l'intrigue, Bendis réussit par l'écriture à rendre son nouvel univers attrayant, là où l'on voit aussi en quoi la série profiterait plus d'une publication directement en album. Les dessins et l'approche de Gaydos reste malgré tout une certaine plus value, et rassure pour les débuts de ce nouveau Jinxworld made chez DC.