De l'autre côté de l'Atlantique, nos voisins anglo-saxons ont pu découvrir la première production originale de l'initiative DC Universe, un service de streaming exclusif aux adaptations de l'éditeur DC Comics lancé au début de cet automne. La diffusion se perpétuera sur Netflix d'ici quelques temps en Europe.
De premiers échos du côté des Etats-Unis commencent à nous parvenir au sujet des trois premiers épisodes (accessibles à la critique en avant-première), mais les différences de culture qui séparent nos deux civilisations - en particulier sur le plan artistique - obligeaient un sens la rédaction à se prononcer elle-aussi sur le pilote de Titans. La première série du DC Universe et, en toute logique, celle qui battra la mesure d'un éventuel nouvel univers partagé sous l'ère de Berlanti Productions.
Beaucoup de choses vont être dites et répétées sur ce premier épisode, qui risque de segmenter une fois de plus un fandom des plus disparates. Autant jouer carte sur table d'entrée de jeu : Titans est une très mauvaise adaptation de ce qu'elle prétend transposer à l'écran. Tout ce que vous avez pu entendre sur la violence (gratuite) est vrai, et la série ne trahit pas les goûts et habitudes de sa société de production. Et ensuite ?
Titans s'ouvre sur le personnage de Rachel Roth, une jeune lycéenne tourmentée par d'étranges visions. Ce qui ne sera un étonnement pour personne dans le lectorat de cette critique (ou du moins, c'est ce que nous aimerions croire), puisqu'il s'agit bien évidemment de la version télévisuelle du personnage de Raven, fille de Trigon et princesse des enfers. Apeurée par la traque d'une secte éventuelle qui voit en elle la menace d'une sorte d'antéchrist, elle fuit à Détroit retrouver le sujet d'une de ses visions. C'est ainsi qu'elle entre en contact avec Richard Grayson, inspecteur de la police de Détroit et nouveau protecteur costumé de cette ville loin de Gotham City.
L'intrigue de l'épisode gravite principalement autour de ces deux personnages, Kory Anders (Starfire) étant traitée à part dans une sorte de sous-segment déconnecté. Le scénario, très conventionnel, avance vers un cheminement que beaucoup pouvaient anticiper : comme un photographie dont on aimerait accentuer les contrastes et désaturer les couleurs. Si Nightwing est généralement associé à l'idée d'une figure souriante, sympathique, généralement brave et courageux, il ressemble davantage ici à un portrait sérieux de Jason Todd en meneur des Outlaws. Celui qui avait été ramené à la vie. Traumatisé par un souvenir associé à Batman, le portrait que la série fait de lui est celui d'un solitaire, assez peu causant et extrêmement violent à l'égard de ceux qu'il appréhende.
Rachel est de son côté un compromis entre le personnage des comics et une vision assez classique de l'adolescente perdue, en fuite et apeurée. L'inconvénient de l'écriture est qu'elle laisse assez peu de place aux dialogues - très peu d'échanges dépassent le cadre des trois ou quatre répliques, on apprend plus à comprendre les héros à travers les moments de silence que ménage la série. A ce sujet, les choix musicaux sont assez maladroits, souvent perdus dans l'étalage d'une musique brutale ou faussement oppressante, qui ne correspond pas à la nuance des plages de calme froid (plutôt réussies) de certaines scènes.
Quant à Starfire, si le personnage a fait débat pour sa couleur de peau, il ne s'agit que d'un détail sur la longue liste des écarts que la série s'autorise vis a vis de l'héroïne. Amnésique, elle nous est présentée comme un Jason Bourne en tenue de soirée, avec un parcours manifestement lié à la pègre autrichienne (c'est à Vienne que l'on fait sa connaissance), aussi plus cruelle ou détachée que son équivalent de papier. Les acteurs sont dans l'ensemble bien dirigés, dans une certaine sobriété de jeu qui accompagne l'économie de dialogues. Anna Diop, Teagan Croft et Brandon Thwaites s'en sortent tous avec les honneurs - et s'ils ne correspondent pas aux héros de comics dont ils empruntent le nom, chacun correspond au rôle qu'on a écrit pour eux.
Thwaites en particulier ne dénote pas du Richard Grayson classique. Juvénile, athlétique, on se fait une bonne idée du personnage en Nightwing crédible, avec ou sans le costume. La réalisation soigne (un peu) la seule réelle scène de combat de l'épisode, et évolue généralement avec une certaine distance pas désagréable. C'est l'un des points que la plupart des critiques n'évoquent pas : si aux Etats-Unis, tous s'amusent à rappeler le passé des adaptations DC Comics et leur goût pour la violence, le "so dark, so edgy", la différence se situe justement à un point d'accroche visuellement plus travaillé que des propositions mal filmées ou mal jouées comme Gotham.
Ce premier épisode est réalisé par Brad Anderson, un metteur en scène de cinéma et aussi de séries télévisées - on a pu le voir sur The Killing, Boardwalk Empire, Fringe ou Forever. Il met de son côté à profit les manies de Berlanti Productions pour les filtres et les teintes numériques, avec le choix d'éclairages souvent naturels, froids, blancs ou bleus, pour trouver une sorte de proximité avec le réel qui manque souvent aux séries de la CW, par exemple.
