Après avoir marqué pendant quatre années Harley Quinn par leur run, et avoir redéfini les bases modernes de l'anti-héroïne, Amanda Conner et Jimmy Palmiotti s'en reviennent cette semaine avec une mini-série Harley Quinn & the Birds of Prey, de quoi accompagner comme il se doit les nouveaux pas du personnage sur grand écran. De quoi également, pour nous, vous proposer une interview du duo que nous avons réalisée l'an dernier pour la 5e édition du salon MAGIC Monaco de Shibuya Productions, où nous revenions sur la carrière du duo, et particulièrement sur l'ensemble du travail réalisé sur Harley Quinn.
Une discussion à trois vois où, on l'espère, vous pourrez ressentir la complicité d'Amanda Conner et Jimmy Palmiotti, collaborateurs inséparables des deux côtés de la vie. On vous rappelle qu'une nouvelle édition du premier tome de leur run, avec une sublime couverture de Joëlle Jones, est récemment sortie chez Urban Comics.
Tous nos remerciements aux équipes de MAGIC Monaco.
Remerciements aussi à notre Jo Ker préféré pour la retranscription !
J’ai une question très générale pour commencer. Comment travaillez-vous ensemble ? Avez-vous commencé à travailler ensemble avant de vous rencontrer ou était-ce après ?
Amanda Conner : Nous avons commencé à travailler ensemble juste après que nous nous soyons rencontrés.
Jimmy Pamtiotti : Oui, juste à notre rencontre. J’ai été appelé par une éditrice qui s’appelait Hildy Mesnik chez Marvel. Elle m’appelait pour un travail d’encrage pour une artiste, sur un comic appelé Gargoyles basé sur une propriété Disney. Il y avait Amanda dans le bureau, et c’était sa couverture. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés : j’ai eu un boulot pour encrer sa couverture.
Je crois que nous nous sommes rencontrés avant, quand je faisais des essais de pages chez Valiant Comics, tu te rappelles ça ?
Non, je ne m’en rappelle pas.
Je pense qu’on s’est rencontrés avant.
Tu étais mariée à l’époque.
Tu ne prêtais donc pas attention.
Non, je ne prêtais pas attention à une femme mariée, je devais voir ailleurs. Elle était très jolie, mais elle était mariée, elle était prise. Tu regardes l’alliance et tu te dis « Oh ! Au revoir » (Rires). Je faisais son encrage, c’était une très bonne dessinatrice. Tu venais de commencer chez Marvel c’est ça ?
Oui. En fait non, je travaillais chez Marvel depuis un moment. Je commençais sur Gargoyles, mais j’avais quelques années auparavant.
Ah OK, je n’en savais rien.
Et quelques travaux sur des super héros aussi.
Comme les Avengers.
Oui, et She Devil, une ninja en environnement urbain.
C’est un comicbook bizarre. Je suppose qu’après les Tortues Ninja, ça devait rapporter.
C’était le paradis des tortues.
Comment décririez-vous l’impact de votre relation personnelle sur votre relation professionnelle ?
C’est terrible (rires). Nous avons beaucoup de choses en commun et partageons les mêmes goûts. Par exemple Power Girl, ou même Vampirella représente ce que nous aimons faire. Mais c’était plutôt Power Girl, on a écrit le titre pour Amanda car on savait ce qu’elle aimait dessiner.
Je pense qu’on a vraiment posé notre routine avec Power Girl, car j’ai toujours aimé les œuvres contenant de l’humour. Les comics que j’avais faits avant étaient très sérieux, c’est quand j’ai commencé à travailler sur des comics plus amusants, que je faisais les choses que j’aimais vraiment. Jimmy a remarqué ça et a commencé à écrire dans ce sens.
Oui, j’ai une règle qui est « Trouver ce que l’artiste aime dessiner » et en tant qu’auteur, c’est ma responsabilité d’aller dans cette direction, le résultat est meilleur à la fin. Si on demande aux artistes de dessiner quelque chose qu’ils détestent, ils vont être en mode « Ah mon dieu, c’est du boulot ». Avec Power Girl, on savait qu’Amanda aimait dessiner des choses drôles et bizarres. On a un peu écrit chacun pour l’autre finalement.
