Nous avons pu rencontrer il y a peu l'artiste Freddie Williams II, invité par Urban Comics pour la dernière édition de Comic Con Paris. Artiste ayant évolué principalement chez DC Comics ces dernières années, il aura connu tout aussi bien les dernières années de l'époque pré-Flashpoint, beaucoup oeuvré pendant les New 52 et se sera attelé à de multiples crossovers de licences, notamment le diptyque Batman & les Tortues Ninja. Nous avons profité de sa présence pour parler de ses travaux passés et présents, ses opinions sur les comics et les crossovers. Une interview que nous sommes ravis de vous proposer, à retrouver ci-dessous !
Il y a pas mal de temps, tu dessinais la série Robin chez DC Comics. Tu peux nous expliquer comment tu es arrivé chez eux ?
En 2005, j'ai été sélectionné à la "DC Comics Talent Search" de la Comic Con de San Diego. En octobre de cette année, Peter J. Tomasi, qui était éditeur à cette époque, m'a appelé pour que je fasse les trois derniers numéros - deux et demi, en vérité - de la mini-série Seven Soldiers of Victory : Mister Miracle que Grant Morrison écrivait - et dont le précédent artiste [nda : Pascal Ferry] avait dû s'en aller pour d'autres obligations. J'ai ensuite fait un fill in sur Aquaman #39, et je suis ensuite arrivé sur Robin, mon premier titre régulier chez DC, sur lequel je suis resté grosso modo deux ans, en faisant des aller-retours avec The Flash, jusqu'à ce que la série prenne fin.
On dirait que tu as une préférence pour les bat-personnages ? Quel est ton rapport à la Bat-famille ?
C'est sûr que j'aime les dessiner ! Je viens d'une famille dysfonctionnelle. Je n'ai jamais connu mon père, et d'avoir cette super figure paternelle telle que Batman aurait été chouette. D'autres enfants de mon âge se voyaient peut-être en Batman, mais je me voyais en Robin. C'est ce qui était le mieux pour moi, puisque tu as le papa le plus cool du monde - enfin, je crois ? Mais dans la Bat-famille, le patriarche, c'est Batman, et il est si sombre qu'il lui faut un levier, un peu d'humour, de quoi l'éclairer un peu. En purs termes d'histoire, il s'agit d'avoir des contrastes, dans leurs personnalités notamment. Et visuellement, ils ont les meilleurs designs.
Le design de Batman est quasi-parfait. Quelque soit l'angle avec lequel tu le dessines, tu sais que c'est lui. Que tu zoomes sur ses gants ou ses bottes, tu sais que c'est lui. Et concernant son rejeton, c'est aussi cool. Quand tu le dessines, beaucoup se moque de Robin parce qu'il a du jaune à l'intérieur de sa cape, ce qui en fait une cible facile. C'est vrai si tu tiens vraiment à l'idée d'être un ninja dans le noir. Mais visuellement, ça fonctionne très bien puisque tu as cette personne toute de noir vêtue et cette autre hyper colorée, c'est très dynamique.
La série que tu dessinais était consacrée à Tim Drake. C'est ton Robin préféré ?
Oui. D'abord parce que c'est le seul Robin qui s'est vraiment porté volontaire - bon, tu peux dire que Spoiler/Stephanie Brown l'était un peu aussi. Les autres Robins ont un peu été poussés à cette position, alors que c'était le choix de Tim, c'est ce qu'il a entrepris. Et sur les numéros que j'ai fait, j'essayais de le rendre plus épais pour en faire une sorte de Batman plus jeune. Je travaillais sur le corps, sur les ombres, un tas d'éléments de langage visuel pour qu'il fasse penser à Batman. J'aime sa personnalité, et je pense que c'est celui qui mérite le plus le titre de Robin.
Ca ne t'as pas choqué le sort de Tim Drake avec les New 52 du coup ? Qu'il n'ait jamais été Robin ?
C'est devenu vraiment bizarre durant les New 52. Je ne suis même pas certain de ce que la continuité devait être. En gros, Tim Drake n'avait jamais été Robin, mais il était un personnage appelé Red Robin. C'était étrange. Je comprends pourquoi ils ont dû faire ça : si Batman devient un nouveau personnage dans la continuité des New 52, comment expliquer son héritage de trente années de Robins l'accompagnant ? Mais c'était bizarre pour Tim, c'est clair.
Pendant les New 52 tu as aussi fait une série avec Gail Simone, The Movement. Tu peux nous en parler ?
