Lorsqu'après une longue carrière chez Marvel, le scénariste super-star Brian M. Bendis arrive en exclusivité chez DC Comics, ce n'est pas pour faire de la petite besogne. Alors que l'éditeur va fêter les 80 années d'existence de Superman, l'auteur se voit attribué les deux séries les plus importantes consacrées au personnage. Avec carte blanche sur le titre - et une portée grandissante par la suite chez DC, Bendis va pouvoir alterner les tonalités en jonglant avec les séries Superman et Action Comics.
D'un côté, le titre éponyme est là pour amener la dose d'action dans un registre de blockbuster alors que, en dépit de son appellation, Action Comics ira lorgner du côté de Clark Kent et de son activité de journaliste, à l'heure des nouveaux médias érigés avec internet. Deux salles deux ambiances, qu'Urban Comics a préféré (d'un choix judicieux selon nous) de regrouper en une seule publication, Clark Kent : Superman, qui aborde dès son titre la dualité de l'entreprise de Bendis.
Sorti il y a quelques semaines, ce tome 2 de Clark Kent : Superman permet d'aborder le premier arc de Bendis sur Action Comics. Comme pour le précédent tome, le fil rouge prend racine dans le tome 0 proposé chez le même éditeur, qui contenait la mini-série Man of Steel. Un récit introductif qui, malgré quelques longueurs, posait les bases de ce que vous vous apprêterez à lire dans ce nouveau volume. Dans Metropolis, des incendies volontaires se sont déclarés successivement, et un curieux témoin déclare que Superman en est le responsable. Clark Kent, lui, tente de mener l'enquête en jouant à la fois de son profil de journaliste de terrain et de ses super-capacités, et doit compenser avec une situation familiale qui n'évolue pas comme il le voudrait, des suites du départ de Lois Lane et son fils, Jon Kent, dans un périple spatiale avec Jor-El. Au même moment, un nouvel ennemi, répondant au nom de Brume Pourpre, commence à sévir dans le secteur mafieux de Metropolis, et pourrait constituer une menace de choix pour l'Homme d'Acier. Entre enquête de terrain, polar, héroïsme et crise de couple, Bendis concocte un savoureux mélange qui se dévore au fil de ces six premiers numéros.
Avec Action Comics et la position particulière de Clark Kent, Brian M. Bendis peut revenir à une thématique qui lui est chère, et qui l'aura toujours suivie dans sa carrière : le journalisme. Qu'il s'agisse du rapport de Peter Parker au Daily Bugle, du passage de Jessica Jones en rédactrice pour le supplément The Pulse de ce dernier magazine, ou parce qu'il aura lui même écrit à plusieurs reprises dans de prestigieuses revues telles que le New York Times, l'auteur connaît ce milieu, la situation difficile de la presse qui lui est contemporaine, et se sert magnifiquement d'une galerie de personnages du Daily Planet pour dépeindre ce quotidien. Par les yeux de Clark, ses interactions avec ses collègues (dont un Perry White et un Jimmy Olsen impayables sous sa plume), c'est un micro-univers qui prend forme, au delà de la simple histoire proposée par le scénariste.
A l'heure où le papier tente de survivre face au web - la presse en ligne étant elle même face à de nombreux défis, Perry White tente tant bien que mal d'incarner une version anoblie du travail de journaliste, quand d'autres recrues plus jeunes, ici, la nouvelle venue Robinson Goode, est l'image d'une façon de faire moins propre, qui privilégie le sensationnalisme au détriment des faits. Une confrontation d'idéaux qui plaît, et une vie de bureau grisante, alors même que sa figure la plus emblématique, Lois Lane, se montre bien absente de ce quotidien. Et ce n'est pas sans raison.