Avoir une relation personnelle nous permet de nous améliorer mutuellement. Elle peut apporter des modifications à mes écrits, et moi je peux jeter un coup d’œil à ses dessins et suggérer de modifier tel ou tel détail. On ne se dispute pas souvent, mais parfois on se prend la tête car on est têtus tous les deux.
On pense tous les deux avoir raison.
Même si elle sait que j’ai raison.
Il sait que c’est MOI qui aie toujours raison.
Elle a toujours raison, sauf quand elle a tort.
Ce qui aide aussi est que son studio est en bas et le mien est en haut, et on se retrouve pour le déjeuner.
Nous avons de l’espace entre nous, sinon on se jetterait des trucs tout le temps. C’est vrai, peut-être le chat, on devrait se jeter le chat.
Laisse mon chat tranquille (rires)
Vous êtes tous les deux scénaristes et artistes. Quel est le plus gros challenge de chaque poste ?
Premièrement, écrire est beaucoup plus difficile pour moi que de dessiner. J’ai grandi en dessinant tout le temps, mais je n’ai pas beaucoup écrit. Avec Jimmy, nous avons une routine où on commence par décrire ce qui va se passer dans le livre, il va l’écrire, ensuite je fais les dialogues.
C’est vrai que tu écris les dialogues.
Il a souvent de bons dialogues que je n’ai pas besoin de toucher.
Mais elle le fait.
Ecrire en général est très compliqué pour moi. Côté artistique, le plus dur est de dessiner ce que je n’aime pas dessiner.
Un script ennuyeux ?
Oui, un script pas très inspiré ou des personnages inintéressants. Quand les personnages m’intéressent, je donne tout, mais quand ils ne m’intéressent pas, je n’arrive pas à y mettre mon meilleur travail. Quand quelqu’un me propose un travail, je préfère le refuser que de faire du mauvais boulot.
Ça revient à ce que je disais, quand tu connais ce que l’artiste aime dessiner, tu le lui donnes.
Le plus difficile dans mon travail, c’est effacer les traits (rires). Effacer est tellement ennuyeux !!! Le plus difficile pour moi, c’est le timing. Je n’arrive jamais à évaluer correctement combien de temps il me faut pour un travail, car je finis toujours par mettre plus de temps que prévu, même quand je prévois du temps supplémentaire pour moi.
Tout est facile pour moi.
Jimmy a une vie de charme.
C’est ce qu’Amanda me dit tout le temps. Je ne dessine pas beaucoup à vrai dire.
Il est très bon pourtant.
Je ne dessine pas beaucoup car c’est beaucoup trop de travail. Être artiste de comics est complètement fou, c’est très bizarre comme travail car tu dessines plus que n’importe qui sur Terre, et tu dessines tout, des voitures, des bateaux, des gens : c’est un travail difficile. C’est plus facile d’écrire la phrase « Trois mille cow-boys sur des chevaux arrivent sur la colline » que de la dessiner. J’ai le boulot facile, je peux dire « Sur cette double page, je veux une invasion d’extra-terrestres à Paris », c’est facile juste une phrase, et elle, elle va passer une semaine à travailler dessus.
Je pense que la partie artistique est la plus difficile.
Un de vos travaux majeurs ces dernières années était la série Harley Quinn, comment le ressentez vous après quatre ans passés dessus ?
Oui, un peu plus de 4 ans.
On a fait beaucoup de numéros dessus oui. Quand on nous l’a donné, c’était en mode « Oui, bon on va en vendre un peu et probablement l’annuler dans une année ». Et à cause de cet état d’esprit, ils nous ont laissé carte blanche. C’était la meilleure chose qu’ils pouvaient nous dire, car nous avons tout changé.
Amanda a changé son design, nous l’avons sortie de Gotham, car c’était un personnage secondaire à Gotham, et elle y serait toujours un personnage secondaire. Nous l’avons mise à Coney Island et c’était son histoire, elle avait son équipe. Nous avons tout fait pour tout changer, et nous nous sommes bien amusés avec. Amanda la mettait dans un nouveau costume à chaque numéro, et je ne pense pas que qui que ce soit s’attendait à ce qu’on fasse ça bien. Et c’est devenu un monstre, ça a changé le personnage pour toujours.
