A l'approche du film Aquaman, l'éditeur Urban Comics peut profiter de l'occasion pour proposer des récits dédiés au super-héros, qui aura eu du mal à redorer son image malgré l'aura du début des New 52 de Geoff Johns. Ecorné par l'image désuète de l'animé Super Friends et par de (mauvaises) séries TV comme The Big Bang Theory, Aquaman n'a pourtant largement pas attendu Johns pour avoir des récits profonds (sans jeu de mots), sombres et adultes. Aquaman Sub-Diego est clairement l'un d'entre eux, malgré une qualité variable au cours de la lecture. Explications.
Sub-Diego est une intrigue prise à part dans la sixième ongoing accordée au personnage. L'introduction permet de resituer le contexte de son historique. Arthur 'Orin' Curry a été exilé d'Atlantis, sa main perdue, auparavant remplacée par un harpon, est désormais faite d'eau et malléable à volonté, et le héros tente de survivre en loup solitaire dans les profondeurs océaniques. Son exil est profondément bouleversé lorsqu'il se rend à la côte ouest des Etats-Unis, où la ville de San Diego vient de subir un terrible tremblement de terre,qui a englouti tout une partie de la ville sous les mers. Mais quelques jours après le désastre, Arthur se rend compte que les habitants de la ville immergés sont désormais capables de respirer sous l'eau, et forment une communauté indépendante du reste de San Diego. Appelé par son statut à régir cette nouvelle communauté, Aquaman essaie également de comprendre ce qui a pu mener à ce miracle inespéré.
Une situation originale, et pas dénuée d'intérêt, qui montre Arthur devant faire fi de ses rapports houleux avec la société humaine, pour venir en aide à ceux dans le besoin. Malgré tout, le héros est dans une passe difficile - le poids des dernières aventures en font un personnage renfermé, autoritaire et assez prompt à user de la force. Un portrait qui le rend parfois presque antipathique, mais qui a au moins la force que le caractère badass du personnage était déjà bien présent. Le tome aborde la question de Sub-Diego sous deux angles ; d'une part, découvrir les auteurs de la catastrophe, forcément liés aux capacités surhumaines des nouveaux habitants des fonds océaniques ; d'autre part, gérer la construction à zéro d'une société, avec tous les écueils que cela apporte.
C'est sûrement sur son côté sociétal qu'Aquaman Sub-Diego se savoure le plus. Face à l'isolement, une communication floue avec le reste de l'humanité, un désir montant d'émancipation, Arthur doit composer avec une certaine autorité, et se fait un lien naturel entre deux mondes. La thématique est connue pour ce héros, mais c'est dans sa façon de ré-apprendre à être "Roi" qu'on a plaisir à voir évoluer le personnage. Les différentes histoires permettent d'ancrer (sans jeu de mots) des thématiques là aussi qui se rapportent au réel : la place de la drogue en remplacement de l'ennui, les ingérences américaines sur un territoire qui ne leur appartient plus vraiment. Tandis que la quête principale, elle, permet de parler égarement scientifiques, écologie (forcément, avec cet énorme détritus que vient de se récupérer l'océan) et faune marine. Le mélange prend globalement, bien que tous les segments du tome ne se valent pas.
En effet, passée une première moitié clairement pensée en ensemble par Will Pfeifer, le récit se sépare en plusieurs petits arcs, qui ont deux défauts pour eux. D'une part, des intrigues globalement moins passionnantes - notamment le passage actioner de John Ostrander, qu'on a connu à meilleur niveau. D'autre part, une forme de rallongement du fil rouge, puisque les personnes derrière la grande catastrophe semblent dire "haha, on arrive" à de trop nombreuses fois. Si le début du tome est réellement entraînante, on reste un peu plus réservé sur la deuxième partie de cette lecture - bien que le sentiment final soit dans le positif. Autre chose déjà mentionnée, c'est la noirceur de l'ensemble. Non pas qu'Aquaman n'ait pas le droit à des récits torturés, mais le tout présente quelques passages vraiment morbides (l'ouverture est crue) et pas forcément nécessaires (une scène de suicide), avec une utilisation de la violence graphique par moments gratuites. Mais pour les amateurs, ce sera du pain béni.
Autre force de l'ouvrage, et c'est peut-être là dessus que mise Urban avec cette publication, c'est la présence de Patrick Gleason sur le quasi ensemble des numéros, mis à part un diptyque illustré par Chris Batista, qui n'a clairement pas le même attrait (et puisque ça concerne la partie d'Ostrander, à la limite, pourquoi ne pas sauter ce passage ?). Le bonhomme est généralement accompagné de Mick Gray qui sait y faire avec le style de Gleason ; ses personnages aux grands yeux, qui laissent entrevoir l'influence orientale dans le dessin de l'artiste, est un bel atout pour un ensemble de planches bien remplies. Le dessinateur ne rechigne pas à la tâche et se montre à l'aise pour ce qui est de rendre compte d'environnements sous-marins, tant dans la ville engloutie que les créatures sous-marines - l'aspect du rapport d'Aquaman à la faune locale étant illustré généreusement tout au long de l'album.
Gleason apporte une belle richesse dans sa narration, et ne lésine pas non plus pour dessiner les choses les plus difficiles - comme évoqué précédemment. Non pas qu'il faille mettre la mention "pour public averti", mais on le répètera : certains passages peuvent surprendre. Pour le reste, les émotions se ressentent bien, les protagonistes se mêlent bien ensemble, et des attaques de requins, ça fait toujours plaisir à voir. Les lecteurs les plus récents se seront bien habitués au style de Patoche (comme on l'appelle dans le milieu)(en fait non), et constitue un atout indéniable pour cette lecture.
Il fallait peut-être le rappeler, mais c'est surtout que le public n'avait pas encore pu découvrir ces histoires d'Aquaman en VF : DC n'a pas attendu Johns pour faire d'Arthur Curry un personnage badass, voire donne une série sombre, presque trop. Sub-Diego Tome 1 nous fait découvrir une période intéressante dans l'historique turbulent du roi des océans, bien que la proposition initiale et le fil rouge qui en découle soit dilué (sans jeu de mots) au fil de la lecture. Mise à part un diptyque dispensable, l'ensemble est une jolie lecture, à conseiller à ceux qui veulent en lire plus avant la sortie d'un certain film. Et la suite arrive dans deux mois. Heureux ?
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