Difficile de quantifier avec certitude les attentes du public autour de la relance (annoncée) du personnage d'Hellboy au cinéma. Depuis ses premiers pas sur les écrans entre 2004 et 2008, le monde des adaptations a bien changé. A force de s'engoncer dans la case des comédies tous publics, les héros de comics auraient achevé de compartimenter le public entre des nostalgiques de films d'auteurs exigeants, et ceux prêts à accepter le cahier des charges des grosses productions sans s'interroger sur le mieux éventuel. En cette année, où il fête son vingt-cinquième anniversaire, Hellboy semble débarquer dans l'idée de mettre tout le monde d'accord.
Mélangeant l'amour de son auteur pour les écrivains d'horreur gothique, les folklores de l'ancienne Europe, les revues de fantastique et de science-fiction où étaient publiés les écrits de son idole, Howard Phillips Lovecraft, Mignola proposera dès 1994, avec son diable aux cornes limées, une contre-imagerie au tonitruant de la bande-dessinée américaine. Contrastées, sombres, grinçantes, les oeuvres de l'univers Hellboy puiseront dans l'expressionnisme et un imaginaire sans fin leur qualité poétique, leurs atours de petites histoires macabres portées par une esthétique unique en son genre.
A sa façon, le cinéma aura répondu à cet héritage en optant pour un metteur en scène pétri des mêmes sensibilités. Sans embrasser toute la beauté des oeuvres de Mignola, Guillermo Del Toro adaptera suffisamment bien les aventures du personnages, dans une trilogie amputée de son dernier volet, pour permettre à Hellboy de survivre à la vague des séries B nées de l'association (hasardeuse) entre comics et cinéma de petite ambition. S'il y avait bel et bien une place pour du plus fidèle, du plus Mignola ou du plus réussi, Hollywood a comme souvent choisi de décevoir son public avec la relance proposée par Neil Marshall et le studio Lionsgate. Parti d'un discours d'intention louable, le projet Hellboy empile toute une batterie d'erreurs, de défauts ou de réels moments de gêne, qui trahiraient presque l'envie d'une parodie méta' s'ils n'étaient pas compensés par de trop nombreux moments de premier degré.
Hellboy est d'abord un héritier indirect du style Marvel Studios. Avec le temps et les projets, les marchands de la culture auront retenu l'importance, dans le répertoire des adaptations de comics, de jouer sur la corde de la générosité. Les renvois aux fans sont ici nombreux, le bestiaire vaste, certaines séquences adaptées presque trait pour trait. Mais à trop en faire, sans avoir jamais cherché à doser quoi que ce soit, le métrage étouffe sous un rythme infernal, certaines séquences empilant rebondissement sur rebondissement à une cadence frénétique, sans jamais laisser au spectateur le temps de respirer ou de digérer l'amas d'informations déployé à l'écran. Peu à peu, il se désintéresse d'une oeuvre qui finit par avancer seule, en vase clos, sur une durée qui paraît immense, paradoxalement à ce que le montage traduit du produit fini.
Dès l'introduction, en effet, on remarque des séquences hachées, trop brèves. Avec parfois des répétitions ou des enchaînements abrupts, saccadés, et à ce point comprimés qu'on ressent du côté du réalisateur comme du studio une envie d'en donner autant que possible. Comme une ration opulente dans une trop petite assiette, le film déborde. De personnages, de monstres, de rebondissements, de dialogues fonctionnels contre un ensemble follement prévisible, un énorme bordel qui serait fascinant à décortiquer tant certaines erreurs passent pour des choix de dernière minute.
La caméra se fixe parfois sur des éléments sans importance, où l'on sent une envie de guider le spectateur vers un élément précis, sans qu'aucune réponse ne soit apportée au final. Le personnage d'Alice Monaghan souffre de cette érosion de logique, qui sera certainement survenue en cours de route : dotée de pouvoirs, apparemment liée à Hellboy, on n'apprendra rien sur elle en dehors de sa piètre introduction, sans jamais interroger son rôle, ses motivations ou son intérêt à suivre le grand gaillard dans sa lutte contre le mal. A l'inverse, Ben Daimio a droit à son petit arc scénaristique rien qu'à lui, au cas où vous ayez un peu de place entre deux folles empoignades dans le sachet de gourmandises achetées pour la séance.
D'autres éléments sont glissés pour donner dans le fanservice besogneux, presque obligatoire, qui est aujourd'hui imposé aux adaptations de comics. Un autre personnage du monde de Mignola fait deux brèves apparitions, déroutantes, stupides, et balancées avec un tel dédain que le spectateur profane généralement heureux de ces petits jeux de pistes n'ira probablement pas chercher sur internet l'identité ou le rôle du héros en question - au passage, Thomas Haden Church n'a rien perdu de sa prestation en Sandman dans Spider-Man 3. Une séquence d'Hellboy au Mexique de Mignola et Corben est aussi présente, dans le premier tiers du film, pour souligner un peu plus le comparatif hasardeux entre le produit original et son pendant cinéma, de même que la mise en scène, souvent pénible et sans envie, trahit le manque de moyens de certaines scènes tournées à pas cher dans des décors engoncés.