Ça revient à la même chose que tout à l’heure, donne à l’artiste l’opportunité de faire ce qu’il aime. Parfois c’est bien, et parfois non. Cette fois, c’était bien et j’en étais content.
J’en suis certainement très contente.
Il fallait beaucoup de travail et on avait besoin d’une pause.
On a aimé le personnage, mais on était à la limite du burnout. On ne pouvait pas continuer à travailler autant d’heures, car nous ne dormions pas assez.
Parfois, il y avait deux numéros par mois, plus l’Annual, plus le spécial…
Oui, à cause du DC Rebirth. Ils ont relaunché les titres sans changer les équipes créatives. En tout cas pas la votre.
Oui, ça nous tuait. On aurait terminé en burnout. Ils ont au moins dit qu’ils voulaient continuer avec nous, mais nous avions besoin d’une pause. Maintenant, on fait nos propres trucs.
Comment aviez-vous choisi vos artistes pour l'ongoing ?
On avait accès un ensemble d’artistes, Chad (Hardin) en faisait partie et nous aimions ce qu’il faisait.
Oui, Chad était génial. C’était génial de travailler avec lui.
Où est-ce qu’on avait trouvé John Timms déjà ?
On était au Costa Rica.
On faisait une séance de dédicaces dans un comic shop au Costa Rica, et ce mec est venu avec son portfolio en disant « Je veux faire des comics, je pourrai avoir un travail ? » et j’ai dit « Oui ».
Immédiatement.
Immédiatement oui, on lui littéralement trouvé du travail un mois plus tard, et il y est depuis.
Vous avez donc un certain pouvoir !
On a l’œil pour ça, et il a montré qu’il pouvait travailler rapidement. Et DC me fait confiance, quand je leur dis que quelqu’un fait du bon boulot, ils vont aller regarder. Je leur ai ramené 30 ou 40 dessinateurs depuis le début, et la majorité ont été pris.
Les éditeurs aiment bien quand vous êtes scénariste et que vous ramenez un artiste qui peut travailler dans les temps, ça leur facilite beaucoup le travail.
Je n’ai jamais vu ça comme un pouvoir. Je vois ça plutôt comme un « Hey les gars, vous avez besoin de ce type, il est génial ».
Dans l’industrie, les scénaristes me disent souvent que quand ils vont voir les éditeurs avec un projet et qu’il est pris, ils n’ont pas toujours le loisir de choisir leur artiste. Pour moi, c’est une sorte de pouvoir car tu as un nom et l’éditeur te suit dans tes conseils.
C’est marrant car quand je vais voir un éditeur avec un pitch, j’ai toujours un artiste avec moi. J’appelle par exemple Dan Didio en lui expliquant qu’un artiste est génial, il me demande « Qu’a-t-il fait avant ? » et je réponds : « Rien, mais regarde ces pages qu’il a faites pour moi » et il dit « Ah, cet artiste est génial ». Plusieurs artistes ont commencé comme ça.
On rencontre beaucoup d’artistes car on voyage beaucoup. J’aime beaucoup les artistes européens aussi. Jordi Bernet par exemple, que j’ai pris sur Jonah Hex et qui a fait 14 numéros avec moi, ils ne savaient pas qui il était et j’étais genre « Il est génial, il a fait Tex en Italie, et Torpedo en Espagne, il est génial, laissez-moi aller le chercher ». J’ai acquis une certaine confiance à partir du moment où je récupère quelqu’un, ils savent qu’il va faire du bon boulot.
Ce n’est pas un pouvoir, je le fais aussi pour aider ces artistes à avoir un travail.
Concernant Harley Quinn, on a vu beaucoup de spin-off et de numéros spéciaux en dehors de la série mensuelle. Vous ne vous êtes jamais dit que DC essayait de tirer un max de profits à partir de votre livre ?
On était tellement occupés à le faire, qu’on ne réalisait pas ce qui se passait, on travaillait tout le temps. Jusqu’à la San Diego Comic Con (SDCC), on est monté sur scène et ils ont demandé aux cosplayers habillés en Harley de venir, il y en avait des centaines et on était genre « QUOI ??? ».
Ils nous laissaient nous amuser, et on avait de quoi faire. Par exemple, on pitchait « Harley qui va à la SDCC », et ils disaient oui.
Celui-là était marrant.
