Présente à la récente Comic Con Paris sur le stand d'Urban Comics, l'artiste et scénariste Joëlle Jones a accepté de nous accorder de son temps pour répondre à quelques questions. Artiste talentueuse et en véritable ascension dans l'industrie des comics, de son creator owned Lady Killer à ses différentes productions chez DC (Supergirl : Being Super, Batman, Catwoman), Joëlle Jones fascine par son trait marqué, et c'est donc avec plaisir que nous vous proposons cette interview. Bonne lecture !
Je pense que les lecteurs VF commencent à connaître ton travail avec Lady Killer et Batman. Mais pour ceux qui ne te connaîtraient pas, pourrais-tu brièvement te présenter et nous dire comment tu t'es lancée dans les comics ?
Oui, bien sûr. Je m'appelle Joëlle Jones, j'écris et dessine en ce moment une série Catwoman et j'ai écrit et dessiné Lady Killer chez Dark Horse (nda : en VF chez Glénat Comics). J'ai toujours lu des comics depuis petite, mais je suis entrée dans l'industrie en 2004. J'ai arrêté mon école d'art, je me suis fait un portfolio, et ait eu un premier job chez Dark Horse. J'ai ensuite continué d'enchaîner les travaux, jusqu'à en arriver là.
En général, on voit souvent des artistes/auteurs commencer chez les Big Two avant de faire leur titre en creator-owned. Mais pour toi, c'est l'inverse. Tu ne voulais pas rester là dedans ?
J'ai toujours voulu essayer toutes sortes de travaux. Quand j'ai commencé dans les comics, je faisais surtout du graphic novel, qui font de 200 à 220 pages et me prenait énormément de temps. J'ai un profond amour pour les super-héros, mais à l'époque mon style artistique n'était pas encore là, et il fallait que je travaille sur différents titres pour que je sois enfin prête à montrer un travail plus dynamique.
Lady Killer est plutôt violent, si je puis dire. J'aime beaucoup la façon dont tu dessines le sang, tu n'utilises que de l'encre. C'est une façon artistique que tu as choisies avec Jamie S. Rich ?
J'aborde toujours mon travail en noir et blanc. Une éclaboussure rouge ne me semble pas violente ou inquiétante, mais les éclaboussures d'encre noire pour faire le sang me semblait plus réalistes. Et ça donnait un rendu plus abouti plutôt que de se reposer sur une couleur pour le terminer. J'ai été chanceuse d'avoir Laura Allred qui a magnifié mon art, mais si le sang n'avait pas été complètement d'encre, ça ne m'aurait pas semblé aussi sérieux.
Tu as un encrage très épais sur tes dessins. C'est une façon d'encrer que tu avais dès le départ ou que tu as expérimenté ?
J'ai fait beaucoup d'expérimentation. Au début de ma carrière j'avais un trait plus doux et une approche plus cartoon, mais ce n'était pas ce que je voulais faire. Je voulais quelque chose de plus dynamique, de plus gourmand. Quand je faisais une page de Lady Killer, ça ne me semblait jamais fini, parce que c'était trop joli. Si je rajoutais de l'encre sur les planches, ça le rendait en quelque sorte plus "moche", et c'était plus à propos avec ce dont parle le bouquin.
Peux-tu me dire comment tu es arrivé sur Supergirl : Being Super avec Mariko Tamaki ?
Je suis très fière de cet ouvrage. Je n'ai jamais été une grande fan de Supergirl. je n'en avais jamais lu. Je ne savais pas si j'avais envie de travailler sur le personnage lorsqu'on me l'a proposé, car je n'avais pas de connexion avec elle. Mais lorsque j'ai lu le script de Mariko, que j'ai vu ce qu'elle faisait d'elle, et ce que ressentait Kara - je m'y suis tout de suite identifié. J'ai trouvé ça à la fois honnête et émouvant, et je me suis dit que ce serait le genre d'histoire dont je serais fière de faire partie.
As-tu pleuré en lisant le script du second numéro ?
Oui ! (rires)
Moi aussi, en le lisant.
Vraiment ? (rires)
Oui, c'était horrible ! Par la suite, tu es arrivée sur Batman, un personnage qui n'a pas grand chose à voir avec Supergirl. C'est quoi Batman pour toi ?
J'adore Batman, mais je n'ai jamais pensé qu'à un moment de ma carrière j'en serais à le dessiner. C'est Tom King qui a demandé à ce que je fasse partie de l'équipe, et je ne savais pas si je serais assez bonne pour le faire. Travailler avec lui m'a permis d'avoir plus confiance, pour que je sois moi-même, et une fois les dix premières pages faites, je me suis vraiment sentie plus à l'aise.
Comment sont ses scripts ? Avec beaucoup de détails ? Comment se traduit sa façon d'écrire ?
Tu sais, c'était une des expériences les plus gratifiantes que j'ai eues avec un scénariste. Il a cette étrange capacité de s'adapter à tous les artistes avec qui il travaille. Au début, on était pas sûr de la façon de travailler ensemble, et il a dû me comprendre, car il a commencé à écrire ses scripts de façon différente. Et j'étais toute excitée à chaque description de case. Et oui, son script est tout aussi clairsemé que son écriture. Il y a très peu d'indications. Mais il a cette capacité d'écrire à son artiste comme une discussion, pour aborder les émotions, et ce qu'il est fun de dessiner, sans le faire avec plein d'ajouts.