Pas forcément toujours mal filmé cependant, le métrage souffre de cet enchevêtrement de plans trop brefs pour capter l'attention ou profiter des quelques moments dignes d'intérêt. Jamais placés assez longtemps dans un contexte ou une ambiance, les héros évoluent de scène d'action en scène d'action avec un esprit ludique très adolescent, qui aime sa bande son aux guitares saturées, sans doute héritée du principe qui veut qu'un héros avec une gueule de diable est forcément un hommage inavoué à Dave Grohl dans Tenacious D. Le montage ou les placements musicaux annihilent l'efficacité des nombreuses, nombreuses blagues servies par le héros, comme si le scénariste s'était lancé dans l'idée de faire rire mais que le metteur en scène n'était pas convaincu. Les effets de caméra ou le rythme répondent très mal aux dialogues comiques, ce qui a généralement pour effet de désacraliser Hellboy, en faisant de lui un couillon incapable de rester sérieux dans des situations qui exigeraient un peu de tenue.
L'écriture du personnage est un autre héritage de l'école Marvel Studios. Dans un portrait très habituel de trentenaire paumé à la Star-Lord, incapable de se sentir concerné par le destin du monde, et qui n'attend que la validation paternelle qui lui a toujours manqué pour passer dans l'âge adulte. David Harbour livre une prestation étonnamment habitée - l'acteur a cerné ce que le scénariste voulait faire du rejeton des enfers Anung Un Rama, presque trop bien. Il risque donc de s'attirer les foudres du public pour avoir fait exactement ce qu'on attendait de lui - c'est de bonne guerre, personne ne l'a obligé à apposer sa signature en bas du contrat.
Ian McShane est le seul autre acteur de la liste à dénoter des performances monotones d'une distribution qui manque de temps ou de place pour s'exprimer. Impitoyable en Trevor Bruttenholm abusif, l'acteur retrouve un peu de sa stature autoritaire de père caractériel à la Odin d'American Gods, mais doit lui aussi composer avec une écriture problématique. Au moment où Hellboy lui reproche par exemple d'avoir été un père maladroit, la réponse du prof' est sans appel, incitant son fils adoptif à se faire pousser une père de balloches au lieu de geindre - parce que c'est pas avec ces gamineries qu'on va sauver le monde avant le cognac du soir, nom de dieu.
L'exercice du reboot oblige, les comparaisons se font naturellement avec la lecture qu'avait fait Guillermo Del Toro de ces deux personnages, un John Hurt en mentor inquiet et un Hellboy finalement pas si différent dans la peau maquillée de Ron Perlman. Le décalque est accablant, à partir du moment où le premier film de 2004 présentait déjà un héros qui se sentait reclus, différent, et déjà très bougon et porté sur des plaisirs d'adolescent - tout en gardant un côté héroïque, attachant ou une certaine dignité qui manquent cruellement à cette nouvelle version. Comme si le nouveau film n'avait retenu des adaptations précédentes que leurs défauts, en exagérant l'éloignement de l'époque avec le style des BDs. De la même façon que le Raspoutine de Karel Roden avait l'attrait gothique d'un Dracula pontife, Milla Jovovich donne le strict minimum et n'est jamais marquante, dérangeante ou intéressante à développer.
D'une autre école d'adaptations, Hellboy hérite un certain goût pour la violence graphique, en ne cassant pas sa structure de divertissement défouloir. Si le goût du sang, poussé à l'extrême, peut devenir absurde ou drôle dans des séries comme Kingsman ou Deadpool, le film reste ici à un degré assez basique de série B riche en hémoglobine où le gore va parfois servir de cache misère pour l'image, le manque d'enjeu ou le manque de rythme. Une longue scène en plan séquence sur fond vert, pas désagréable au regard du reste du film, s'en sert par exemple pour faire oublier ses incrustations brouillonnes, tandis que d'autres plus tardives vont en abuser pour donner un peu à manger au spectateur fan des fameux "troisièmes actes" et des grosses bagarres en images de synthèse devenues un gimmick connu du cinéma de super-héros.
A ce sujet, à l'image du film Hercules avec Dwayne Johnson, où les douze travaux d'Héraclès avaient été créés pour nourrir la bande-annonce sans être utiles à l'intrigue en elle-même, les money shots du film n'ont pour la plupart aucune utilité scénique. Le Hellboy à dos de dragon, les énormes créatures qui dévastent Londres dans les nombreuses images de promo', ne sont là que pour attirer le regard ou donner un peu de crédit à un film qui n'a pas les moyens de ses ambitions. L'ensemble profite cependant d'un bestiaire généreux, souvent très mal utilisé dans des scènes trop longues ou sans logique, mais les meilleures séquences ne sont que des jouets promotionnels qui n'auront pas d'impact réel sur les directions prises par le scénario.
Dans le même sujet de la générosité, il est à noter que le film a deux scènes post-génériques et espère manifestement proposer une suite à cette première aventure. Il serait pourtant très étonnant que cette lecture particulière du personnage trouve son public, en faisant preuve de si peu d'originalité. A se demander si le film aurait réellement eu cette gueule s'il n'avait pas, justement, été une adaptation de comics.
