Après un premier volume revenant, avec énormément de détails, sur l'origine des X-Men dans les années 1960, la série Grand Design bondit vers le milieu des années 1970 et le début des années 1980. Cette suite, baptisée Second Genesis, choisit d'habiller ce sous-titre d'une police d'écriture connue des enfants de la génération Sega - une nouvelle manifestation de l'envie d'Ed Piskor de lier entre eux les grands mouvements de la culture pop', par un principe unificateur soulignant, en filigrane, cet héritage commun à tous les enfants des années 1980. Les premières consoles de jeu, les X-Men, les reliés de Chris Claremont, les bornes d'arcade et l’avènement du mouvement rap, une lecture générationnelle propre à cet auteur déjà appliquée aux bouquins de la série Hip Hop Family Tree.
Pour Marvel, Piskor effectue un travail de collecte dans les souvenirs communs de ce grand ensemble que formaient les X-Men dans cette période de transition. Un hommage à la narration, au style et à l'esthétique d'une époque empruntée, et superbement rendu dans ce volume avec le trait d'un auteur de comics indépendants inspiré par la génération Crumb et les grandes maisons d'édition de la Baie de San Francisco. Artistiquement, X-Men : Grand Design est un bouquin d'histoire pour les comics mainstream, réalisé comme une revue indé'. Une belle façon de déformer les codes.
On retrouve donc la seconde équipe de X-Men avec ses têtes connues, et les grands temps fort de ce génération. Les Shi'Ar, Wolverine et ses pérégrination romantiques au Japon, la Dark Phoenix Saga qui forme le coeur du volume, des passages politiques ou cosmiques, l'apparition de Rogue, Storm, les croisements avec Doctor Doom ou Miss Marvel, toute une batterie d'histoires résumées très succinctement et enchaînées à un rythme effréné. A ce titre, Grand Design a tout d'une bible de collectionneur - au sens noble du terme, puisqu'au-delà de la qualité intrinsèque du bouquin, le style évoque bel et bien ces ouvrages religieux mettant bout à bout des légendes isolées pour les lier entre elles autour d'un grand récit fleuve, historique, et livré avec une certaine neutralité de raconteur détaillant des faits inaltérables.
Le style de Piskor sur les planches est proprement somptueux, toujours porté par cette esthétique de comics indépendant aux pages jaunies, au style faussement simpliste et aux dialogues dépouillés. La colorisation fait un énorme travail pour imiter les limitations des comics underground d'une certaine époque, en teinte sépia, tandis que la moindre case se charge des fameux "ben-day dots" emblématiques du Pop Art. Si on voulait creuser l'analyse, au-delà de décrire chaque récit point par point, on pourrait dire qu'X-Men : Grand Design est, plus que toute autre, une bande-dessinée de Pop Art, au sens où cette discipline artistique prenait les objets du quotidien ou de la culture populaire pour les réinterpréter sous un angle plus esthétique. Faire du beau avec du très commun, ou faire de l'art noble avec des objets échappant à l'élite et n'appartenant qu'au consommateur.
Dans cette optique, on notera que le bouquin fait son travail à plusieurs niveaux : les personnages, les ambiances et les choix de découpages sont pétris de la stylistique des années 1980, évoquant les illustrations de VHS ou de films de séries B, avec quelques hommages à Carpenter. Une conception des monstres, des flingues, de l'art décoratif ancré dans une époque, et l'on remarque une véritable césure entre la façon dont sont représentés les personnages entre les deux numéros compilés dans ce volume, l'un plus seventies, l'autre bien installé dans les codes reaganiens.
Pour comprendre les X-Men, pour apprécier les X-Men même si vous pensez que vous n'appréciez pas les X-Men, pour redécouvrir l'histoire des X-Men ou vos vieux souvenirs de lecteurs sous un angle et un projet artistique très particulier, il est indispensable de vous procurer le second tome d'X-Men : Grand Design. Plus intéressant que le dernier film en date si vous souhaitiez découvrir la Dark Phoenix Saga (et proportionnelle en terme de prix si vous comptiez passer par la confiserie de début de séance), il est d'autant plus important de soutenir ce genre de projets nés d'une envie sincère de Marvel de rendre hommage à sa continuité autrement que par d'éternelles variantes ou relances au numéro #1. On se plairait à rêver d'un projet du même genre pour Spider-Man, presque plus emblématique de la culture pop que les mutants à sa petite échelle, ou que, dans le cas de bonnes ventes, l'initiative inspire à DC Comics l'envie de ramener Batman : Black & White ou autre création iconoclaste du même ordre. Donner à un artiste éloigné des codes du mainstream conventionnel les clés de la baraque ne peut faire que du bien. La preuve. Achetez, ou au moins, lisez.