C'est au courant du mois de mars passé que se tenait la cinquième édition du festival MAGIC Monaco, organisée par Shibuya Productions, qui s'est tenu au Forum Grimaldi. L'organisation avait quelques invités comics prestigieux, dont l'immense scénariste Chris Claremont, à qui l'on doit aujourd'hui ce que sont les X-Men, après un run emblématique de 17 ans - et des travaux par la suite, encore actuels. L'occasion pour nous d'aller parler de l'importance de ces personnages et des comics dans notre société moderne. A lire ci-dessous !
Crédit photo : Fabbio Galatioto
Bonjour Chris Claremont. De façon générale, quel est votre ressenti sur votre travail sur les X-Men, que vous poursuivez toujours aujourd'hui de temps en temps ?
Hé bien, ça a été et c'est toujours très amusant. Je n'en ai pas encore fini. Qu'y a-t-il de plus à dire, vraiment ? Je l'ai fait la première fois pendant dix-sept ans. Ça a été extraordinaire, j'ai travaillé avec des artistes et des éditeurs très talentueux. Quand je m'y suis remis de temps à autre, j'ai eu cette chance également, et c'est toujours le cas aujourd'hui. J'aime à penser que je fais de bonnes histoires, mais ce n'est plus le centre de mon existence comme ça l'a été il y a 25 ans. J'aime à penser que j'agrandis mon répertoire, que j'ai d'autres concepts, et que j'élargis mes façons de faire du storytelling : du roman, pour le cinéma, des scénarios, avec l'idée que ce sera encore plus apprécié par la suite.
Vous en avez peut-être marre qu'on vienne toujours vous parler des mutants ?
Non, pourquoi ça ? Pourquoi serais-je fatigué d'entendre des gens me dire qu'ils ont été très touchés par mon travail ? La chose extraordinaire avec les conventions est de rencontrer ces personnes qui me disent "mon grand-père avait adoré vos travaux" - suis-je si vieux ? Mais c'est ce qu'on fait aussi. Mon père a aimé des comics, je les aime, et en tant qu'auteur, c'est de l'or pur. Je me dis que j'ai fait quelque chose de spécial, qui a du sens, qui va rester. Tu ne peux pas te plaindre de quelque chose comme ça, tu en profites tous les jours.
Vous avez créé énormément de personnages au cours de votre run, notamment des personnages féminins. A l'époque ça vous semblait particulièrement important de mettre l'emphase sur ces personnages ?
C'était tout à fait naturel pour moi. Je me rappelle comment j'ai traité ces personnages. La façon dont ils sont repris par d'autres auteurs a parfois été bonne, parfois non. C'est pour ça que je lis rarement des comics d'autres personnes sur des personnages que j'ai créé, car je me sens très possessif vis-à -vis d'eux. Ce ne sont pas des personnages, dans ma tête, ce sont des personnes réelles, des gens. Et je n'aime pas les voir maltraités, au bas mot. En même temps, on ne me demande pas mon avis. Ce ne sont pas mes personnages, ils appartiennent à Marvel, hélas. Je me concentre sur les réalités que je peux définir et construire, le travail qui m'appartient, et m'amuse avec.
Que ce soit les X-Men ou d'autres travaux, quelle est la chose la plus importante à laquelle vous pensez quand il s'agit de créer quelqu'un ?
Il ne s'agit pas de penser, mais de ressentir. Si le personnage et le moment te semblent bon, vas-y. Sinon, retiens toi. John Byrne a fait quelques histoires sur son site, en expliquant que ce seraient ses X-Men si Jim Shooter ne l'avait pas remplacé par moi sur le titre. D'un côté c'est sympa. Mais de l'autre je me dis que virtuellement, tous ces personnages que j'ai définis par mon run sur les X-Men, ont été créés après que John soit parti. Que se serait-il passé si Jim ne m'avait pas remplacé, et qu'on n'aurait ni Rogue, ni Gambit, ni le Hellfire Club, etc... Toutes ces choses qui ont défini les X-Men durant plus d'une douzaine d'années, comment serait-ce si elles n'avaient pas existé ? Est-ce que ça aurait été meilleur ? Sûrement différent ? C'est une vision intrigante. Il faut croire le jugement des créateurs à l'oeuvre à un moment donné. Ca marche, ou ça ne marche pas.
Vous vouliez également parler de problèmes réels avec ces personnages.
Quel est l'intérêt d'écrire une histoire si tu ne parles pas de personnes avec de vrais problèmes, ou plutôt de vrais challenges ? Tout le monde peut faire un combat de super-héros, c'est facile. Ce qui m'intéresse le plus, c'est ce qui a affecté les personnages qui sont impliqués dans ce combat. Il y a deux histoires qui illustrent très bien cela. L'une se passe après le Mutant Massacre. Colossus et Nightcrawler sont blessés, Kitty est mourante, et Ororo se demande comment elle a pu laisser les choses mener à ça, et s'enfuit car elle ne se sent plus capable. Calysta lui court après et la confronte et lui dit qu'elle ne peut pas fuir ainsi. C'est son taff, même si c'est difficile. Ororo doit affronter les responsabilités de sa position, et j'aime à penser que c'est une confrontation mature à la réalité.
