De toutes les relations romantiques présentées au fil des décennies dans les comics de super-héros, et notamment chez DC, peu sont aussi iconiques que celle qui lie Batman à Catwoman. Mais contrairement à d'autres qui auront su évoluer au fil des temps (notons le cas de Superman et Lois Lane), du côté du chat et de la (chauve-) souris, le point mort n'aura été que brièvement perturbé jusqu'à il y a peu.
Comme vous le comprendrez en écoutant le podcast en fin d'article, l'idée d'unir Batman et Catwoman n'a rien de neuf, et de nombreuses variations sur le sujet auront été observées au fil des années, et ce quel que soit le support. Si Batman a eu plusieurs conquêtes célèbres au cours de ses aventures, on en revient in fine à Selina Kyle, et dans cette optique, le couple est vu sur Earth-2 marié, et père d'une fille, Helena Wayne. L'astuce de la terre parallèle permet de développer un axe qui est resté peu exploité dans ce qu'on appellerait la continuité principale. Mais Tom King s'amuse justement à s'attaquer pleinement à cette thématique, sous deux axes à mettre en parallèle.
On vous le mentionnait dans une récente checklist, la venue en VF de Batman : à la vie à la mort (dont on vous rappelle nos éloges par ici) s'est faite en parallèle de celle du cinquième tome de la série principale, elle aussi pilotée par King. On peut considérer dans le numéro réalisé par Lee Weeks que le scénariste s'autorise ce que l'éditeur ne pourrait permettre à sa continuité principale, puisque la présence d'Helena Wayne sur l'une des planches peut indiquer que le récit se déroule dans une autre réalité - c'est d'ailleurs ce qu'indique la note éditoriale en début d'ouvrage. Et si votre rédacteur aime à considérer qu'il s'agit simplement de la conclusion pure et dure de son run sur Batman, qu'elle qu'en soit la longueur, on peut voir ce numéro comme la réalisation d'un fantasme : la concrétisation d'une relation si l'éditorial de DC Comics ne s'en mêlait pas.
A côté de cette idylle qui se transcende et dans laquelle Bruce Wayne parvient à trouver l'ultime forme de bonheur, King met son héros face à la difficulté de construire un couple quand la vie est faite de combats en costumes et d'un quotidien à base d'identités secrètes. De la même façon que les lecteurs d'il y a quelques décennies auront vu le couple Lois/Superman aller réellement de l'avant (on imagine à peine le traumatisme qu'ont pu être les New 52 par la suite), King est dans une forme de démonstration à l'extrême sur l'idée du couple Batman/Catwoman.
On retrouve évidemment des éléments d'intrigues propres à son run (la recherche d'Holly Robinson, pour innocenter Selina Kyle) mais dans les faits, il s'agit de transformer ces super-héros en personnages ordinaires, et de voir une relation qui se bâtit, avec une réflexion basée sur une certaine idée de la réalité. L'annonce de la nouvelle à ses proches et à ses familles, la réaction d'une ex, la présentation à son meilleur ami - autant de passages obligatoires IRL pour qui veut amener son/sa partenaire à l'autel, et qui trouvent une certaine résonance dans la lecture par les choix de Tom King. Comme par souvent, il enlève une partie de la grandiloquence de ses personnages pour les ramener à leur partie la plus humaine. La description croisée de comment se voient Bruce Wayne et Clark Kent est éloquente dans cette perspective.
Au delà de ce cheminement, se pose aussi la question de l'amour, et de sa place dans la vie du Chevalier Noir. Mué par le désir de sauver le plus grand nombre de personnes après la mort de ses parents, et de donner tout son temps pour sa cause justicière, la question des sentiments n'est pas si simple à aborder lorsqu'il s'agit de Batman. King le prend comme source de salut, si l'on considère que le costume de chauve-souris serait une malédiction. En rapportant le personnage à son traumatisme enfantin, et en affirmant qu'intérieurement, il n'a pas évolué, l'amour devient non pas une seule forme de bonheur, mais la seule possible. L'amour comme manière d'oublier son trauma. Quand on sait à quel point King met de lui-même dans son écriture, on peut y voir le salut que l'auteur aura trouvé par l'amour porté à sa compagne (et une naissance, un sujet plus au coeur de son Mister Miracle), lorsque lui-même était parti en guerre en Irak.
Entre psychanalyse est réflexion sur le couple, là où le travail de King sera au final le plus remarquable sera celui d'un auteur qui aura décidé d'aborder la question de la relation entre Batman et Catwoman, un classique pourtant déjà bien exploré, comme l'élément narratif principal de son histoire, et pas simplement une trame de fond disséminée ça et là. Parce qu'il creuse au mieux la psychologie de ses protagonistes, cet amour vrai, et répété à de maintes reprises (remember le diptyque avec Mitch Gerads) devient un point crucial de son run, et certainement l'exploration la plus complète à ce jour de quiconque se sera amusé à écrire cette liaison, quand bien même l'éditorial de DC pourrait décider de ne pas donner suite à un mariage pourtant promis, tôt ou tard. C'est là qu'un Batman Annual #2 permet d'y trouver une porte de sortie, et quelque part une forme d'aboutissement des idées évoquées dans la principale continuité.