Car, au vu de son statut et des années passées à tout remodeler chez Marvel, Brian M. Bendis ne pourrait s'empêcher de faire de même chez DC. On l'aura déjà constaté avec le premier tome de Clark Kent : Superman. On se retrouve donc avec un Clark isolé, face à lui-même, dans une situation qui pousse à s'interroger sur ce qu'est le Superman moderne de DC, à qui l'on a donné une vie de famille depuis quelques années - et l'auteur questionne la plausibilité de cette situation à long terme. Bien sûr, Kent est là soumis à des problèmes bien humains (la solitude, l'inquiétude face à l'absence de l'autre) et Bendis s'amusera donc à composer avec les facultés extra-ordinaires de son Homme d'Acier pour voir comment il y réagit. Tout en ajustant des éléments qu'on aurait pu penser immuables, quitte à véritablement effrayer le lecteur, l'auteur modèle l'univers Superman à sa façon. Mais là où un Snyder y va de ses gros sabots, on appréciera la fluidité de Bendis, qui affirme sa façon de faire sans donner l'impression de martyriser la continuité.
On retrouve d'ailleurs aussi cette façon d'aborder les pouvoirs de Superman dans le métier même de journaliste de Clark Kent : il est bien plus facile d'aborder une enquête quand on peut tout entendre dans une ville. Sans remettre en cause les travaux passés, on sent au fil du récit que Bendis essaie vraiment de rendre son approche du Kryptonien comme la plus crédible qu'il soit, compte tenu de toutes les capacités de ce dernier. Ainsi, le récit n'hésite pas à rebondir, à poser quelques parenthèses, avec cette alternance entre enquête presque terre à terre - qui fait d'ailleurs intervenir un guest que les fans seront ravis de retrouver - et des moments plus en adéquation avec le titre Action Comics.
Mais si cette histoire se montre également plaisante, c'est parce que l'auteur a su s'entourer des meilleurs artistes possibles sur Action Comics. On y retrouve dans l'ordre Patrick Gleason, Yanick Paquette et Ryan Sook. L'affinité du premier avec Superman et son univers ne sera plus à démontrer, le dessinateur ayant déjà fait quelques merveilles avec Peter J. Tomasi, quand ce dernier occupait le poste de scénariste. Le trait sera ici reconnaissable, quoique la patte est adoucie sur les visages, avec des yeux à taille plus réduite qui atténuent l'influence asiatique du style. A côté, Yanick Paquette régale par ses compositions le temps d'un numéro, mais c'est véritablement Ryan Sook qui rend la lecture encore plus agréable.
Qu'il s'encre lui même ou qu'il laisse la tâche à Wade von Grawbadger, le dessin de Ryan Sook sera simplement qualifié de "beau", faute de mieux savoir parler d'art et de visuel. L'artiste accompagne comme il le faut l'histoire de Bendis, avec des personnages qui irradient d'émotions et une mise en scène proprement impeccable, avec de très bonnes idées pour la représentation de certains pouvoirs de Superman. Dans l'action également, le travail est on ne peut plus lisible, et ce qui frappe malgré la présence des trois artistes (et autant de colorises), c'est l'impression d'unité graphique qui reste malgré tout bien présente, preuve est que le suivi éditorial a été de très bonne facture. Chacun des artistes ne lésine pas également sur le travail, avec des pages bien remplies, où l'on ne se contente pas de remplir le fond d'aplats de couleurs. Le quotidien de Clark Kent prend littéralement vie, et l'action super-héroïque de Superman s'en trouve magnifiée. Un régal.
C'est un début sans réelle fausse note (si ce n'est un rythme qui prend son temps) avec ce premier arc d'Action Comics pour Brian M. Bendis. La série se montre passionnante dans son étude du journalisme moderne, en alliant avec intelligence le travail d'un Clark Kent qui profite de ses super-pouvoirs pour mener à bien son métier. Avec des guests de qualité, une batterie d'artistes impeccable, ce second tome de Clark Kent : Superman montre de quoi est capable un Bendis en plein dans son élément. Une lecture parmi les plus qualitatives dans le DC moderne, à savourer sans hésiter.
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