J'avais commencé pendant les New 52 avec Captain Atom, pendant treize numéros. Après ça j'ai enchaîné sur Green Arrow sur quatre-cinq numéros, puis je suis parti chez Dark Horse pour faire Brain Boy. C'est une sorte d'histoire d'un jeune agent des services secrets, quelque chose comme ça. Et pendant que je finissais cette série, Gail Simone a eu l'idée de la série The Movement. J'avais déjà bossé avec son éditeur Joey Cavalieri sur Green Arrow, et ils recherchaient quelqu'un pour dessiner des personnages street level avec une tournure assez sombre, avec des adolescents diversifiés. Et quiconque jette un oeil à mon travail s'aperçoit que mes personnages sont assez variés, c'est d'ailleurs ce que je recherche, je ne veux pas me retrouver coincée dans une sorte de formule. Ils m'ont donc demandé des sketches des personnages et ma direction leur a plu.
Et puis, j'avais aussi beaucoup envie de travail avec Gail. Quand tu vas à plusieurs conventions, tu retrouves souvent les même personnes, et j'avais vu Gail plusieurs fois. Je suis pote avec Nicola Scott, qui a bossé avec elle, avec J.T. Krul également, qui est son ami. On traînait un peu dans les mêmes cercles, et j'avais donc cette opportunité de travailler avec elle. Gail m'a envoyé ses idées pour The Movement, le contexte général. C'était un titre conscient et engagé socialement, politiquement, mais qui ne visait pas une forme de politique ou des personnalités en particulier. Ca portait surtout l'attention sur des personnes qu'on prive de droits, et qui ne devraient pas rester dans cette situation. Des personnes qui s'entraident et qui par différents moyens réussissent à ne pas être impuissants. Ce message m'a touché, et ce n'était pas clivant.
Au final, la série a été annulée après douze numéros...
Oui. Malheureusement ça ne s'est pas beaucoup vendu. Mais ça reste une des séries sur lesquelles j'ai travaillé que je préfère.
Crois-tu qu'elle était malgré tout trop politique ?
C'est possible. D'autant plus que les comics de DC et Marvel sont majoritairement vendus aux Etats-Unis, où le climat politique est plein de dissensions. C'est très facile de voir ça, ne serait-ce qu'en regardant un peu la télévision.
Mais à l'époque de publication, ça n'était pas encore comme ça ?
Ce n'était pas aussi terrible que maintenant. Dans ma vie, c'est à présent que les divisions sont les plus marquées, mais je me rappelle que lorsque j'étais enfant, je me rappelle que mes parents me conseillaient de ne pas aborder certains sujets dans les discussions, tellement ça pouvait très vite s'enflammer. Du coup, je pouvais voir ce qui pourrait rebuter des lecteurs dans The Movement, bien que le message n'était pas de dire si tel ou tel politicien est bon ou mauvais. Mais il y avait déjà un climat de désaccords.
Tu penses que ces sujets de discussions devraient aussi être mis à l'écart des comicbooks ?
Non, je ne pense pas. Ca dépend de la personne qui veut aborder ce type de message. Je pense que certaines personnes devraient en parler, mais si elles ne le souhaitent pas, elles n'ont pas à le faire. Ca ne devrait pas être une obligation. J'e connais des gens qui couvrent à peu près tout le spectre politique, et je suis m'entends bien avec toutes. Dans nos conversations privées, on échange des points de vue sur certaines questions, et même si on est en désaccord, on se connaît assez bien pour rester civils malgré tout. Et il y a un manque de ce côté là. Je n'ai donc pas la réponse à la question, ça dépend des envies des créatifs.
Dans tes derniers projets, tu m'as l'air plus dans l'approche divertissement, avec les crossovers Batman/Tortues Ninja. Tu avais déjà bossé sur les Tortues avant ?
Juste une couverture pour TMNT #24. J'avais fait d'autres dessins pour des conventions ou pour moi-même, mais pas plus. Je suis aussi un grand fan des Tortues, et - woaw - quelle chance j'ai eu de faire ce crossover. Quand j'avais neuf ans, j'ai découvert les rééditions en couleur des Tortues de Eastman et Laird. Et ce qui m'a attiré, c'est l'ambiance gritty et l'aspect massif des tortues. Tu pourrais croire qu'elles sont faites de roche, leur masse musculaire est énorme. Ca reste un drôle de concept quand tu le dis tout haut : j'ai tenté de l'expliquer à ma mère, ça l'a rendue plus confuse qu'autre chose ! Même s'il y a un peu d'humour, les Tortues originelles se prennent assez au sérieux, et pour je ne sais quelle raison, ça me plaît.
Comment as-tu travaillé avec James Tynion IV, le scénariste ?
