En cette fin d'année 2018 arrive sur nos grands écrans l'unique production live action du côté de l'univers DC, après un 2017 où se seront installés des hauts et des bas selon les goûts ou la quantité d'actions Time Warner que vous possédez peut-être. James Wan a ainsi hérité de la lourde tâche de composer avec un héritage pesant. Pour, peut-être, ce qui serait la nouvelle direction de Warner Bros. et de ses super-héros au cinéma. Si l'on peut compter sur un certain savoir-faire du réalisateur, force est de constater qu'Aquaman navigue entre deux eaux - haha, on rigole bien - et que votre appréciation dépendra de vos attentes personnelles. Ou de leur absence pour certains.
Bien qu'Arthur Curry, sous les traits de Jason Momoa, nous a été présenté il y a plus de deux ans, Aquaman se construit comme un classique récit d'origines, où le héros possède déjà ses capacités, mais n'a pas encore le package complet pour être celui que les lecteurs de comics connaissent. Après sa petite aventure en équipe (timidement mentionnée au cours d'une réplique solitaire), l'homme subaquatique vit sa propre aventure en véritable stand alone, comme le premier opus d'une trilogie dédiée, tel qu'on en faisait avant que les perspectives d'univers partagé n'imposent de nouveaux standards. Le film se proposant d'être une aventure auto-contenue à la manière d'un Wonder Woman (une scène de photo en moins). On pourra apprécier cette façon de faire, de façon à ce que Wan et ses équipes ne s'imposent pas un cahier des charges vers un éventuel crossover distant. Le choix se fait cependant au profit d'autres codes de film pré-écrit, presque plus redondants.
D'un point de vue scénaristique, si vous avez vu l'une ou l'autre bande-annonce, vous savez à quoi vous attendre. A une exception, il ne vous sera pas difficile de vous faire le déroulé dans votre tête, tant l'histoire emprunte un sentier balisé, archétype du récit de super-héros lambda déjà vu et encore déjà vu. Ce choix (d'une énième origin story) est d'autant plus lassant que le marché n'existe pas qu'avec les seuls films DC, et que la Fox, Sony ou Marvel Studios ont tous eu depuis dix ans le réflexe de ces récits initiatiques, revenant au point de départ avec une obsession sempiternelle. Quitte à rebooter pour certains. DC Films avait l'opportunité de faire différemment, mais la stratégie semble être ici de coller à Wonder Woman, autre première aventure d'héroïne jamais adaptée au cinéma, en espérant en reproduire le succès (financier).
C'est donc en s'inspirant des grandes lignes du début de run de Geoff Johns dans les New 52 (crédité au scénario) qu'Aquaman est sorti de son quotidien de petite célébrité par Mera (Amber Heard). Celle-ci cherche à empêcher le frangin Orm (Patrick Wilson), souverain d'Atlantis, de mener une guerre totale contre le monde de la surface sous l'habituel prétexte écolo'. Bien entendu, Arthur ne peut rien sans un artefact sacré - un Trident, en l'occurrence -pour mener à bien cette mission, et devra partir à sa recherche puisqu'il est après tout "celui dont parle la légende".
Peut-être parce qu'Aquaman souffre encore d'une mauvaise réputation, liée à l'héritage de cartoons ringards comme Super Friends ou la culture méta' instaurée par Big Bang Theory ou Robot Chicken, Warner Bros. ne prend aucun risque sur son déroulé. L'histoire se met en pilote automatique du début à la fin, ne s'embarrasse pas d'un certain nombre de détails ou de soucis de cohérences, et présente un ensemble de retournements de situations soit attendus (et parfois répétitifs, pensez "explosion"), ou baignant de facilités. Tout arrive par obligation de faire avancer le scénario - au point de ne plus s'en cacher. Mais, si vous acceptez cette méthode de narration - à savoir qu'on vous raconte une histoire que vous connaissez déjà, peut-être aurez vous tout de même le loisir de vous concentrer sur les images.