La seconde est une histoire de New Mutants qui s'appelle "We Were Only Fooling". Un garçon arrive dans une nouvelle ville, dans une école, et il croise la route des New Mutants. Ils s'entendent bien, jusqu'au moment où ce new kid fait un commentaire raciste sur les mutants, et d'un coup ça devient un mauvais garçon. Mais le problème c'est qu'il vient d'arriver dans cette ville, tout le monde répète ces choses sur les mutants, il souhaite juste faire partie d'un groupe, se fondre dans la masse. Il ne peut pas se douter qu'il parle à des mutants, et à chaque fois qu'il essaie d'arranger les choses, ça devient pire.
A la fin le lecteur découvre que ce jeune homme est un mutant, c'est pour ça qu'il tente autant de s'intégrer. Et il est tellement oppressé par cette réalité qu'il ne voit pas de sortie, et se suicide. Et c'est Kitty qui doit faire son discours posthume. Les New Mutants s'en veulent de ne pas l'avoir secouru, et doivent faire avec cette erreur. Ce n'est pas une histoire de super-héros, il n'y a pas de vilains. Ca parle de gamins qui doivent affronter la vie à leur âge, et ce qui arrive avec leurs comportements. C'est ça qui est plus important comme leçon dans la série. Tu ne parles pas que de gamins qui enfilent des costumes et se battent.
Ce sont des choses qui sont toujours aussi pertinentes, voire plus, aujourd'hui, malheureusement. C'est de ça que parlent les X-Men, pas de simples bagarres. Mais se confronter aux monstres dans nos coeurs, à nos peurs, et comment aller de l'avant dans nos vies et apprendre de nos erreurs.
Il y a pourtant des personnes très vocales qui affirment que les comicsbooks ne doivent être que du divertissement ?
Hé bien, si ce n'est pas divertissant, personne ne le lit, et si personne ne lit, quel est l'intérêt d'émettre une opinion ? L'équilibre nécessaire est de rendre l'histoire pertinente, de faire en sorte que le lecteur ait de l'intérêt pour les personnages pour qu'il tourne la page, et à la résolution, il aura une forme de réflexion. Et même s'il n'est pas d'accord avec le discours, il aura envie de poursuivre sa lecture. C'est aussi l'argument qu'on avait derrière les X-Men et les New Mutants ; on veut que vous reveniez pour lire - et acheter - le prochain numéro. Et que vous en parliez à vos copains pour qu'ils achètent aussi les numéros, et qu'on puisse continuer autant que l'on peut. Tu n'arrives pas à ça en étant ennuyeux, et en faisant des histoires minimalistes et clichés. J'imagine qu'il y en a qui peuvent le faire, mais je suis sûr que ça m'ennuierait de lire ça. A la limite pour un numéro, mais sur une ongoing ? Je pense que j'ai des choses plus importantes à faire.
Comment percevez-vous le changement de l'industrie ? Ça a évolué pour le meilleur ou le pire ?
Un peu des deux. Au début on pensait que l'industrie allait mourir. Qu'on aurait plus de travail au bout de cinq ans, donc on était parti pour s'amuser. Puis on s'est aperçu du succès, et ça nous a donné envie de continuer. A présent c'est une industrie qui a plus de moyens, plus de succès, mais ça sous-entend que les managers et les employés sont soumis à des stress, des exigences qui sont assez uniques au regard de ce chapitre dans l'histoire de l'édition. Il faut savoir comment adapter son travail à ces problématiques, et si tu n'y arrives pas il faut le faire avec les moyens qui te permettent de répondre à tes envies, comme tu souhaites le faire.
Les comicbooks sont-ils toujours pertinents pour notre société de divertissement ?
J'aime à le penser. Je pense qu'ils offrent une forme de storytelling unique par elle même et bien plus satisfaisante qu'une autre. Oui, tu peux faire une série TV ou un film, mais tu dois avoir les moyens déjà de présenter ce produit - un écran, de l'électricité. Avec un comicbook, tu as juste besoin de lumière pour le lire. Il y a des avantages et des inconvénients pour tout, évidemment.
Pour un de mes premiers numéros, je m'étais imaginé que le héros rêvait de vaisseaux spatiaux en train de s'affronter, avec des corps flottants partout et des explosions. J'ai écrit une page que j'ai envoyée à Dave Cockrum et je l'avais une semaine après. Ca a du coûté 600$ à Marvel avec les standards d'aujourd'hui. Pour faire ça sur écran, il aurait fallu appeler George Lucas, pour qu'il invente ILM, fasse tous les concepts, ça aurait coûté des millions. Peut-être que ce n'est rien quand le duo de films Avengers coûte un milliard à faire, mais il y a donc différentes façons d'obtenir satisfaction. Il n'y en a pas une qui soit moins valide que l'autre, mais il s'avère que je préfère les comics.
Merci beaucoup !!