2019 était l'année des grandes conclusions. 2020 sera celle des nouveaux essais, avec toute l'incertitude et l'excitation qui iront avec, que l'on parle de comics ou de leurs adaptations. Pour démarrer l'année, concentrons nous sur le papier.
Sur le marché de la bande-dessinée américaine, les remous sont palpables même de ce côté de l'Atlantique. Le suivi des chiffres montre que la tendance à la diminution des commandes dans les boutiques spécialisées, malgré un chiffre d'affaires en légère progression (dû en partie à l'augmentation moyenne du prix du single issue et à la multiplication des numéros à 5$ et au-delà), ne s'est pas arrêtée au fil des douze derniers mois. Pourtant, il y a un essor bien visible, notamment du côté de l'indépendant. Bien sûr, Image Comics doit composer avec un paysage exempt de The Walking Dead, sa locomotive aujourd'hui arrêtée, et sans véritable remplacement en attendant Saga. Les nouvelles séries se lancent, et de nouvelles pépites se montrent chaque mois, mais le succès public reste malgré tout confidentiel. On a beaucoup parlé d'Undiscovered Country à son lancement, mais l'enjeu est de voir si l'on continuera d'en discuter à la fin de l'année.
C'est en dehors d'Image Comics que l'effervescence est la plus visible. Puisque le géant de l'indé' ne peut accueillir tout le monde, c'est à côté que les initiatives se multiplient. On a vu plusieurs éditeurs se lancer, en tentant d'innover sur le contenu publié, comme Ahoy Comics et son mélange de BD et de prose. Ou sur la méthode de distribution des comics, avec TKO qui mise sur une forme de binge reading qui s'adaptera aux envies de ses lecteurs. Plusieurs soldats sont également tombés au combat : le label Black Crown de Shelly Bond n'est désormais plus, tandis que le vétéran Vertigo a fermé officiellement ses portes. On observera donc avec d'autant plus d'attention de nouvelles initiatives comme Upshot, le label d'AWA Studios, ou le prochain Bad Idea, encore très mystérieux pour l'instant.
Du côté des Big Two, DC Comics semble avoir le plus de problèmes, et pas forcément au niveau de ses ventes. L'éditeur à deux lettres n'a plus de direction d'ensemble, partagé entre les désirs de plusieurs auteurs à forte tête - Scott Snyder, Brian M. Bendis - alors que l'ancien chef de file Geoff Johns a été mis de côté. A présent que Doomsday Clock est achevé, on se demande si un plan d'ensemble peut désormais être appliqué. Ce qui ne semble pas être le cas au vu de la fameuse "5G" (un remplacement général des héros iconiques de DC par une nouvelle génération, plus jeune, à la All-New All-Different Marvel Now). A croire que seule une Crisis, encore, pourra aider à ce que l'ensemble aille dans une belle direction, et redonner cette impression solide d'univers partagé que l'on retrouvait aux premières lueurs du Rebirth.
De l'autre côté, Marvel n'a pas de soucis à se faire, bien content de sa place de leader, qu'il va certainement conserver. La méthode porte ses fruits : plusieurs events en simultané, une multiplication ahurissante des numéros #1 (des one-shots pour ouvrir et fermer un event, des numéros spéciaux ponctuels chaque mois, et les fameuses mini-séries de numéros #1 sont désormais monnaie courante), et toujours autant de couvertures pour chaque variante. Ce n'est pas pour autant que la Maison des Idées ne propose pas de très bonnes publications, en attestent Absolute Carnage ou la relance des X-Men par Jonathan Hickman, sûrement la meilleure chose qui soit arrivée chez l'éditeur depuis quelques années. Puisque le lectorat américain semble continue de soutenir cette façon de fonctionner, c'est que le porte-feuille est encore assez extensible, et l'on se demandera jusqu'où Marvel peut tenter de grignoter pour rester leader sur les chiffres, au-delà de la qualité des titres proposés.
Un réel enjeu, plus difficile à suivre sous nos latitudes, est de suivre le marché parallèle des comics toujours plus grandissant, surtout pour les albums ; on sait que les librairies et boutiques généralistes sont plus que jamais des lieux importants de ventes de bande-dessinées, et que les éditeurs présents dans les comic shops ont de plus en plus intérêt à s'y engouffrer - comme le fait DC Comics avec ses labels jeunesse. Du côté du mainstream comme de l'indé, le défi sera donc double : ouvrir les portes des comic shops pour attirer la partie du lectorat la plus susceptible d'y aller par curiosité, et sortir de ces mêmes boutiques spécialisées pour aller recruter les lecteurs de demain.