En fin d'année dernière, Panini Comics proposait de découvrir une nouvelle aventure d'Hit-Girl, faisant partie de la "saison deux" dans son édition originale chez Image Comics. Après avoir livré un premier arc situé en Colombie, Mark Millar avait en effet confié sa protégée à d'autres équipes créatives, histoire de faire vivre un petit tour du monde à Mindy MacReady. On la retrouvait au Canada en compagnie de Jeff Lemire et Eduardo Risso, puis à Rome avec le duo de Rafael Scavone/Albuquerque ; désormais, retour aux Etats-Unis, mais dans un contexte bien particulier : celui d'Hollywood.
Mindy découvre en effet a détour d'une fusillade en milieu lycéen qu'un studio souhaite mettre en branle un film à gros budget chargé d'adapter l'histoire de sa vie, selon une biographie dont elle découvre en même temps l'existence. Hit-Girl, héroïne de comics pour son lectorat, va devenir dans sa réalité une héroïne de fiction également. Elle ne compte pas laisser Hollywood s'accaparer son image ou celle de sa famille, encore traumatisée par la mort de son daron de Big Daddy pour qu'on lui impose de la revoir sur grand écran - et dans une version qui n'aurait rien à voir avec la réalité. Elle décide donc d'aller couper quelques têtes de décisionnaires. Dans les grandes lignes, l'évidence pointe son nez dans le choix de Kevin Smith au scénario, le plus grand fanboy sur Terre étant un connaisseur du milieu du cinéma, et l'on s'attendait évidemment à un portrait satirique de cette industrie.
Difficile en effet de ne pas sourire en parcourant Hit-Girl à Hollywood face à certains portraits faits du milieu du grand cinéma, avec ses producteurs véreux, ses starlettes plus ou moins artificielles, et un jeu continu sur les rôles et la réalité, en forme de miroir à ce que racontait Kick-Ass sur la culture super-héroïque en son temps. Les frontières entre la réalité et la fiction (dans le bouquin) sont volontairement flouées, pour un petit jeu de chat et de la souris entre Mindy et une autre héroïne qu'elle est amenée à découvrir, et qui lui ressemble curieusement : la Coupeuse de Bites.
Au-delà d'une appellation grossière dont on reconnaît derrière l'humour de Smith, ce personnage là est présent pour parler, vous l'aurez deviné, de harcèlement sexuel dans le milieu, Hit-Girl à Hollywood se voulant comme une forme de commentaire au mouvement #MeToo et à l'affaire Weinstein. Une démonstration pas inintéressante quoi qu'on pourra taxer Smith d'un poil opportuniste, puisque ce genre de vérité aurait pu être moqué/dénoncé via Hit-Girl déjà depuis quelques années. Le geste reste sympathique, même si l'exécution manque un peu de finesse et de fond. L'idée est abordée, mais rien dans le scénario ne permet de parler un peu plus sérieusement d'un sujet aussi grave qu'important, alors que l'occasion était toute trouvée (et qu'on est certain que Smith pourrait se mouiller sur cette discussion). Mindy oblige, le déroulé finit par oublier son discours pour verser dans un déluge d'action qu'on lui reconnaît bien - et pas désagréable pour autant.
On apprécie en revanche de voir Kevin Smith s'attacher un poil à la continuité de Hit-Girl, en ramenant dans son volume quelques vilains que les lecteurs de la première heure reconnaîtront, permettant de garder un lien profond aux titres de Millar. Un mélange, donc, de fan service, et de nouveaux personnages au demeurant sympathique, avec une dynamique créé en cours de lecture qui font de ce Hit-Girl une proposition intéressante, à mettre dans le haut (relatif) du panier de la relance. L'histoire reste malgré tout à son court format de publication, et Mindy n'arrive toujours pas, au final, à aller plus loin que son rôle d'anti-héroïne ultra-violente, alors que certaines scènes permettraient de discuter de son comportement. On reste donc dans une façade de divertissement sanglant, un poil régressif (parce que les massacres qu'elle perpètre sont toujours fun), qui mériterait d'aller plus loin même si le côté série B reste assumé.
La vraie surprise de l'album reste dans le choix de Pernille Ørum pour les dessins. Avec un trait épais pour délimiter les contours extérieurs de ses personnages, et un travail résolument numérique, la dessinatrice donne une esthétique très "jeunesse" à cette bande-dessinée. Les personnages sont assez "mignons" dans l'ensemble (même les vilains), on ressent quelques emprunts à la fois du côté asiatique dans le design, mais également du côté des productions Disney des années '90, ce qui reste amusant au vu du contexte de ce Hit-Girl. Le contraste entre le style de l'artiste et l'ultra-violence des séquences frappe, avec de prime une ouverture du volume par un chapitre quasi-intégralement muet, très lisible, mais parcouru trop rapidement.
Au delà du charme du dessin, deux constats se font, qui ne servent pas l'histoire : d'une part, les personnages de Ørum sont trop statiques, et les planches ont du mal à rendre compte du mouvement de ces derniers. Ce qui est assez problématique pour un titre d'action. D'autre part, les décors restent assez sommaires ou génériques dans l'ensemble - un problème qui touche certes beaucoup d'artistes dans l'industrie, notamment pour tenir les rythmes de publication. On ajoute à cela quelques scènes très confuses (l'introduction de la Coupeuse de Bites par exemples) et quelques maladresses dans les moments les plus violents, qui atténuent le potentiel pourtant perceptible qui résulte du script potache de Smith avec un dessin pour une fois assez "doux". Qu'à cela ne tienne, on sera intrigués de voir où Ørum pourra nous emmener par la suite.
Au sortir de ce quatrième tome, Hit-Girl continue de nous faire vivre quelques courtes aventures assez fun, et l'on avouera qu'il y avait pas mal d'attentes sur la présence de Smith au scénario. Malgré un humour potache plutôt plaisant, et quelques tacles à l'industrie cinématographique, l'ensemble reste assez léger, et le scénariste semble vouloir se contenter d'une recette de série B à l'ultra-violence qui peut commencer à lasser si vous avez déjà entamé les trois précédents ouvrages. L'alliance avec le style atypique d'Ørum présente un certain intérêt, et si vous n'avez pas entamé Hit-Girl encore, on pourra vous conseiller de commencer de suite par ce tome. Parce qu'il y a la Coupeuse de Bites, et ça, quand même, ça ne se discute pas.
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