Pour le premier volume, je n'ai reçu que les scripts. et grosso modo dessiné ce qu'il y avait d'écrit. De temps en temps je lui demandais de faire quelques réductions sur le rythme. Sur le second volume, ça a été bien plus collaboratif. D'une part on avait bien travaillé ensemble la première fois, et de l'autre il était sur tout un tas de projets à la fois. Il m'a demandé de lui fournir une liste de choses que j'aimerais dessiner. Il avait ensuite plein d'idées de façon à mêler ces éléments. De façon plus générale, il a accordé plus d'attention à ce que je voulais dessiner. Les scripts étaient moins détaillés, il y avait plus d'espace et plus de libertés dans la façon dont j'allais mettre en scène, faire le découpage. C'est ce qu'on appelle la méthode Marvel, ou la "plot method". Quand le scénariste donne plus de responsabilités à l'artiste. C'était vraiment intéressent et m'a donné envie de travailler comme ça plus souvent.
Et ce n'est pas le seul crossover que tu fais. Il y a eu He-Man (Musclor) et les Thundercats (Cosmocats), et maintenant Injustice avec He-Man. C'est quoi ton truc avec tous ces crossovers ?
Je veux faire tous les crossovers possibles dans ma vie ! De mon point de vue d'homme quarantenaire, je pense que les gens de ma génération n'ont pas pu voir beaucoup de crossovers, mis à part quelques apparitions de Batman dans la série Scooby Doo. Quand j'étais petit, je jouais avec mes figurines He-Man et Thundercats, donc le crossover s'est fait dans mon esprit, et probablement dans celui de beaucoup d'autres enfants. Aujourd'hui, tu vois tes personnages préférés réunis ensemble dès ton enfance. Donc je pense que l'explication c'est ça : c'est juste fun, les gens aiment voir ça, et ça rencontre un certain succès, du point de vue financier. Les éditeurs voient qu'il y a un marché pour ça, et il y a quantités de scénaristes et artistes qui ont envie d'écrire/dessiner des crossovers. Et ça rapporte de l'argent, donc tout le monde est gagnant !
Mais tous les bouquins doivent rapporter de l'argent. Tu me dis que là ce serait encore plus le cas ? Qu'il n'y a pas trop d'envie créative derrière ?
Je ne sais pas. Les scénaristes avec qui j'ai travaillés ont un profond respect et amour pour ces licences. Je ne sais pas de quelle façon la personne en charge du marketing et des affaires parle de ces choses, ni quelles sont leurs motivations. Mais quand je travaille avec Tim Seeley pour Injustice/He-Man ou Rob David et Lloyd Goldfine pour He-Man/Thundercats, ou encore James, ils m'ont semblé avoir de l'amour pour ces personnages et envie de les mettre ensemble, ce n'était pas juste quelque chose bricolé pour de l'argent. C'est en tout cas ce que les crossovers sont pour moi. Si ça représente autre chose pour quelqu'un d'autre, je ne sais pas.
Je pense qu'il y a aussi un rapport particulier avec le public américain - ou l'âge...
Oui, tu n'étais pas né à cette époque ! Il y a eu un reboot des Thundercats en 2011 sur Cartoon Network, et j'ai trouvé ça super. Mais à part ça, c'est une licence présente depuis un certain temps. Il y a eu des comics He-Man de temps à autre, mais c'est vraiment étant enfant que je les ramenais ensemble, avec mes jouets. Les faire se retrouver en comics, c'était un rêve pour moi.
J'imagine que voir ces crossovers à l'écran ça te plairait alors !
Je ne suis pas sûr que ça marcherait de la même façon. Je pense qu'il faudrait un budget si grand pour faire ça que ça n'aurait pas de sens. J'adorerai voir ça si c'est fait correctement, mais j'ai le sentiment que s'il y avait deux franchises à succès He-Man et Thundercats au cinéma, ils ne les mettraient jamais ensemble. Ou alors ce serait un pari budgétaire tellement grand qu'un studio pourrait tomber pour ça. Ou alors ce serait tellement petit budget que ce serait ridicule.
Un petit mot sur l'édition française de Batman & les TMNT, qui sont bien plus petites que la VO ?
Elles sont très petites oui. J'en avais commandé et fait livrer aux US avant que je sache que je viendrais en France. Quand je l'ai ouvert j'étais surpris, non seulement par la taille - qui doit être liée à votre format de lecture, je n'ai rien contre ça - mais aussi parce que les dessins sont rétrécis, avec une bordure blanche à l'extérieur (nda : on en parle avec Urban en podcast). C'est peut être normal ? Parce que je n'ai aucune expérience en matière d'éditions françaises.
Tu as envie de nous glisser quelques mots sur tes prochains projets ?
Je fais un autre crossover, juste pour toi (rires) ! Il n'a pas encore été annoncé. J'ai commencé le sixième et dernier numéro de He-Man/Injustice, et après ça j'aurais deux mois de repos. Et c'est là que je pourrais lire les scripts du prochain crossover. Je ne sais juste pas quand ça commencera, ou quand il sera annoncé. Cela dit, un peu de repos me fera du bien, ça fait quelques années que je travaille non-stop. Histoire de dormir un peu !
Ce n'est pas une mauvaise idée ! Merci Beaucoup !
Remerciements : Urban Comics