Il t'indique quand même comment faire le découpage ? S'il y a une splash page à faire par exemple ?
Oui, mais c'est plutôt comme une suggestion, la façon dont il le verrait. Il est très ouvert à la collaboration, donc si je vois quelque chose de façon différente, j'ai la capacité de pouvoir l'explorer. Parfois, tu n'as pas à lui dire d'abord, y a juste à le faire (rires).
Dans ce premier arc, le combat entre Catwoman et Talia Al'Ghul se ressent vraiment comme un hommage à celui entre Batman et Ra's Al Ghul que Neal Adams a dessiné il y a des décennies. C'était délibéré ?
Non, ça ne l'était pas. En vérité, je n'avais pas lu ce numéro quand j'ai fait les dessins. Et je suis allé le lire après coup. Mais pour Tom King c'était sûrement le cas. Et du point de vue de l'histoire, ça devait arriver. Il fallait qu'il y ait un affrontement, alors pourquoi ne pas le rendre cool ?
Quand tu dessinais ces numéros puis l'arc avec Wonder Woman, tu savais que le mariage n'aurait pas lieu ?
Oui, je l'ai su tout du long (rires).
Et tu n'avais pas envie de dire aux lecteurs "ne croyez pas ce que Tom King vous raconte !".
Non (rires). Quand tu as un scénariste que tu adores, et sa façon d'écrire le personnage, il y a une certaine confiance que tu as, et tu dois croire qu'on va te raconter une bonne histoire, et bien traiter le personnage, et il faut que tu acceptes de te laisser prendre par la main. Je pense que les lecteurs qui ont été spoilés, et qui n'ont pas lu le numéro (nda : Batman #50), je pense qu'ils ont loupé quelque chose. Quand tu le lis, il n'y a pas d'autre façons dont les choses auraient pu se passer. Je pense que c'est une jolie chose qu'il a construite, et j'avais envie que les lecteurs puissent le découvrir. Je n'ai donc rien dit (rires).
Tu es maintenant sur la série Catwoman, que tu écris, comme tu avais écris Lady Killer. Ca fait quoi d'être à la fois scénariste et artiste ?
Ca fait bien plus de travail (rires). Les artistes doivent prendre beaucoup de décisions. Et je pense que beaucoup d'artistes sont aussi des scénaristes en leur for intérieur. Dans les scripts, tu dois choisir les angles de vue, les décors, les personnages. Ce process était déjà en moi et je n'avais qu'à le pousser. C'est donc une charge de travail plus importante, mais le meilleur à en retenir, c'est que personne ne me force à dessiner ce que je ne veux pas dessiner. Ou plutôt : si je n'ai pas envie de dessiner, ce sera de ma faute (rires) !
Tu as des directives spécifiques de la part de DC sur la direction de l'histoire ?
J'ai eu beaucoup de chance ! Ils me laissent m'amuser, et pour le moment les retours ont été bons. On ne m'a pas vraiment retenue. J'imagine que tant que la série se porte bien, je n'entendrai rien !
A la fin du troisième numéro, on assiste au retour d'un personnage lié au passé de Catwoman. J'imagine que tu as lu toutes les séries précédentes ?
Oui, ça m'a pris beaucoup de temps (rires) !
Et pourquoi ce choix en particulier ?
Après avoir quitté Bruce, Selina n'est pas à son mieux. Et la meilleure façon d'aborder ce qu'est Catwoman est, et qui est Selina Kyle, peut se réfléter dans des relations intimes. Une relation de soeurs est comme ça, et ramener Maggie devrait donc au final nous en dire plus sur Selina.
C'était un choix spécifique de prendre Fernando Blanco pour les flashbacks ?
Il faisait partie d'une liste d'artistes qu'on m'a proposée. J'ai jeté un oeil, et j'ai beaucoup aimé son art. Ses layouts sont très dynamiques, et j'adore son storytelling.
C'est aussi une façon d'avoir un "back-up" compte tenu du rythme des 20 pages par mois ?
Je pense qu'ils voulaient que j'aie un peu plus de temps avec mes scripts, parce que je les dessine le même jour auquel je les écris. J'avais besoin de plus de temps pour construire la direction de mon histoire. Et je n'étais pas tout le temps contente au final dans la façon dont certaines scènes étaient réalisées. Il fallait donc plus de temps pour que je puisse écrire et prévoir en amont, et j'ai pensé que la meilleure façon était de ramener quelqu'un qui pourrait faire les flashbacks, pour qu'il n'y ait pas d'interruption dans la publication.
Tu te projettes jusqu'à quel numéro sur cette série ?
J'ai beaucoup plus de numéros en tête que d'écrits. J'ai fini le script de Catwoman #6, et par la suite j'espère ramener un autre artiste, pour me concentrer uniquement sur l'écriture. Ensuite, je devrai pouvoir dessiner pour un autre projet... Je pense que les artistes sont très excités à l'idée de dessiner d'autres personnages, et je veux tous les faire (rires) !
Tu ne comptes pas revenir sur Batman tout de suite ?
Je ne peux pas le dire. Mais je suis très excitée d'essayer quelque chose de nouveau. Mais c'est un petit truc. Et quand j'aurais fini, j'espère pouvoir retourner sur Catwoman !
Merci beaucoup !
Remerciements : Urban Comics