Si cette année s'annonce charnière pour tous les amoureux des X-Men au cinéma, l'équipe a aussi un programme chargé en comics. Avec des plans éditoriaux d'envergure pour l'hiver et le printemps, Marvel compte bien ramener les porteurs du gène mutant sur le devant de la scène, et quoi de mieux à ce moment là que de se remettre à la page ? L'expérience tentée par l'auteur et illustrateur Ed Piskor va dans ce sens, sur l'excellent X-Men Grand Design, arrivé depuis peu en librairie.
L'auteur de l'excellente série Hip Hop Family Tree propose ici une lecture chronologique des mutants dans l'histoire de Marvel, depuis leur création et en passant par un certains nombre de temps forts. Un résumé général et non rébarbatif de ce que d'aucuns considèrent comme un univers dans un univers, tant la mythologique X-Men est riche et jalonnée de rebondissements et de personnages tiers passionnants.
Élevé à l'école de la Kubert School, Piskor a retenu de son enseignement un trait de ligne claire qui s'adapte à cette plongée mémorielle dans les premiers temps de l'équipe. Disciple d'Harvey Pekar et de l'héritage de Robert Crumb et des comics undergrounds, il amène aussi à grand album souvenir une relecture stylistique qui évoque le style Mad, les éditeurs de la Baie de San Fransisco à la Kitchen Sink et tout un pan de comics rebelles ou iconoclastes, distribués à peu d'exemplaires. La folie de son écriture pour compiler autant de grands temps forts passe pour une revue indé' de ces écrits, pourtant hautement classiques dans le super-héros.
L'histoire va couvrir toute une décennie d'existence entre les années 1960 et 1970. Piskor part de Charles Xavier et de la découverte de ses pouvoirs, pendant que Magnus fait de mêmes expériences de son côté, vers la formation des X-Men et leurs premiers affrontements avec la Confrérie. Les choix d'arcs narratifs sélectionnés avec soin vont véhiculer une certaine idée de ce que sont les mutants - pas forcément pour en épouser la métaphore raciale des débuts, encore que celle-ci soit bien présente. Sur Xavier, le trait et les localisations de sa jeunesse évoqueraient les revues des temps de l'ère pulp, accolés à une ligne claire à la Hergé ou le jeune héros vagabond semble réellement sortir d'un autre moment de la bande-dessinée.
Plus politique qu'elle n'y paraît, la collection de souvenirs va réinterpréter Namor et son action comme celle d'un terroriste castrateur à l'origine d'une ségrégation raciale - à l'image des actes modernes de certaines factions djihadistes et les récupérations politiques qui s'en sont suivies. L'ensemble est superbement écrit, bien rythmé et avec un recul et une économie de dialogues qui permettront à chacun d'apprécier la lecture de ces vieilles histoires sans perdre de vue toute les réinventions éparpillées çà et là - un listing des références précises se trouve dans le volume, pour ceux qui voudraient "vérifier".
C'est pourtant au niveau du graphisme que le bouquin suscite l'adhésion. Avec des effets divers - de jaunissement des textures, de pages de vieux comics parsemés des fameux points Benday chers à Roy Lichtenstein - et un dessin superbe et qui s'épanouit au fil de l'ouvrage, ce qui passe au départ pour un style simpliste montre vite de réelles prouesses dans l'imitation de certains artistes clés de l'ère Marvel. Aucun doute n'était de toutes façons permis, Piskor était avant tout un illustrateur riche et qui prête ici ses talents à l'éditeur de la plus belle des façons. A noter que l'on retrouve en fin d'ouvrage une réimpression du X-Men #1 de Stan Lee et Jack Kirby, qui profite d'une re-colorisation par Piskor. Une initiative très bienvenue tout à fait en accord avec le travail d'époque, qui vient comme une cerise sur un bien beau gâteau.
Au point d'ailleurs qu'on rêverait de travaux similaires pour l'ensemble des héros de la maison - ou les plus évidents, Cap' et Spider-Man en tête - afin que les nouveaux puissent faire leur entrée dans une continuité parfois épaisse en se procurant au passage un ouvrage transversale sur différentes cultures de la BD. Puisque, comme précisé plus haut, X-Men Grand Design ne ressemble à aucun autre comics X-Men. Capable d'être apprécié par un lectorat franco-belge pointu, le volume est un de ces petits miracles qu'on espérerait plus fréquents chez Marvel, un "beau livre" dans un océan de super-héros en canon, aussi bien pour les anciens que les nouveaux lecteurs. Vivement la suite.