Le montage de l'arrivée de Raven à Détroit est un exemple de cet effort stylistique, où le registre de couleurs bleutés filme un pont, un bus, un ensemble de décors plus pragmatiques que les habituels bureaux de riches malfaisants ou les rues canadiennes de séries de commande. C'est probablement dans ce rapport au réel, et cette esthétique de la normalité (sans grandes envolées) que cherche à imposer la série sur ce premier épisode : un esprit ancré dans quelque chose de pragmatique, de concret. D'où un certain éloignement avec la matière comics. L'école de style DC Comics trahit ses inspirations, entre Man of Steel et la première saison de Arrow, comme si la production était dirigée par un étudiant en cinéma sorti d'école qui cherchait à bien faire et répliquait un modèle de ce qu'il aime, quitte à aller trop vite dans l'excès.
Puisque, si la patine et le rythme sont généralement assez calmes (et on salue cette envie de sobriété), la question de la violence risque bien d'être le débat qui agitera les internets affranchies à cette première diffusion. Plus que la façon de faire, c'est la gratuité générale de ce choix violent - résumé à l'usage de la réplique "fuck Batman", aussi stérile et adolescente que ce que les bande-annonces laissaient à voir - qui impressionne le regard. Pour comprendre, il suffit de se pencher sur les dernières années d'existence du super-héros sur les écrans.
La plupart des productions sont expurgées de violence, à l'exception de séries plus sérieuses comme Daredevil, Jessica Jones ou le Punisher. A l'époque de ces sorties, personne ne s'était d'ailleurs amusé à moquer le ton (extrêmement sombre) de ces productions - l'héritage de Zack Snyder conditionne malheureusement Titans à ce genre de critiques. Il est vraisemblable que c'est dans l'héritage des séries de Marvel Televisions et Netflix que Titans a été puiser une partie de ses intentions créatives : des séries plus réelles, moins enlevées que les versions cinéma, filmées à hauteur d'hommes et prenant l'utilité de la narration épisodique pour approfondir le caractère de ses héros.
La CW ne fonctionne pas comme cela (ou plus depuis longtemps), et avec cette nouvelle plateforme de diffusion qu'est le DC Universe, qui fixe ses propres règles, ses propres codes et ses propres expérimentations, Berlanti Productions n'a manifestement pas réussi à trouver sa propre limite. Il en ressort une grave puérilité dans la façon dont ces héros (?) rendent la justice et, associés à un scénario plutôt sec qui ne prend pas la peine de dire qui ou quoi, de propulser ces vifs échanges en véritable trip d'adolescent. Les différences avec les héros en comics, en particulier quelques semaines après la sortie de Teen Titans Go! to the Movies, l'exact inverse en terme de réécriture des jeunes héros (beaucoup trop mignons, gentils et drôles), le cadran ne se trouve pas et on craint de se lasser assez vite de ce déluge de noirceur sur toute une saison.
Il ne serait pas inintéressant, toutefois, d'approfondir la question. Puisque, cela fait désormais sept ans qu'une partie du public évolue en compagnie de Green Arrow, de Flash, de Legends of Tomorrow. Et contre les pronostics, les séries de la CW et de Berlanti Productions ont fait mentir le baromètre et survécu aux vagues d'annulations qui ont emporté Constantine ou Gotham. Prendre en considération ce public, biberonné à une école entière de triangles amoureux, de plans abdominaux et de paresse dans la démonstration visuelle, devrait nous amener à nous demander : qu'attendent réellement les gens devant les adaptations de comics?
Avec en tenailles la troisième saison de Daredevil et la sortie récente de Venom, la réponse donnée par Titans est éloquente. En résumé, DC Comics assume son style, son héritage et une partie de sa lignée héritée du Dark Age, quitte à se mettre les fans des comics à dos au profit des fans de Berlanti et de son esprit particulier. Si l'on devait dessiner une courbe dans l'évolution du travail artistique proposé par la société, celle-ci irait à la hausse, depuis Arrow jusqu'à Titans et éventuellement Chilling Adventures of Sabrina. Le résultat sera donc proportionnel à ce que chacun attend devant son écran de ce genre d'adaptations à licence, de sa tolérance au changement et, évidemment, de sa capacité à trancher entre ce qui va et ce qui ne va pas quand le constat est balancé entre ces deux idées.
Mais même en prenant en compte cette considération, la vérité est que Titans n'est pas la purge que beaucoup attendaient et que certaines critiques (sévères) décrivent déjà. Ou, pas pour l'instant, puisque c'est principalement la réalisation, les acteurs et la sobriété de ton générale qui aide ce premier épisode bien dirigé, ce qui ne sera peut-être plus le cas ensuite. Reste que le constat est loin devant les trahisons plus authentiques ou plus universelles que peuvent être Krypton ou Gotham, et loin derrière le travail plus adulte ou plus créatif de Daredevil ou Legion. Un produit de milieu de gamme, qui a au moins l'avantage de valider cette nouvelle liberté proposé par le diffuseur DC Universe - peut-être un premier bon signe pour les projets Titans ou Swamp Thing.