Vous remarquerez au passage que ce papier s'éternise, à l'image de l'oeuvre qu'il entend décortiquer. La raison à cela est simple : il y a énormément de choses à dire sur ce que le reboot de Hellboy échoue à réaliser, en tant qu'adaptation, en tant qu'objet filmique et même en tant que série B réussie. En empilant les défauts techniques aux problèmes d'écriture, un montage catastrophique et des intentions douteuses, le film frôle délicatement la frontière entre une oeuvre concrètement mauvaise et un réel plaisir coupable, une série Z dont le niveau d'échec est tel qu'elle en devient agréable à regarder. Le fameux statut so bad it's good, au point que l'on se demande si l'intention n'est pas justement de coller à cette niche de spectateur amoureux de grands plaisirs délirants.
Ce qui ne serait d'ailleurs pas si étonnant, attendu que l'on retrouve à la production le nom d'Avi Lerner, président de Millenium Films et pourvoyeur de la saga Expendables qui joue justement sur cette corde sensible, entre nanard volontaire et hommage intelligent au cinéma de genre. A plusieurs moments, on aurait envie de croire que tout ça est une parodie en forme de surprise, pour les fana' de Grindhouse, que personne ne nous avait prévenu et qu'un fan de Scary Movie se cachait derrière le pseudonyme du scénariste Andrew Cosby, quitte à revoir le film dans la foulée pour comprendre et savourer de s'être fait ainsi berner.
Problème, Hellboy ne vole ni si haut, ni si bas. Avec maladresse, le projet décalque simplement des recettes qui ont fonctionné dans les productions de Disney ou Warner Bros., avec une équipe salariée qui a tenté de coller à la sincérité qui aura réussi pour d'autres. Sans réussir à faire rire de son propre chef, le film devient involontairement drôle en tant que cahier des charges des erreurs à ne pas faire avec les adaptations, comme essayer à tout prix de coller à un modèle, invoquer des valeurs de productions de blockbuster sans avoir les moyens de les assumer, ou confondre fanservice et namedropping hasardeux, de quelqu'un qui aurait vaguement feuilleté une BD avant de la plier à une chaîne d'assemblage synthétique. Même la durée - de deux heures, tout pile - passerait pour une exigence de produit, au vu de tout ce que le montage essaye de faire rentrer dans un espace aussi petit.
On aurait envie de dire que le constat est alarmant, à une époque où Warner a choisi de marcher dans les pas de Marvel Studios, qu'aucune maison n'ose briser le diktat de la blague ou du simple divertissement bon marché, quitte à entraîner les quelques qualités sincères de certaines adaptations, telles que le bestiaire ou de bons comédiens. Mais là où on peut accepter le contrat avec les films franchisés, soit pour la richesse des visuels ou pour leur envie de tisser une grande toile de héros variés et parfois fidèlement retranscrits, on refuse à Hellboy le droit de n'être qu'un Deadpool de contrefaçon.
En particulier après l'abandon du troisième film de Guillermo Del Toro, ou en comprenant l'héritage des deux premiers et la particularité si précieuse des comics dont ce film tire ses quelques réussites. A défaut d'être un énième produit fade des grands studios d'Hollywood et leur habituel manque d'ambition, Hellboy est un échec, un sous-produit du cinéma de genre qui ne comprend pas son héros et voit ses spectateurs comme des adolescents fana' de gore, de blagues et de clins d'oeils de tonton pas subtils. Triste présent.
On était prêts à rire, on était prêts à gober le popcorn à pleine bouche, on était même prêts à être surpris devant le bestiaire et l'exercice (difficile) d'adapter une oeuvre qui ne s'y prête pas aux codes modernes de divertissement, mais même en ne s'attendant pas à grand chose, le Hellboy de 2019 déçoit. Pas forcément le pire film adapté de comics qui ait jamais vu le jour - Catwoman a encore de belles années devant elle - il nous rappelle cependant une époque où des décideurs en complets cravates venaient piller la culture séquentielle pour nourrir les étals des marchands de DVDs et les grilles d'AB1 et RTL9 entre deux rediffusions de Friends après 22 heures. Parachuté, dans un saut temporel de l'impossible, depuis l'époque où Daredevil se bagarrait avec Elektra dans un parc public et où Foggy avait peur des crocodiles dans les canalisations, Hellboy a la qualité foutraque d'une immense blague involontaire qui devrait divertir un public musclé en terme de second degré, et faire fuir les populaces normales qui en avaient déjà assez d'entendre les héros de Marvel s'envoyer des vannes à chaque possibilité de fin du monde. Il est très probable que le film s'effondre devant la concurrence des mastodontes du milieu, et que les projets de suite de Lionsgate n'aboutissent pas en définitive - pour ceux qui rêvent de retrouver le héros de leurs comics préférés dans une version à sa hauteur, ne reste qu'à attendre que le studio se fasse racheter par des gens plus compétents.