Avec le passage du temps, on a rangé dans un placard la génération des grands auteur britanniques. Moore est au bord de la retraite, Gaiman s'est peu à peu retiré des comics pour leur préférer les pages d'une littérature moins illustrée, Garth Ennis répond surtout présent à l'appel de ses lubies militaires et Grant Morrison s'attache à des projets occasionnels entre les parutions du magazine Heavy Metal.
L'industrie s'est trouvée de nouveaux héros après leur éloignement, mais parmi la génération sacrée des grands d'Image Comics, ceux qui ont instauré le comics indé' comme nouveau standard d'excellence au creux des années 2000 et 2010, Warren Ellis était là. Warren Ellis est toujours là, qu'il s'agisse de caresser le souvenir de ses années WildStorm chez DC, de s'associer avec Dynamite pour un (excellent) James Bond ou de poser les nouveaux concepts fous qui viennent périodiquement ajouter à une bibliographie déjà épaisse, les comics ne se sont jamais réellement fait sans lui.
Cette semaine, Ellis retrouve son camarade de jeu de Trees, Jason Howard. pour le premier numéro d'une nouvelle aventure, baptisée Cemetary Beach. Il explique que ce projet est né de l'envie de son dessinateur, qui espérait travailler avec sur "une série d'action" - à partir de là, un pitch simple est rapide est mis en place. Une série d'action dans l'espace où Howard s'amuse à créer, tandis qu'Ellis peuple les temps morts entre deux explosions avec quelques dialogues efficaces, comme à son habitude.
Dans les années 1920, un groupe d'industriels et de scientifiques ont découvert avant les autres une méthode pour voyager à travers l'espace, sans en informer leur contemporains. Là-haut, incapables de s'en remettre à une astronomie encore balbutiante, ils ont stagné au fil des générations avant de commencer leur propre petite conquête coloniale - peu de détails sont livrés à ce sujet.
La narration impeccable attaque vite et bien, avec humour et une certaine verve dans les personnages, immédiatement attachants. La série part sur le suivi d'un duo, Mike Blackburn, un agent terrestre envoyé pour découvrir ce qui se trame sur cet Iron Sky non-lunaire, et Grace Moody, une meurtrière locale vraisemblablement rebelle et douée pour improviser. Les dialogues et les échanges sont tous réussis, et immédiatement perméables même dans une intro' qui va à l'essentiel.
L'idée de ce monde, présenté dans un interrogatoire expéditif en début de numéro, est ainsi calquée sur cette promesse de société qui n'existe pas, façon Jules Verne ou Edgar Rice Burroughs. Les occupants de la colonie, bloqués dans un flou temporel qui a commencé dans l'Entre-Deux Guerres, ont donc basé toute leur évolution sur l'ère motorisée de l'époque, obéissant aux diktats du genre dieselpunk mâtiné de space-op'. Le résultat est très agréable à l'oeil, entre les teintes grises et violettes chères à Jason Howard qui assure seul l'encrage et les couleurs du numéro.
L'artiste n'hésite pas à se faire plaisir sur les effets, la mise en scène de l'action (furieuse), qui évolue souvent en silence. Le numéro devient par endroits un bel exemple de la collaboration entre scénario et dessin, quand Warren Ellis et Jason Howard se relayent entre exposition et action. Il est facile d'imaginer un script noir sur blanc où l'auteur aurait laissé pour son pote, entre deux didascalies, "bon, là tu te fais kiffer. Juste, tu me laisses une case ou deux pour reprendre plus loin, histoire de caler une petite punch au calme" parce que c'est comme ça que parle Warren Ellis (en vérité, probablement pas mais n'excluons pas la possibilité). Il en ressort en définitive un joli travail de duettiste.
Sur le papier, ce premier numéro n'a contre lui que le défaut de sa qualité, avoir choisi l'action au détriment d'un autre genre d'histoires. Là où le lecteur aimerait se perdre dans cette société qui a vécu à part du genre terrestre, l'ensemble se présente davantage comme un bon roman de fugitifs qui esquivent les tirs de blasters (en l'occurrence, on serait plus sur du Luger ou du Webley). Autrement dit une bonne série pour les amateurs de ce pan là de Warren Ellis, mais pas forcément le nouvel immanquable de la biblio' du scénariste. Les fans de Jason Howard peuvent cependant foncer sans retenue.
Un défaut plutôt maigre pour un bon premier numéro, honnête dans ses intentions et quasi-irréprochable dans son déroulé. Avec l'expérience de différents genres, de différents styles et une écriture qui reste toujours pertinente malgré le poids des ans, Warren Ellis reste l'un des meilleurs pourvoyeurs de comics indé' en 2018. Il a en plus l'avantage de savoir s'entourer, et de tirer le meilleur de son dessinateur en lui laissant le choix des armes (littérales). Un bon premier numéro en attendant la suite.