Sortant une nouvelle fois des sentiers battus de Valiant, l'éditeur Bliss Éditions publie un imposant premier volume pour le titre Kaijumax de Zander Cannon. Initialement proposé par Oni Press, le titre est un récit carcéral vivifiant dans lequel des Kaijus (ces gros monstres issus de la culture pop japonaise, et que le reste du monde s'est approprié) se retrouvent enfermés sur une île-prison à ciel ouvert. Avec un style graphique aux premier abord enfantin, le récit se découvre avec une maturité de propos et une profondeur scénaristique rare. Un incontournable à emporter avec vous cet été... explications.
Alors qu'il cherchait de quoi nourrir ses enfants, le monstre Electrogor est arrêté et embarqué sur Kaijumax, la prison que les humains ont construit pour empêcher tout Kaiju de faire des ravages sur Terre et dans les grandes villes qu'ils ont l'habitude de détruire, quelle que soit la raison. Dans un premier temps, le nouveau venu va découvrir cet univers impitoyable, où détenus de toutes formes se toisent et tentent de s'accommoder à la vie en détention - avec plus ou moins de facilités.
Très vite, le récit emprunte diverses routes annexes, pour nous emmener dans le quotidien des autres prisonniers, mais également de celui des dirigeants de la prison, des surveillants (parfois corrompus) au directeur, en passant par le service de soins où ceux qui y vivent en dehors mais entretiennent des contacts étroits avec l'établissement. Une galerie de personnages complexes, nuancés, et qui répondent à tout ce que l'on peut voir dans les récits du genre.
En s'appropriant un univers atypique, Zander Cannon joue en effet avec tous les codes du récit carcéral, si bien que les figures classiques de certaines oeuvres, l'impitoyable série Oz (HBO) en tête, nous sont exposées avec une écriture d'une finesse appréciable. On retrouve aisément chez Electrogor le personnage de Tobias Beecher, dans sa façon de découvrir à la dure les différents recoins de Kaijumax. Entre les gangs de Kaijus qui se livrent une guerre sans pitié pour le trafic de drogue (ici, on deale de l'uranium), les matons pourris aux commandes de la mafia locale installée sur la lune, les forcenés qui n'hésitent pas à s'en prendre aux plus faibles, le scénario nous emmène dans une spirale de plus en plus infernale, avec des scènes d'une violence sourde, tranchant littéralement avec l'approche graphique du titre.
Que l'on ne s'y trompe en effet pas : malgré l'approche "jeunesse" du dessin de Zander Cannon et des planches hyper colorées, les grandes cases sont surtout là pour coller à la taille des protagonistes, mais pas pour ternir un quelconque propos. Kaijumax est mature, et difficile à lire par moments, de façon surprenante. L'artiste dessine, au fil des chapitres, une multitude de monstres plus ou moins grands, inspirés d'un pan entier de ce cinéma de genre propre à la Toho et ses concurrents. Un ensemble de recommandations de films de ce répertoire accompagne l'ouvrage dans ses dernières pages, un complément bienvenu pour aller dénicher les références de l'auteur.
Il n'y en n'a pas que pour les monstres géants, d'ailleurs, Kaijumax fourmillant d'autres références populaires qui s'éparpillent généreusement sur les planches. On y retrouve des méchas géants, des créatures aliens, du Ultraman et autres séries super sentai, mais les monstres européens voire le mythe lovecraftien sont également là - quand on vous dit que c'est riche ! Pour ceux qui ne baignent pas complètement dans ce pan culturel, ou n'en connaîtraient que les grandes lignes, les importants bonus en fin de lecture sont là pour vous aider à naviguer, dans l'habituelle générosité d'édition commune aux sorties de Bliss.
Kaijumax se découpe en "saisons" dans sa version originale, et ce sont les deux premières que l'on retrouve dans ce gros pavé. Le format a lui aussi été pensé pour avoir une taille qui rappellera celle des monstres qui n'en sont que les figures de proue. Des thématiques distinctes seront donc à retrouver, et si l'on mentionnait Oz plus haut, la seconde saison rappellera les récits d'évasion, Prison Break en tête, ou Shawshank Redemption. Le propos n'en reste pas moins pertinent. Il va de soi que l'espèce humaine a de quoi avoir peur de Kaijus, capables de provoquer de grands dommages, mais l'argument est une façade pour Cannon, qui peutainsi simplement parler du rejet de l'autre, de la peur de l'indifférence, une image maintes fois utilisée dans les comics, poussée là à son extrême. Au-delà de leur enfermement, les monstres se cachent, essaient de s'adapter, sont méprisés, et la cruauté de certains protagonistes humains a bien plus d'ampleur que le plus gros des Kaijus.
Quitte à perdre quelques fois le lecteur, Zander Cannon utilise un vivier important de personnages et multiplie les sous-intrigues. Au fur et à mesure de la découverte de son nouvel environnement par Electrogor, les autres détenus ont chacun droit à leur moment d'exposition. Au-delà d'une simple lecture, c'est un livre-univers qui se dévoile au fil des pages de Kaijumax, avec l'envie de l'explorer plus, et un certain sentiment de frustration sur la fin - puisqu'avec cette approche sérielle, vous vous douterez bien que la note finale n'est en rien une véritable conclusion. Bon point cependant : l'envie, coûte que coûte, d'aller découvrir la suite.
Kaijumax est certainement l'un des OVNIs de cette année sur le territoire du comics en VF. Servi par une belle édition grand format (en souple) de Bliss Éditions, qui agrandit (sans jeu de mots) son spectre éditorial avec cet ouvrage, Kaijumax séduit par une approche graphique atypique en trompe l'oeil. Passé le trait enfantin, le récit dévoile sa profondeur, la complexité de ses personnages, la maturité de son propos, et multiplie les intrigues pour donner une série passionnante, qui marque encore une fois le livre refermé. Un incontournable, vous disait-on en début d'article, et il ne fera pas de mal de le répéter.
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