Pour beaucoup, l'expérience cinéma s'est transformée, au fil d'années laborieuses où le prix des tickets n'aura cessé de grimper en flèche, en grands rassemblements festifs articulés autour des divertissements à grande échelle. Ce que l'on ne retrouve pas sur son écran de télévision, faute de place ou d'équipement. Marvel Studios aura été l'une des sociétés à s'adapter le plus efficacement à cette vision moderne du grand spectacle, en ajoutant un peu d'événementiel par son caractère d'immense saga sérialisée, quand chaque scène d'après générique venait rappeler aux fans qu'un monde plus vaste était, perpétuellement, en construction.
En sortie de séance, il paraît évident que plusieurs points ont été réfléchis en amont, et organisés de manière logique ou pragmatique, à commencer par la structure du projet. Véritablement segmenté en trois actes, Avengers : Endgame se découpe comme un trio de grands actes avec forces et faiblesses associées, qui ne trouve pas de réel équilibre dans le déploiement de ses enjeux. Le film démarre par une introduction où se bousculent quelques effets de style plutôt réussis et un sentiment d'apocalypse morose qui imite le ton des dernières minutes d'Infinity War. La retenue sur l'humour, une intégration plus propre des blagues indissociables de l'école d'écriture Marvel Studios à l'intrigue, avec un ton général bien tenu et un jeu sur les silences où l'idée de deuil est omniprésente et travaillée. De réels bons moments viennent se présenter, avec, déjà, l'impression d'un monde poussiéreux qui a déjà bien vécu.
L'emphase est mise immédiatement sur la trinité Tony Stark, Steve Rogers et Thor, pivots et témoins symboliques des premiers pas de l'aventure Marvel Studios. De premiers moments référentiels viennent s'intercaler, en souvenir, avec une science des répliques miroirs venues d'anciennes productions qui trouvent des échos différents dans de nouveaux contextes - la force de la saga Marvel, qui récompense généralement les fans par de petits biais d'écritures en forme de clins d'oeils, pour ceux qui ont suivi. On pourra saluer un film qui choisir de se tourner davantage vers ses personnages - parfois, au détriment de l'intrigue de fond - en donnant à l'ensemble une couleur plus humaine qui va bien avec cette idée de grand générique de fin. Certaines scènes jouent à plein la carte de la dernière grande croisade, et, avec l'habitude et des années d'expérience au compteur, les acteurs sont dans l'ensemble très bons en comprenant les évolutions générales de leurs contreparties filmées.
Au chapitre des déceptions, on pourra regretter, à l'image de ce qui s'était passé avec Black Panther et Infinity War, que les frères Russo n'aient pas anticipé le succès de Captain Marvel pour cette nouvelle aventure. Le personnage de Brie Larson ne va pas forcément là où certains l'attendaient, et, tout en désamorçant au fil de ses apparitions les fameuses théories ou invectives survenues sur internet sur son traitement particulier, représente mieux que les autres l'idée de jouer sur les fausses pistes. L'écriture va régulièrement prendre l'attente des fans à rebours, ou s'y conformer docilement à d'autres moments - on retrouve toutefois suffisamment de surprises, de cadeaux ou de rebondissements (à la pelle) pour tenir en haleine les spéculateurs, et ce malgré un chemin laborieux.
Puisque, si l'entrée en matière est convaincante, équilibrée, se déroule ensuite sous les yeux du public un tapis rouge vers le fanservice et la référence usée, à l'envi. L'idée d'Avengers : Endgame a toujours été de rendre hommage au passé. Quoi de plus normal, au moment de clore une saga presque familiale, déployée sur une si longue période et chère à de nombreux fans, dont certains auront grandi en prenant ces films comme premières briques de leur parcours de spectateur de cinéma. Alors, à l'image des épisodes de sitcom où une paire de héros quitte un appartement, se marie ou quitte la série, le film se donne pour mission d'explorer le passé dans une série de séquences mémorielles répétant certains des grands temps forts du MCU. Un clip show, qu'il serait difficile de développer sans trop en dévoiler, mais qui alourdit le projet tant dans la mise en scène que l'écriture générale.
