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Dans l'Oeil du Psy : Harley Quinn, une figure de l'éternel féminin ?

Dans l'Oeil du Psy : Harley Quinn, une figure de l'éternel féminin ?

chronique

"Dans l'Œil du Psy" est une rubrique qui propose d'éclairer l'univers de la culture comics et geek par le prisme de la psychanalyse. Pour y apporter un regard différent et inédit sur ce que nous croyons connaître déjà, mais qu'il s'agit parfois de regarder.. à deux fois!

Disclaimer : cette chronique a été rédigée en intégralité par Alex Hivence
Psychanalyste dans la vraie vie, il analyse sous son identité secrète la psyché et la personnalité des héros de la culture comics, manga, et geek.


Harley Quinn, personnage haut en couleurs, affiliée au Joker dans ses origines, a progressivement gagné en complexité. Toute droit sortie de la série d'animation Batman en 1992, elle rejoint l'univers des comics dès l'année suivante. Un succès fulgurant auprès des fans qui ne pouvaient que tomber amoureux de cette Dangereuse Arlequine ! Dans son costume rouge et noir, la frivole (mais psychiatre de formation) Harleen Quinzel va gravir les marches du destin et de la gloire pour devenir une icône incontournable, de plus en plus présente dans les médias dérivés de l'univers du Chevalier Noir. Mais alors, au fond, qui est Harley Quinn ? Le premier qui répond "Joker" remporte un billet gratuit pour Arkham !


"Syndrome, syndrome est-ce que j'ai une tête de syndrome?"

La première chose qui vient à l'esprit au sujet des origines d'Harley Quinn, est que celle-ci a été largement sous l'influence de son Mr J. favori, son "poussin" préféré. Leur histoire commence par une séduction confinant à l'emprise. Fascinée par les fous criminels de l'asile d'Arkham, le clown en particulier, la doctoresse Harleen Quinzel manœuvre pour devenir sa psychiatre attitrée pendant ses années de réclusion. C'est dans un jeu d'emprise que le Joker va persuader sa belle thérapeute de l'aider à s'évader, partant en cavale avec elle et lui brûlant le visage à l'acide (dans la version New 52) pour l'affubler de sa même peau blanchâtre. Harleen Quinzel devient alors Harley Quinn, et se retrouve, le plus souvent, à la botte du Joker qui l'utilise pour ses plans criminels.

La question de savoir comment une psychiatre a pu basculer pour devenir la complice soumise d'un fou se pose alors comme un point d'étude crucial. La réponse peut se trouver autour d'une forme de syndrome de Stockholm. Un cas connu du grand public, qui correspond au développement de sentiments d'attachement d'une victime à l'égard de son preneur d'otage. Là où, dans cette situation traumatique, la victime est censée rejeter la figure de ce-dernier, en être effrayée, et ne pas adhérer à ses motivations, c'est l'inverse qui se produit. La victime développe une sympathie pour celui qui la retient captive, adhère à ses idées, allant parfois jusqu'à adopter une position de critique envers la société pour justifier la situation de son agresseur. Il est assez souvent noté une propension consécutive à adhérer à des conduites délinquantes.Cela rappelle déjà une personne, vêtue de rouge et noir, qui succombe à celui qui l'entraînera vers ce sentier inconnu.


Allons plus loin pour voir ce que notre Harley Quinn vit au moment de sa rencontre avec le Joker. Si le syndrome de Stockholm est limité dans le temps dans ses expressions principales, comme l'attachement à son agresseur, certaines de ses caractéristiques demeurent à plus long terme. Ainsi, un jugement permissif vis-vis de la délinquance et cette attitude critique vis-à-vis de la société demeure. Cela correspond très bien déjà à notre Harley. En outre ce syndrome peut modifier durablement voire définitivement la personnalité, les valeurs et les convictions morales de l'individu. D'un événement d'emprise et d'agression sous forme de prise d'otage, les effets d'attachement se produisent sur un temps déterminé, un équivalent de cet amour (sulfureux) développé entre Harley et le clown "prince du crime". Les effets durables sont constatés, la menant vers un parcours radicalement différent de la psychiatrie qui occupait sa précédente activité, ou du moins en la côtoyant de l'autre côté du divan !

Harley et Joker : un duo d'enfer

Harley Quinn est sans conteste dès ses début associée à son clown criminel, dans une histoire amoureuse des plus folles où celle-ci suit à la lettre tous les plans du Joker, quitte à finir elle-même dans de sales draps. Il n'y a pas de différence entre ses envies et celle de l'homme qu'elle aime. Se montrant totalement subjuguée, séduite et sous le joug à la fois, par le Joker et par ses plans criminels tous plus fous les uns que les autres. Elle le suit de façon inconditionnelle.


Comment expliquer ce rapport aussi soumis d'Harley Quinn au Joker? Dans le syndrome de Stockholm, un des mécanismes permettant de comprendre ce sentiment paradoxal de sympathie et d'attachement repose sur l'identification de la victime à l'agresseur. La victime, afin de lutter contre l'angoisse de mort engendrée par sa situation, se met inconsciemment à vivre une situation extérieure à elle-même comme une situation intérieure, intra-psychique, et dans ce mouvement elle intègre l'identité de l'agresseur à sa propre identité, ce que l'on nomme "introjection". L'agresseur devient alors une part de l'identité de sa victime, laquelle s'identifie à ses comportements, à ses propos, et à ses choix.. 

