Présents sur tous les supports et médias, les super-héros manquent malgré tout un certain coche : celui du jeu vidéo. Les techniques et l'imaginaire des comic books semblent pourtant destinés à faire les beaux jours d'un médium très exigeant et coûteux. Pour qui ne souhaite pas se satisfaire de jeux mobiles, la production reste assez maigre. Dominée par le modèle Batman Arkham, elle aurait pu trouver un nouveau souffle avec Marvel's Spider-Man, exclusivité des studios Insomniac Games, sorti en début de mois sur PS4 (exclusivement). Après en avoir fait largement le tour, qu'apporte donc cette nouvelle itération du Tisseur pour les gamers et lecteurs de comics ?
Pas d'introduction, pas d'origin sotry. Insomniac Games n'a pas besoin de préliminaires ou de s'en remettre à la mort de l'oncle Ben pour nous proposer, tout de suite, d'être dans la peau de Spider-Man. Avec la volonté d'afficher son côté blockbuster, c'est dans un furieux affrontement contre Wilson Fisk (Kingpin) et ses sbires que l'aventure commence, avant que les équipes ne se permettent, au cours des missions de l'aventure principale, d'étoffer leur univers - inscrivant sa propre continuité, avec quelques différences notables par rapport au canon habituel. Repensant la relation de Peter Parker à Otto Octavius, avec un Norman Osborn curieusement moins antipathique que d'habitude, ou dans la façon d'amener un autre personnage fan favorite, il y a de quoi jouer au jeu des sept différences, tout en restant dans un terrain somme toute assez connu.
L'avantage d'utiliser Spider-Man, c'est qu'avec l'ensemble des films sortis sur lui depuis le premier opus de Sam Raimi - et sans compter sur une popularité certaine depuis des décennies - il n'y a pas besoin de faire énormément de présentations. Tout le monde connaît MJ, tout le monde connaît Tante May, Jonah Jameson. Ainsi, l'univers s'anime et l'on retrouve ce qui fait déjà les charmes des aventures de papier de Peter Parker - dont la partie civile fait partie intégrante du déroulé.
Entre son job d'assistant scientifique (pour un certain docteur bien connu), ses difficultés à payer le loyer, et une rupture récente avec MJ, le quotidien d'un jeune adulte en galère, qui souhaite rendre service et protéger sa ville en même temps : le friendly neighborhood super-hero est bien là. Ainsi, quand les activités d'un nouveau gang, les Démons, commencent à mettre la ville à feu et à sang, Spider-Man ne peut que répondre à son devoir. En somme, la trame principale, aux sentiers assez balisés, dévoile quelques pistes secondaires qui prendront par la suite le pas. Insomniac Games distille des indices assez évidents pour teaser son déroulé, et c'est peut-être le lot des connaisseurs de ne pas avoir droit à beaucoup d'inattendu, quand bien même l'accélération (soudaine) de l'histoire dans le dernier acte peut décontenancer. Ainsi que certaines décisions du personnage sur la fin, qui illustrent amèrement le dicton sur les grandes responsabilités.
Sympathique, Spider-Man l'est pas son univers, vivant, une reproduction de New York - enfin, Manhattan un peu tronquée - qui offre par sa taille et une finition technique de qualité, à la fois le simple loisir de pouvoir voltiger entre ses immeubles, mais aussi d'aller découvrir les nombreux easter eggs à l'univers Marvel, de l'imposante tour des Avengers (si vous la loupez, pensez lunettes) aux locaux d'Alias de Jessica Jones. Certes, les précédents jeux consacrés au Tisseur auront déjà permis cette balade entre gratte-ciels, mais l'animation et la réalisation sont à présent à un autre niveau et offrent des sensations on ne peut plus agréables. A côté, l'action se montre aussi satisfaisante ; la comparaison au système Batman Arkham est inévitable, et s'il faut avouer que le tout n'est pas aussi maîtrisé (notamment sur l'enchaînement pour les combos), l'aspect voltige et aérien offre de quoi s'amuser, en lieu et place de gadgets bien présents, mais à l'usage moins amusant. Preuve est que certains n'ont même pas besoin d'être fabriqués pour terminer le jeu.
Et puisqu'on mentionne la franchise des jeux Rocksteady, c'est pour aborder le bât qui blesse autour de Spider-Man. Aussi agréable soit-il à jouer, le modèle a déjà été présenté à de multiples reprises. Le plaisir de découverte passé, la formule fera rappel pour ceux qui ont écumé les jeux du genre ces dernières années, avec l'impression d'une copie. Certes réussie, mais une copie tout de même. Et manquée par certains aspect - on pense aux séquences d'infiltration où le jeu n'incite pas plus que ça à varier sa façon de faire pour neutraliser des ennemis. Les vilains ? Parlons-en aussi ; on mentionnait précédemment une accélération dans le dernier acte de l'histoire, qui fait aussi intervenir plus de vilains, assez peu nombreux au départ. Et malgré leur présence, c'est dans leur exploitation que la faiblesse est là, ces derniers se contenant d'être des checkpoints au lieu d'avoir droit à leur propres histoires.
La générosité manque donc à l'appel, d'autant plus que les missions secondaires auraient bien pu faire plus appel aux personnages tiers, afin de flatter les fans les plus hardcore de Spider-Man. Et pourquoi pas, donner envie de les découvrir aux novices ? Ce qui est d'autant plus dommage car à côté, Insomniac Games a de quoi régaler le joueur, avec un ensemble de costumes alternatifs (dont certains très réussis), permettant de s'amuser comme il le faut sur l'aspect visuel, et qui apportent chacun leurs particularités.
Dans cet aspect purement ludique, et malgré une abondance de menus, Spider-Man vous donnera de quoi faire si vous souhaitez débloquer l'ensemble des costumes et améliorer tous les gadgets, puisqu'un système de jetons multiples vous poussera à remplir toutes les tâches secondaires à faire dans le jeu. On trouve un grand nombre de collectibles (qui là aussi, comparé aux systèmes des trophées du Riddler dans Batman : Arkham, sont moins nombreux, mais ne demandent pas à réfléchir pour pouvoir les débloquer), des lieux iconiques à prendre en photo - clin d'oeil au côté reporter de Parker - et des bases de vilains à écumer. Amusantes au départ, elles deviennent malgré toute la bonne volonté d'Insomniac Games assez répétitives sur la durée, et montrent à quel point le modèle du jeu ouvert est un véritable piège si on ne trouve pas de contenu pour l'alimenter.
Avec plusieurs dizaines d'heures de jeu à son compteur pour tout terminer (en difficulté maximale, pour un minimum de challenge), Spider-Man se révèle donc une expérience satisfaisante. Mais pas renversante. Il est vrai qu'espérer un jeu Spectacular ou Amazing aurait été de meilleure augure, et tout dépendra alors de vos attentes. Les pistes explorées par l'histoire, qui feront forcément plaisir aux lecteurs (entre autres, d'Ultimate Spider-Man), donneront envie de poursuivre l'aventure dans un second opus. Preuve est qu'avec Insomniac Games, incarner le Tisseur est concrètement réussi, mais on aurait apprécié que le studio se donne plus de mal : dans son histoire, dans son fan service, dans l'innovation sur le gameplay. Après tout, qui aurait envie de lire un titre The Average Spider-Man ?