Là où les Russo semblent parfois s'amuser dans ce jeu perpétuel d'auto-références, cette deuxième heure est filmée sans noblesse, dans des espaces souvent étriqués ou l'intention de voir Marvel Studios faire un immense high five à Marvel Studios casse parfois les bons souvenirs de certains anciens films. Une auto-congratulation pour le chemin parcouru, en définitive assez facile, et qui dit énormément de choses sans accomplir beaucoup. L'ensemble permet surtout à des acteurs qui ne reprendront pas leur rôle de dire au revoir dans les bonnes conditions, ou de faciliter le boulot aux spectateurs qui n'auront pas pris le temps de tout binge watcher avant de revenir en salles pour reprendre en marche la chronologie MCU. Avengers : Endgame va presque trop loin dans son envie de fin de cycle, et, en cherchant à rappeler une dernière fois les bons moments de la saga, ne fait que répéter assez maladroitement des routines que l'on a déjà vues, en mieux filmé.
Les scènes qui s'enchaînent deviennent très prévisibles, proposant un effet à la Ant-Man d'humour inconséquent où on perd vite de vue les enjeux. Les chercheurs d'incohérences en auront pour leur argent, avec des règles peu définies, un scénario qui accumule les erreurs à mesure que l'intrigue progresse, et refuse surtout de ralentir en se précipitant systématiquement sur le rebondissement suivant.
Ce ventre mou, cette bedaine de générosité maladroite dispensée à tout va, ralentit la course du film entre les coupures de rythmes habituelles de dédramatisation par l'humour. Là-encore, difficile d'espérer que la formule allait changer dans un métrage qui sert de maxi best of à tout un esprit d'entreprise - certaines séquences paraissent tout de même très hors de propos.
Sur le dernier tiers, l'ampleur d'Infinity War finit par rattraper l'intrigue avec l'indispensable, inévitable bagarre de clôture. On appréciera la manière dont Marvel Studios revendique haut et fort sa place dans le spectre pop-culturel, sa vision horizontale d'un monde vaste aux héros variés et fédérés par un ensemble qui ne se sera que rarement traduit à l'écran - en sa qualité de bouquet final, Avengers : Endgame livre tout ce que le MCU avait à livrer avec de vrais instants de bravoure. Le rôle de la trinité Thor, Evans et Stark amène un premier front symbolique à l'aventure, mais l'on retrouve aussi des répliques, des plans, des team-ups ou des entrées et sorties de personnages qui jouent à plein le rôle de grand spectacle, de feu d'artifice et de dernières bravades aux passionnés en reflet d'une grande histoire de vingt-deux films. On s'attend à des frissons, voire des larmes pour les plus assidus (personne ne juge).
Paradoxalement, le film des Russo serait une excellente fin actée si l'on choisissait de ne pas poursuivre l'aventure du MCU. Une réelle conclusion, plus qu'un passage de flambeau : les héros introduits récemment sont (évidemment) moins présents que ceux des débuts, et l'envie de dire adieu aux figures tutélaires l'emporte dans un ensemble très nostalgique ou le moindre échange balancé dans le moindre film de la première phase historique trouve ici un pay off, une réponse aux airs de boucle bouclée. Chris Evans est probablement celui qui s'en sort le mieux dans cet étalage d'adieux véritables, habité comme d'habitude par la noblesse et la grandeur de son rôle, ô combien important dans un film où l'idée est de reprendre espoir, de repartir au combat.
Scarlett Johansson s'est appliquée de son côté à donner plus que d'habitude en Black Widow, dernier reste du S.H.I.E.L.D. et de la pensée fédératrice de Nick Fury, mais surtout, grande amie de Clint Barton qui amène de son côté une réponse au deuil général avec des motivations plus personnelles. On saluera le travail de doublage impeccable de Bradley Cooper (comme d'hab'), l'esprit bon enfant de Paul Rudd et Mark Ruffalo qui embrassent leurs statuts de bonnes bouilles paternelles et marrantes, une Karen Gillan plus présente que d'habitude et pas désagréable en Nebula repentante, et un Josh Brolin un poil moins convaincant que dans le précédent volet, mais principalement pour des questions d'écriture. Moins humain, moins incarné, moins touchant qu'auparavant, le Thanos d'Avengers : Endgame passe plus pour un seigneur de guerre sans pitié que le dictateur serein et presque tourmenté d'Infinity War. La bagarre en perd un peu de sa superbe, avec un vilain plus impersonnel, mais parvient tout de même à reproduire l'idée venue des comics de "l'inévitable" Thanos, celui qui revient toujours, et dont on ne peut jamais réellement triompher.