Le problème, c'est qu'au delà du déjà-vu, l'écriture des personnages est elle aussi archétypale, quand elle ne frôle pas le ridicule. Entre citations faussement profondes ("la mer c'est comme la vie, ça rapproche les gens", festival !), un humour qui tombe à plat à chaque fois, une caractérisation franchement embarrassante d'Arthur Curry - les autres personnages ne réussissant pas à s'affranchir de leurs rôles prédéfinis, il y a de quoi se faire violence à de nombreuses reprises. Il s'agit là aussi de donner des figures qu'on reconnaît immédiatement : le héros sympa mais bête - ou beauf, disons le.
Accompagné d'une femme "forte" (quoi que cela veuille dire) et plus intelligente que lui, bien entendu, mais qui succombera tout de même à ses biscottos suintant de virilité héroïque, malgré toutes ces tirades sur l'indépendance et une envie de "faire moderne" - on est chez Warner Bros., restez bien. Le méchant très méchant a son super plan qui a tout anticipé, les personnages secondaires fonction font des trucs de personnages secondaires fonction. Se pose alors la question : mais qu'est-ce qui fait d'Aquaman un film qu'on aurait envie de voir au cinéma ?
La réponse tient dans deux éléments : d'abord, le film n'a pas peur de ses origines comics et de ce qu'est Aquaman, et tient à le montrer. Adapté du run de Geoff Johns mais aussi d'éléments plus classiques, on retrouve un ensemble de données venues du papier et qui se veulent fidèles au matériel de base. L'origin story est respectée, celle des vilains aussi (Black Manta, notamment, se positionne en ennemi intéressant et très comicbook), et les pouvoirs sont spectaculaires à tous les niveaux. On se moquait d'Aquaman parce qu'il "parle aux poissons" ? On n'en rigolera plus à présent. La faune aquatique est très joliment utilisée pour servir de destriers : requins, hippocampes, crabes géants, il y a tout un bestiaire à découvrir pour le plaisir des yeux.
Mera livre quelques prouesses dans la démonstration de son pouvoir, contrôler l'eau. L'univers sous-marin créé par les équipes de Wan est parfois superbe, on sent un travail de fond réalisé collégialement avec de vraies bonnes idées. Selon le goût de chacun pour cette architecture particulière, qui emprunte à la fois aux mythes antiques et à une forme de science-fiction lumineuse façon Tron. Aquaman aime son concept de monde sous les eaux et les idées environnantes, et prend un certain plaisir à le montrer. Tout n'opère pas au même niveau de réussite (les effets de rajeunissement de certains personnages sont proprement affreux), mais irait-on reprocher à un gamin qui apprend à marcher qu'il se casse la figure ?
Le problème, c'est qu'à force de vouloir rendre Aquaman cool, Aquaman finit par couler (mais qu'est ce qu'on se marre, haha). Un certain forcing vers l'humour déplacé ou le calage décousu de moments d’esbroufe s'installe et ne quitte plus le métrage. Qu'il s'agisse des répliques, d'effets de réalisation ou de l'habillage sonore (un riff de guitare quand Jason Momoa se tourne vers la caméra, comment c'est styley), tout n'est qu'exagération. Difficile de savoir si Wan et compagnie prend ce genre de techniques au sérieux, ou s'il s'agit d'un humour du ridicule à la Sam Raimi - l'impression générale reste cependant que le premier degré est là, et que l'idée est juste d'essayer de faire dans l'épique ou le stylisé, maladroitement ou vulgairement.
La réalisation de James Wan est pourtant un réel atout. D'une part, parce que le plus grand défi est de rendre crédible toute la partie maritime, et c'est réussi de ce côté là. L'impression de se déplacer et parler sous l'eau se fait naturellement, avec l'application d'une légère déformation à l'ensemble des plans, pour tenter de montrer la façon dont voit l'oeil immergé. D'autre part, le réalisateur fait de réels efforts de mise en scène, allant vers l'idée de donner un "bon divertissement" plus qu'un véritable film personnel, dans son style maison. On aura pu voir en trailer un plan séquence, qui n'est que le premier d'une longue série. Les travelings, les prises de vue sont variées, et s'adaptent au contexte de la bataille, avec une caméra qui virevolte pour les combats sous marins, comme si elle était ballottée par les courants créés par les coups et les explosions. La diversité des lieux et des scènes lui permet aussi de s'amuser dans les registres, voguant tantôt dans le film d'aventure à la Indiana Jones, tantôt dans la fantasy, voire l'horreur. A cet égard, certaines images sont particulièrement soignées, et la séquence The Trench compte parmi les plus beaux moments du film.
