D'abord envisagé comme un spin-off du Spider-Man 3 de Raimi, après de nombreuses années de gestation qui le voient aujourd'hui comme le fer de lance d'un nouvel univers partagé, le film Venom est à présent un film concret. Réalisé par Ruben Fleischer, à qui l'on doit les sympathiques Zombieland et Gangster Squad, amenant avec lui un casting de renom (Tom Hardy, Michelle Williams, Riz Ahmed), le film doit composer avec l'idée de porter à l'écran l'un des plus célèbres adversaires de Spider-Man dans un univers partagé où le Tisseur n'existe pas - puisqu'il est parti s'amuser avec les super-costumés de Marvel Studios. Une idée qui semble folle et surtout dénuée d'intérêt - mais après tout, une étude de personnage sur un super-vilain pourrait bien fonctionner en solo, non ? C'est fort probable, mais ce n'est pas ce qui a été entrepris sur Venom, alors disons le d'emblée : c'est un raté complet.
Commençons par la question peut-être la plus épineuse, celle du rapport indissociable de Venom à Spider-Man. Comme la production l'a expliqué, le symbiote alien ne rencontre ici pas de Peter Parker pour justifier son apparence et ses capacités, et le film fait le pari d'assumer ce choix. Décision que l'on peut comprendre au regard de questions de droits et de studios dont les décisions retombent, forcément, sur le contenu du film, comme on pourrait comprendre que chaque adaptation doit systématiquement renoncer à une partie du vaste univers comics, chaque fois amputé. Sauf que l'adaptation ne doit pas être prétexte au n'importe quoi, et qu'il existe tout un pallier de nuances entre le sacrifice inhérent et le jemenfoutisme total.
Ainsi, mis à part le fait d'avoir un Eddie Brock journaliste déchu (mais pour avoir trop bien fait son travail, pas mal fait) et un symbiote d'origine alien, aucun effort n'est fait pour coller ne serait-ce qu'un minimum à ce qui fait l'intérêt du personnage. En dehors du rapport à Spider-Man forcément inexistant, la relation entre Eddie et son double ne fonctionne jamais. A aucun moment, et ce malgré les nombreux soubresauts de caractère que traverse le symbiote : on assiste à ce sujet à une accumulation de scènes sincèrement gênantes. A moins que vous ne soyez fans d'un Venom coach en séduction. Dites nous, ou parlez en à votre médecin.
De fait, l'écriture du film est symptomatique d'une fainéantise à tous les étages, tant le déroulé enchaîne les poncifs, les petites phrases obligatoires dont on sait qu'elles reviendront à la fin, les éléments de foreshadowing aussi évidents qu'une langue au milieu d'un symbiote, des répétitions (de scènes, d'éléments visuels) dans une démarche explicative ad nauseam qui se paie le luxe d'avoir autant d'incohérences que d'éléments narratifs - vous savez, toutes ces règles qu'on vous explique au long d'un métrage, qui sont très importantes, et dont plus personne ne se souvient après un certain point ? Voilà.
L'exposition est interminable et sans surprise la fin s'accélère soudainement pour virer dans l'éternel boss fight qui vient conclure le tout (et qui ne régalera même pas les yeux), avant l'ouverture inévitable pour une suite dont on doute vraiment de l'existence dès aujourd'hui. Evidemment, les films de super-héros se ressemblent beaucoup, et la mauvaise écriture est commune à beaucoup de films de ce calibre - pensés par des gens en complet-cravate qui sortent plus souvent d'études de gestion ou de marketing que de cours d'écritures ou de votre comic shop local. Comme l'expliquait Shane Black, la différence fondamentale avec les projets Marvel Studios, souvent paresseux, calibrés et décevants eux aussi, tient dans le fait que celui qui signe les chèques a au moins fait l'effort d'ouvrir un comics du truc qu'il a prévu d'adapter. Ici, il y a sérieusement matière à douter - et Sony ne nous a qu'assez rarement habitués aux bonnes surprises, de toutes façons.
