Après des semaines entre les mains du scénaristes Charles Soule, et une jolie reprise thématique par Jed McKay, Daredevil fait son grand retour après une absence fictive qui aura permis à Marvel de caler un abusif numéro #1 sur la couverture. L'habitude est installée, et en définitive ce n'est pas la voracité financière de la marque qui est à repérer ici mais bien la qualité de Chip Zdarsky dans sa reprise en main du Diable de Hell's Kitchen. Un scénariste qui se met au service de son personnage quitte à gommer certaines de ses propres habitudes, pour coller à une tradition quasi-cultuelle.
Matt Murdock est de retour dans le costume, emmenant avec lui son habituel lot de questionnements moraux ou religieux, son bagage dépressif et son goût pour avancer (à l'aveugle) dans les ténèbres d'une éternelle fuite en avant. Puisque nous sommes dans une série de Chip Zdarsky, le numéro s'ouvre dans un bar, et puisque nous sommes dans une série de Chip Zdarsky, il y aura aussi une partie de jambes en l'air. Prenez vos repères.
Derrière les atours routiniers et des dialogues plutôt prévisibles sur cette intro', le scénariste va aller chercher dans l'enfance de Murdock la sincérité de son propos. Des passages réussis où l'on ne sait plus ce qui influence le canon de Daredevil, le comics qui a inspiré la série télévisée ou la série télévisée qui inspire le nouveau comics - quoi qu'il en soit, le père Matthew est de la partie et délivre le double-discours inséparable de toute l'action de ce justicier. D'un côté, l'appel de justice prôné par la religion chrétienne, et de l'autre, l'idée que l'homme ne doit pas se soustraire à Dieu. Ces moments de retour en arrière, quadrillés entre des instants vécus au présent, permettent à Zdarsky de proposer un réel retour à zéro. Les conséquences du run de Soule sont bien présentes, mais l'idée est bien de rebondir sur une lecture plus en accord avec de plus anciens scénaristes.
Dès l'introduction, on renoue avec un DD plus intime, avec ces dialogues sur l'oreiller typiques de Bendis et de ses héroïnes à tchatche. L'intrigue policière (avec l'inspecteur Cole North) semble aussi renouer avec un goût pour le polar et le quiproquo policier plutôt traditionnel, dont on espère que tout ne sera pas trop prévisible par effet de routine. Reste pour le moment de bons dialogues et de jolies scènes bien colorisées, où se retrouve aussi le gimmick de Chris Samnee sur la représentation des corps tels que les voit Daredevil.
Plus généralement, on retient surtout l'ambiance générale, l'âme qui se dégage de ce bref début de run et une réelle envie de bien faire par-delà les imitations scolastiques d'auteurs précédents. Sur le papier, cela poserait la question de la possibilité pour DD d'évoluer et de voir plus loin, puisque derrière son cortège de mauvaises idées, Charles Soule avait tenté d'emmener le héros dans une certaine direction - au point hélas de le couper de certains fondamentaux essentiels.
En définitive, Zdarsky propose quelque chose d'efficace et qui semble aller dans la bonne direction, mais dont on espère qu'un plan de long-terme est bien prévu pour éviter de passer par dix, vingt ou trente numéros à faire du Bendis après Bendis. Pour le moment, on s'en contentera tant l'exercice est d'ores et déjà réussi, et pour satisfaire l'appétit de fans laissés sur le carreau pendant un trop grand nombre d'années.
Un mot sur les dessins : très efficaces dans l'ensemble, ce qui ne surprendra pas au vu du pedigree et de l'expérience du bon Marco Checcheto, ce sont surtout les couleurs que l'on retient comme réel élément distinctif. Facteurs de chaleur ou de contrastes, celles-ci habillent les pages d'effets granuleux, de lueurs ou de flous venant gonfler les crayonnés d'un ensemble quasi-vivant ou Hell's Kitchen paraît étouffante et suintante, comme une bonne série des années 1970. Enfin, le back up Sense of Self propose un petit ajout intéressant (mais dispensable), et surtout l'occasion de faire mumuse avec les effets de vision aveugle.
Une bonne entrée en matière, de jolis dessins et de belles couleurs, pour un Daredevil que l'on sent transporté au milieu des années 2000 quand il était encore l'un des immanquables des séries Marvel. Chip Zdarsky a été à bonne école, rapportant dans sa copie les ambiances et le rythme à mi-chemin entre introspection christiano-dépressive et feuilleton noir façon sexe et violence (et envoyez cette phrase aux Inrocks pour leurs inter-titres, ça dépanne et ça coûte pas cher) sur de jolies planches et un réel sentiment de résurrection nostalgique pour ceux qui aiment ce genre de Daredevil. Après l'exercice de style proposé par McKay, une période bénie semble s'ouvrir pour le Diable de Hell's Kitchen - à défaut d'avoir autre chose que du comics pour alimenter le personnage, autant que ceux-ci soient bons.