Il y a un peu plus d'un mois, une année compliquée venait de prendre fin pour les super-héros du petit écran. Au moment où la série The Umbrella Academy s'apprête à apparaître sur les ondes (brouillées) de Netflix, la voie semble s'ouvrir pour des productions adaptées de l'indé' à la Happy! ou The Boys à un rythme plus régulier. Les années ont passé depuis Marvel Studios et la CW et le super-héros, épousant sa réciproque des pages de comics, se multiplie sous de plus en plus de formes, étonnamment variées.
L'adaptation de The Umbrella Academy était une occasion de rendre hommage à ces bizarreries qui naissent parfois de l'imagination des auteurs de BD : étrange rencontre à mi-chemin entre steampunk, conte, métaphore familiale, monde fantasque à la Gaiman ou Del Toro. Le niveau général des adaptations a monté en quelques années, et il devient de plus en plus difficile de se montrer critique au vu des efforts déployés par les diffuseurs pour prendre ce genre de créations au sérieux. Problème, il vaut parfois mieux être second à la ville que premier au village (etc), et ce que The Umbrella Academy a pour elle dans l'escarcelle des bonnes adaptations ne suffit pas nécessairement à en faire une indispensable par-delà le public des lecteurs passionnés.
A l'image des premiers pas de la bande-dessinée, la série s'ouvre sur la naissance (spontanée) d'une quarantaine de bébés, tous apparus le même jour et de mères qui n'étaient pas enceintes. Ces immaculés conceptions intéressent le professeur Hargreeves (Colm Feore), milliardaire excentrique et savant fou notoire, qui prend sur lui d'adopter sept de ces enfants. Il va les élever dans l'idée de faire croître leur potentiel, chacun étant doté d'un pouvoir particulier. Son but est de former un petit groupe de super-héros en vu de sauver le monde. De quoi ? L'information n'est pas connue.
Au moment où il conçoit le comics Umbrella Academy, Gerard Way reprend une structure de récit très classique dans le paysage des séries télévisées : la fameuse "boîte à mystères", qui commence par une énigme dont on attend les réponses au fil des saisons. Problème, le rythme de parution dissolu de cette éternelle arlésienne n'aura pas permis de comprendre grand chose jusqu'ici - à l'image de la relation entre HBO et George Martin, Way aura donc donné toutes les réponses au showrunner Steve Blackman pour lui faciliter le travail. En version télévisée, Umbrella Academy ressemble donc à d'autres productions déjà vues, presque accidentellement : il est question d'empêcher une fin du monde suite à un voyage dans le temps, de narrer la vie d'une famille dysfonctionnelle dans un jeu permanent de passé/présent, et comme dans toutes les séries de super-héros, de faire énormément de remplissage pour humaniser le propos.
Avec Steve Blackman aux commandes, proche de Noah Hawley avec qui il travaillera sur Legion et Fargo, la série Umbrella Academy reste très agréable à regarder. Cherchant dans ses plans les plus travaillés une symbolique des décors et des symétries, celle-ci construit un petit monde vivant qui se découvre à travers ses ambiances. Les éclairages et les décors sont de belles prouesses, de même que l'habillage sonore qui cherche souvent du côté du conte et du "fantastique dans le quotidien" (à la Big Fish). Certaines autres scènes se vivent comme des hommages discrets à Sense8, quand la famille toute entière se retrouve à communier autour d'un moment musical, notamment dans le premier épisode. L'ensemble a parfois la tête des Orphelins Baudelaires et la bande-son d'un Burton, dans ce registre précis d'influences faciles à identifier.
Cet ensemble artistique trouve ses limites dans la mise en scène, avec un montage souvent sec et des scènes incapables de gérer les moments d'action ou d'effets spéciaux - le monde de la série télé' continue de se cogner à cette limite du crédible, tout en progressant à son rythme contre le cinéma. La problématique principale de la série est son envie de changer des éléments d'un imaginaire fixe : en comics, Umbrella Academy est une parodie absurde et fantasmée de concepts fantastiques, une esthétisation du super-héros dans un grand moule à mi-chemin entre Jules Verne et Bioshock. On ne s'étonne pas d'y retrouver une Tour Eiffel animée, vivante, qui tente de détruire Paris sous les ordres de Robot-Zombie-Gustave-Eiffel. La relation de Number Five à Dolores est aussi bien plus absurde dans le comics. La série choisit de trouver une sorte de terrain d'entente entre son origine et ce vers quoi elle espère tendre : une épopée familiale mâtinée de fantastique et de bizarre.