Du côté de la direction d'acteurs ? Tom Hardy, malgré tout son charisme, ne parvient pas à rendre Eddie Brock attachant, à force de gesticuler, hurler, jouer la comédie (?) - la comparaison à notre Louis de Funès semble à peine exagérée. Riz Ahmed n'est pas un antagoniste intéressant, tant la formule du visionnaire façon Elon Musk aux idées "pour le bien de l'humanité" trahit là aussi toute la paresse d'écriture - et les décisions stupides des personnages en même temps. On pourra d'ailleurs reparler de la vision du journalisme (découvrez : l'influenceur d'investigation) qui nous est offerte par Hardy. A côté, Michelle Williams semble ne pas savoir ce qu'elle fout là, et les autres rôles secondaires sont transparents. On se sent en vérité désolé pour le trio principal d'avoir été embarqué dans une telle galère - en particulier Hardy, qui a signé pour plusieurs films.
Visuellement, aussi, Venom n'a rien à offrir qui n'ait déjà été vu, ou plutôt quelque chose qui permettrait de surmonter l'ensemble des défauts déjà listés. Certes, on reconnaîtra une volonté de rendre la créature (qui sait se faire désirer) fidèle à ce que les comics ont apporté (même si Riot est super laid) - sauf que : Venom, c'est Venom. En définitive, sorti de l'encrier de Todd McFarlane, le héros est un simple tâche d'huile noire tentaculaire, et au cinéma, le rendu est forcément problématique.
Une fois de plus, le papier et le talent des artistes n'arrive pas à être reproduit, effets spéciaux ou pas effets spéciaux. Outre que ceux ci soient somme toute dans la basse moyenne des productions actuelles - avec quelque bouillies numériques bien écoeurantes par moments, personne ne semble avoir eu d'autre idée que de reprendre les pouvoirs de Prototype - avec le résultat qui est : on ne s'amuse même pas. A cet égard d'ailleurs, il sera inutile de débattre sur le PG-13 et le Rated R : si votre rédacteur aurait au moins trouvé à s'amuser avec du sang et du gore, à ce niveau, c'est l'ensemble du film qu'il aurait fallu revoir, pas juste sa violence graphique.
Dans la réalisation, Ruben Fleischer ne détonne pas particulièrement. Mis à part un dernier quart très brouillon, le réalisateur propose un ensemble qui ne fait pas foncièrement mal aux yeux - c'est à la fois un avantage et un inconvénient, dans le sens où quand le film n'est pas mauvais (quand les personnages se taisent, par exemple), il en devient simplement quelconque. Ce qui n'aide pas à relativiser ses problèmes, auxquels on rajoutera cette impression de ne pas savoir sur quel pied danser. Un film angoissant ? Une buddy comedy bizarre ? Une origin story de vrai anti-héros ? On arriverait à croire que Sony Pictures veuille véritablement proposer Venom comme axe central de son nouvel univers, en remplacement pur et simple du Tisseur (on lorgne littéralement vers le friendly neighborhood Venom), dans une démarche d'atténuation du côté "méchant" du personnage qui rappellera le traitement d'un Deadshot dans Suicide Squad.
En définitive, et pour terminer sur une note positive, notons la seconde scène post-générique (on préfère ne pas revenir sur la première) qui n'a rien à voir avec Venom, puisqu'il s'agit d'un extrait de Spider-Man : into the Spider-verse. En quelques minutes, Sony arrive à proposer plus d'inventivité, de richesse et d'énergie - et d'amour des comics - que ce que l'heure cinquante précédente a pu faire ; ce qui ne légitime en rien de payer sa place de cinéma (on suppose que l'extrait arrivera sur la toile prochainement), et permet au moins de soulever cette grande question : mais comment le studio derrière Into the Spider-verse peut-il également commettre Venom ?
Ne voyez dans cette note et dans cette critique aucune envie de faire dans l'hyperbole : Venom est un mauvais film. C'est tout. Parti d'une idée déjà très discutable (le spiderless-verse), le film propose un anti-héros sans aucune saveur, qui tire à peine parti de son support initial, pour un film à l'histoire éculée, aux répliques et propos qui vont du fainéant au navrant. Et quand bien même seriez vous amoureux du baveux et de son apparence, il n'y aura même pas de quoi s'amuser visuellement. Si Sony Pictures compte réellement lancer un univers partagé en partant de là, il va falloir corriger le tir très vite. Et plus que vite même. A ce niveau, il y a urgence.