Lorsque la société menace l'agresseur, cela renforce le mécanisme d'attachement. Quand la société cherche à intervenir, représentée par les forces de l'ordre par exemple ou un certain Batman, alors celle-ci est perçue comme imparfaite, voire persécutrice. En parallèle, l'agresseur, s'il se présente comme une figure toute-puissante, va représenter potentiellement une figure paternelle idéalisée. 

Si on extrapole ainsi un peu l'idée, Harley Quinn ferait un complexe d'Oedipe avec son Mr J., qui ne serait qu'un père adoré par une petite fille perdue ayant trouvé un moyen de s'exprimer avec cet amour sulfureux et des plus inconditionnels (perspective qui ferait de Mad Love un récit sur la dépendance affective). Et de fait, on comprend mieux pourquoi !

Hors-Norme

Si le lien avec le Joker était de nature réactionnel, c'es-à-dire consécutif à un événement, ou de type œdipien, nous pouvions de fait envisager qu'il était à durée limitée, et que l'émancipation allait pointer le bout de son nez, ou que le maillet allait sonner la fin de l'idylle! 


Ainsi Harley Quinn s'est dégagée de son lien avec le Joker, mais n'a pas pour autant perdu son côté marteau ! Bien au contraire, il semblerait plutôt que ce lien coupé lui permette de s'affirmer. Cependant pas de retour en arrière, la psychiatre des débuts a disparu. Ceci dit, dans Mad Love, nous apprenions qu'elle avait acquis son diplôme à l'époque en ... séduisant un de ses professeurs ! Déjà, Harley sommeillait chez Harleen, de façon latente. Ce qui laisse suggérer une prédisposition déjà présente pour la transgression, et fournit un élément d'explication sur le fait que Harley ait succombé au Joker alors qu'elle était psychiatre - son diplôme ayant été acquis indûment.

Libérée de ses attaches envers le Joker, celui qui la subjugue au départ et la révèle aussi à elle-même, Harley devient celle qui désormais peut explorer le monde à sa manière, toute féminine, sulfureuse et extravagante. Les trois à la fois n'étant-elles pas les trois versants d'une seule et même chose : le féminin, pas en tant que genre fermé mais en tant qu'expression de sa singularité ?

Harley et l'éternel féminin

Si toutes les femmes sont folles, comme le veut la tournure figée de Lacan, alors Harley Quinn en est une figure illustre. Nous pourrions partir de cette idée selon laquelle toute femme recèle une part de folie quand elle se révèle à elle-même. Ce féminin n'étant pas défini à l'avance, lorsqu'il quitte les stéréotypes de genre, il se retrouve sans bords, sans limites.


Là où nous pouvons concevoir que les hommes se rangent inconsciemment selon un ordre du côté de leur désir orienté par la question phallique, qu'ils soient nés avec ou non, le féminin s'organise sur le registre de l'être, et qui plus est dans un rapport au monde qui dépasse ces considérations phalliques du pouvoir imaginaire ou fantasmé. Le féminin, pouvant être présent chez d'autres que la femme, serait alors cette part à la fois d'abîme et de démesure. 

Et nous voyons d'ailleurs chez Harley Quinn cette expression d'absence de limites : elle peut briser le quatrième mur. Elle peut en outre croiser ses auteurs dans une histoire, elle manifeste une bisexualité assumée en ayant des relations avec des femmes comme Poison Ivy ou des hommes comme Deadshot, entre autres. Elle exprime ses attirances envers Wonder Woman, Batman, et en remontre aux meilleurs tentant de l'arrêter. Elle tient tête à Batman en combat rapproché, ce qui n'est pas une mince affaire.

Harley Quinn of the World

Ainsi la déferlante Harley Quinn tant dans les comics, les médias, les cosplay, les films se comprend à la lumière de ce qu'elle représente au-delà de sa création désormais, dont elle s'est affranchie. Chacun peut s'approprier cette image noir et rouge, désinvolte, libérée, folle comme elle l'entend, sulfureuse, une sorcière des temps moderne échappant au patriarcat du Joker comme de celui des héros masculins qu'elle croise, plus rigides ou guindés, Batman, Green Lantern ou Superman. Elle avance maillet sur l'épaule prête à en découdre, imprévisible, même les hyènes sont à ses pieds ! Elle est la figure émancipée idéale, un costume prêt à revêtir, échappant aux clichés, au risque d'en devenir un à son tour ! Mais alors une image nouvelle de son temps, celle d'une figure de l'éternel féminin indompté, après avoir connu le joug, après avoir été abîmée, mais toujours debout !


Elle est plusieurs femmes, elle rappelle que la femme n'existe pas au singulier, mais que des femmes, multiples, existent au pluriel, et qu'en chacun réside une multiplicité, effrayant les hommes peu assurés, ravissant ceux qui ne baissent pas les yeux. Harley n'est pas prête de s'arrêter ! Elle est une figure de la femme qui désire de façon subversive, exagérée, extravagante, qui s'est défaite des liens pour créer les siens propres, non stéréotypés. Elle est sortie de l'influence du Joker, non pour se disperser dans un fausse assurance, non par jugement néfaste à son égard, ni pour lui nuire, mais pour trouver une voie propre. La sienne, quitte à recroiser celle de Mr J. et le regarder en face, sans renier ce qu'elle lui doit ni ses sentiments. 

Ni enrôlée ni hystérique, Harley assume en somme son désir, et ce vers quoi il l'oriente. Son marteau comme boussole. En bref, Harley est désormais la Quinn de son Désir! Qu'elle martèle jusqu'à faire frémir. Elle a par les temps qui courent un boulevard devant elle...

Arno Kikoo
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