Si bien que les personnages de The Umbrella Academy n'ont jamais semblé si développés ou si intéressants, chacun ayant droit à son développement de suivi dans les intervalles de l'intrigue de fond. Robert Sheehan (Séance) est l'un des plus intéressants, de même que David Castañeda (Kraken). La plupart des personnages partent de stéréotypes connus de ce type de séries pour évoluer vers une densité commune qui fonctionne généralement, à quelques exceptions près. Et, puisqu'il s'agit d'une série commandée par Netflix, on se heurte rapidement à des sous-intrigues dont on se fout rapidement, ou aux fameux dialogues répétitifs qui forment le gros des longueurs de cette première saison. Celles-ci sont assez nombreuses, et se pose à nouveau la question du rythme dans cette nouvelle méthode de consommation imposée par le diffuseur, quand le moindre moment en trop paraît dix fois plus lourd encore.
Dans l'ensemble, cela étant, Umbrella Academy sert une promesse efficace et qui tient généralement debout. Mais là où l'on aurait espéré que la série transcende sa promesse d'adaptation de surplus, celle-ci se retrouve à errer en milieu de saison dans les mêmes affres que Preacher - une réinvention qui pêche par manque d'imagination.
Si on lit le bouquin qui sert de matériau de travail, on réalise d'ailleurs tous les pièges que Blackman et le scénariste Jeremy Slater (Death Note) n'ont pas semblé vouloir éviter. Elliptique, le style de Way ressemble à un grand bordel où d'excellentes idées sont balancées au hasard et jamais explorées : les relations au sein de l'équipe, leur rapport à ce père distant, les super-vilains, le caractère des héros, tout est haché et volontairement diffus par un scénariste qui s'intéresse plus aux effets de style. N'importe qui aurait pu imaginer une réinvention plus dense, et la série construit ici son intérêt et son identité sur les interstices, sur les ellipses laissées à l'imagination du lecteur. Mais, bien évidemment, on se retrouve confronté au problème de ce qui est apporté en plus - ou en trop. Des personnages secondaires inintéressants peuplent les scènes de transition, devenant vite un running gag de "et pendant ce temps-là, voilà ce que font ces deux gus qui n'intéressent personne".
De réels moments de n'importe quoi se forment au détour des ajouts au scénario, avec une première saison qui se perd en essayant de trop en faire. Là où Number Five aurait dû être le liant de l'intrigue principale, il se retrouve lui-aussi embarqué dans des sous-scénarios installés pour tuer le temps, et le sentiment de boîte à mystère ou d'énigme de long terme se paume en grillant ses cartes trop vite. Les bonnes réponses sont données aux mauvaises questions, et entre le développement laborieux de certains personnages, le coeur de saison reste particulièrement long et répétitif - "comme une bonne série Netflix".
Cela étant, il sera encore une fois difficile de ne pas apprécier l'effort fait par le diffuseur pour allouer les moyens suffisants à la réalisation de ce genre de fantasmes. Umbrella Academy tient debout, en conservant ce qu'il faut de son héritage comics pour rester intéressante et pleine de surprises à ceux qui ne connaîtraient pas la BD. Et à l'inverse, il faudra tout de même passer outre les nombreuses erreurs proposées par Blackman, qui n'a hélas pas le talent de Noah Hawley malgré une sincère envie de bien faire. La question du format est en passe de devenir une blague de long-terme pour les séries de Netflix, mais il aurait sans doute été préférable de raccourcir de deux épisodes au moins (ayant dit cela, on se demande aussi si le problème n'est pas simplement dans le choix de certains membres de l'équipe).
L'intérêt principal de la série restera son propos profondément humain sur le fonctionnement familial, les enfants adoptés et le rapport difficile à l'image du père. Le sentiment de ne pas être spécial souligné par les capacités surhumaines des protagonistes, finalement assez semblables derrière leurs atours de surhommes. Avec une performance dans la retenue pour Ellen Page, et une allégorie à la Brad Bird sur l'idée que l'union fait la force dans une mélancolie à l'enfance assez proche des thèmes classiques du cinéaste, Umbrella Academy reste néanmoins à part d'autres productions du même genre. Un symbole d'espoir pour le medium, qui véhicule de plus en plus d'idées à travers l'image du héros costumé, enfin passé de l'autre côté de la case pour autre chose que les habituels "bons divertissements".
The Umbrella Academy vient habiller la grille des programmes Netflix avec plus de sincérité que les énièmes productions de Marvel Television. Travaillée dans son esthétique, son coeur musical et une distribution qui fait le boulot (mention spéciale à Aidan Gallagher), la série aurait cependant plus à voir avec Altered Carbon qu'avec Legion : un gros boulot de conception admirable pour sa technique, mais étonnamment lente et fastidieuse pour qui n'a pas dix heures de sommeil à perdre. Paradoxalement, le produit paraît aussi très conventionnel, très américain derrière les nombreux rebondissements, pour un comics réputé pour sa folie et sa capacité à surprendre en permanence et à se moquer des structures de narration classique. Il en reste cependant un divertissement tout à fait correct et qui sauvegarde juste ce qu'il faut de son équivalent papier pour amener quelque chose sur la table aux spectateurs connectés - à voir maintenant pour la seconde saison.