A cette envie de bien faire et quelques plans très réussis, Wan plie également sous le poids des ambitions du studio, et ne réussit pas à tenir la cadence sur toute la durée du montage. Celui-ci propose aussi quelques plans affreux, où les images de synthèse accusent un certain retard ou payent le prix d'un manque d'idées ou de moyens - Pitbull aura probablement englouti tout le budget. Du côté musical, d'ailleurs, on est certainement sur l'un des pires défauts du film avec l'écriture. Complètement banale et oubliable, la soundtrack devient agaçante dans son omniprésence, son enchaînement de style sans logique ou cohérence d'ensemble, sans aucun liant, sans aucune identité. Avec un formidable passage de gêne lorsque retentissent les fameuses mesures de la reprise d'Africa - Toto aura sans doute reçu un très gros chèque, mais il est encore temps d'attaquer en dommages et intérêts par sécurité.
Fallait-il avoir des attentes pour Aquaman ? Au sortir du film, l'impression est celle d'un blockbuster assez banal, qui a pour mérite d'avoir un univers bien à lui, un réalisateur qui fait des efforts, et un environnement visuel qui mérite qu'on s'y intéresse sur grand écran. Le personnage part de loin, l'univers DC moderne également, et l'on voit avec ce film un shift encore plus clair de Warner vers le produit de commande plutôt que le film d'auteur qu'ils se targuaient de représenter dans le registre des adaptations il fut un temps. Même le nom de Wan ne préfigure pas du retour à une politique à la Nolan, ni même à la Snyder : ici, le studio a la main.
En somme, comme on ne peut pas demander à McDo' de servir un velouté de langouste (d'ailleurs on ne le ferait pas, vu que c'est dégueulasse), Aquaman est un burger. Celui avec le gros supplément bacon, algérienne et oignons, relativement gras mais pas mémorable non plus. Après la nullité inconséquente de Justice League, cette nouvelle production DC Films se laisse regarder. Un progrès, mais toujours pas le film qui mettra d'accord les détracteurs du studio et les fans, voire ceux qui attendent une nouvelle claque visuelle qui tiendrait la dragée haute à Marvel et ses formules, toutes aussi lassantes.
Parce qu'on a beau faire du spectacle ou s'en tenir à une promesse de "divertissement", on a beau se montrer fidèle aux comics, il ne faut pas en oublier de faire des efforts, d'essayer de prendre des risques, ou de ne pas écrire ses personnages en pilote automatique. Aquaman échoue, comme une baleine, sur ces tableaux. Avec des passages franchement mauvais, un héros dont la caractérisation (héritée des précédents films) aurait vraiment dû être revue, et des personnages écrits sans aucune envie. On ne demande pas aux super-héros de redéfinir l'histoire du cinéma, mais un peu de substance derrière les paillettes ne serait pas de trop.
Aquaman n'est pas un mauvais film, mais il n'est pas bon pour autant. Au-dessus de la moyenne malgré tout, parce que James Wan et ses équipes n'ont pas peur d'embrasser la racine comics du personnage et de son univers, avec un effort appuyé sur la réal' et quelques très jolies images, le film déçoit par une intrigue en pilote automatique, un déroulé sans surprise, une écriture des personnages abyssale, et une bande-son horripilante. En somme, Warner assume désormais d'être rentré dans les rangs du film de super-héros de base, mais garde le mérite de son univers aquatique, a priori l'argument de vente. Si vous aimez le grand spectacle sans être trop regardant sur tous les effets spéciaux, voilà de quoi passer le temps. Attention tout de même, 2h23, c'est plutôt long.