En résumé, un firmament à double-tranchant, qui n'a contre lui que son envie de bien faire et son incapacité à transcender les réussites de son prédécesseur. Avengers : Endgame ne rate qu'à moitié ce qu'il entend entreprendre : divertir, se souvenir, fermer une saga. Avec sa structure en trois parties, à ce point découpées que l'on peut caler à la seconde près le moment où l'une commence et où l'autre s'achève, le film s'exposait logiquement à des résultats variables, en proposant les trois tonalités diverses qu'un bon scénario est sensé rendre plus digestes, ou plus liées entre elles. Entre la dramaturgie, le mémoriel et l'épique, le film ne s'en sort qu'aux deux tiers, ce qui ne serait pas si dommageable pour n'importe quelle autre sortie du répertoire des super-héros - où l'on a souvent l'habitude de calvaires d'écriture parsemées de blagues ou de segments hors de propos.
Mais l'on avait plus d'attente pour Avengers : Endgame, et le constat en sortie de séance est que ce film, par-delà tous les avis personnels de ceux qui aiment ou n'aiment pas la formule, est avant tout très Marvel Studios. Pour ceux qui auront critiqué, pour ceux qui auront réclamé le changement, les Russo comme Kevin Feige ont adressé un communiqué clair et particulièrement précis : rien de ce qui n'a été fait, au fil de ces onze années de travail, n'est à jeter. Rien n'a été oublié, rien n'a été retiré du canon, et à l'exception de l'Incroyable Hulk, tous les acteurs qui auront eu un jour une réplique à donner dans un film du MCU se retrouvent de la partie, toutes les phrases symboliques ou les éléments distinctifs de ces personnages est au rendez-vous. Au point de tenir, sur le tard, des promesses faites il y a bien, bien des années.
A chacun de voir s'il conviendra de sauter de joie devant cette régularité, qui emmène avec elle autant de qualités que de défauts. Reste que le sentiment est partagé, entre ceux qui auront grandi avec ces films pour s'apercevoir, à mesure de l'âge qui passe et de la lassitude qui s'installe, que cette grande saga avait peut-être les moyens de faire plus ou d'aller plus loin sur certains éléments - et ceux qui, à l'inverse, applaudiront l'excellence d'un produit d'usine qui a su poussé si loin le boulot de commande et de manufacture. Comme si les productions Marvel Studios, avec leur style, leur photographie ou leur écriture chaque fois identifiable, étaient devenus des films d'auteurs, avec, à la place du réal', une entité toute puissante dont l'idée ne serait que de divertir en donnant ce qu'il faut à chacun.
Mais, même en comprenant ces concessions faites à la marque que l'on va s'empresser de consommer, on remarquera que derrière toutes ses qualités, la bienveillance envers ses personnages et de vrais bons moments, Avengers : Endgame laisse souvent le public sur sa faim. Moins inventif qu'Infinity War, moins bien dosé qu'Infinity War, avec une intrigue qui se perd parfois et n'imite pas la linéarité tranquille d'Infinity War, le film est une fin de saga qui ne réussit pas à égaler les réussites de son prédécesseur, dans un registre pourtant similaire qui nous rappelle au passage que les films Avengers sont généralement plus copieux, mais moins bien équilibrés que les aventures solo'. Tout en restant divertissant, Endgame avait onze ans de développement sur ses épaules et la mission d'achever tout un univers en donnant une nouvelle impulsion - le contrat est, au moins, aux deux tiers rempli.
Si la déception reste bien entendu proportionnelle aux enjeux, on attendait d'être divertis par Avengers : Endgame, comme ces immenses crossovers estivaux forts de nombreuses couvertures variantes et de conséquences de long-terme. Pris sous cet angle, ou sous-celui plus tranquille d'une grande farandole d'adieux, le film tient ses promesses en tombant malgré tout dans le piège d'en faire trop à de trop nombreux moments. Confus, parfois pesant, cherchant ici ou là un appareil comique que l'on aurait aimé plus discret, le dernier né des frères Russo devait mettre fin à un règne sans partage dans le monde des super-héros en n'oubliant pas d'où la saga était partie au départ. Si les frangins s'en sortent en règle générale, on regrettera qu'ils aient à ce point cherché l'hommage aux précédents qu'ils en auront oublié la force de leurs propres réussites dans le MCU, les Winter Soldier où on rit moins où un Infinity War au scénario plus dirigiste. Ici, dans une mosaïque de références qui cherche, et trouve, souvent, la symbolique si chère aux fans de la première heure, Avengers : Endgame s'en sort avec les honneurs sans devenir le très grand film que tout le monde espérait. A noter qu'il n'y a pas de scènes post-génériques au compteur, pour marquer un peu plus l'esprit d'une fin définitive, et qu'on vous conseillera un second visionnage dans la foulée du premier - une fois dépouillé de certaines attentes, on a déjà vu des Marvel Studios vieillir mieux que prévu.