Oui effectivement (Rires). Après, on pitchait « Harley Quinn et Power Girl ensemble ? », « Oui, allez-y ». Ensuite « On peut faire un gang de Harleys ? », « Oui, bien sûr ».
On ne pouvait pas croire le nombre de choses qu’ils nous laissaient faire, on n’avait jamais eu ça auparavant.
On a utilisé cet avantage : « Ils disent oui à tout, jusqu’où peut-on aller ? » et on est partis assez loin. On aurait dû faire des comics XXL, j’aimerais bien faire en fait.
Et dès qu’on a arrêté, Harley était dans tous les autres titres, avec différents auteurs. On la voyait partout. Quand nous l’écrivions, on leur a demandé de limiter son utilisation sur d’autres livres, car on voulait l’utiliser dans un livre appelé « Black book » et ils allaient tuer notre idée s’ils la faisaient apparaître dans Wonder Woman par exemple. Ils l’ont gardée à part tant que nous l’écrivions, mais dès qu’on est partis, elle était partout. Et avec différentes versions aussi, probablement des versions plus violentes, comme dans Injustice par exemple. Mais comme le personnage ne nous appartiennent pas, ils peuvent en faire ce qu’ils veulent non ?
Oui, effectivement.
Maintenant, on en lit un de temps à autre, ce n’est pas pareil. Quand tu l’écris, c’est personnel, mais quand c’est quelqu’un d’autre, tu te dis « Hmmm, non ».
« Non, ce n’est pas comme ça, elle n’aurait pas dit ça, elle n’aurait pas fait ça ».
« Elle n'aurait pas tué ce gamin. »
« Elle devait avoir une très bonne raison. »
Tu laisses ta marque sur quelque chose ensuite tu passes à autre chose. On a travaillé pendant une année sur Power Girl, on a laissé notre marque dessus.
J'aurais bien aimé continuer sur Power Girl, mais je ne suis pas assez rapide.
On aimerait bien refaire du Power Girl.
Oui, j'aimerais bien le refaire.
On a demandé mais ils n'ont pas accepté.
Quelle surprise !!!
Vous avez mentionné le numéro pour la San Diego Comic Con. Dan a-t-il rigolé pour le gag des couvertures 4D ? Qui seraient des couvertures 3D avec en prime Dan Didio sur chacune d'entre elle ?
Ah oui, il était sur toutes les couvertures.
Vous vous moquiez des couvertures mensuelles que DC faisait en ce moment ? Comme le Villain's Month et des choses comme ça ?
Oui, je me moquais probablement.
On l'a fait, c'est vrai.
Si tu fais attention au livre, on envoie des piques à DC, à Dan Didio, à Jim Lee. Car nous sommes amis et ils l'ont aimé. On envoie des piques à certaines choses, par exemple aux crossovers car on dit qu'on n'est pas dedans.
Avec Rebirth, toutes les séries ont changé, mais pas la notre. Je leur ai dit qu'il n'y avait aucune raison de changer, ça marchait bien, ça se vendait bien. Ils ont accepté en disant « OK, faites Rebirth, mais continuez sans rien changer. » En fait, quand ton livre se vend, personne ne s’en mêle. En revanche, si personne ne l'achète, ils vont commencer à râler. Je dirais quand même qu’ils ont été fantastiques chez DC en nous laissant faire ce qu'on voulait, ils nous ont fait confiance avec les personnages.
Je suis content que ce soit devenu une bonne licence, avec les costumes d'Haloween, le film Suicide Squad, c'était complètement fou. On a posé nos marques, et maintenant on attend le prochain projet sur lequel on pourra travailler. C'est une carrière, c'est fait pour avancer.
En parlant de carrière, je vous fais une confession. Quand vous avez commencé à faire des comics, je venais de naître.
Oui, on est vieux (rires).
Non ce n'est pas ce que je veux dire, mais vous êtes dans l'industrie depuis si longtemps. Comment voyez-vous son évolution ? Vous étiez là dans les années 1990s, l'industrie à l'époque et celle d'aujourd'hui sont complètement différentes.
Il y a des choses que je n'aime pas, comme les couvertures variantes. Deux couvertures c'est OK, mais 20 ou 30, je n'aime pas ça.
Tu n'aimes pas les 26 couvertures du premier X Men l'année dernière ?
C'est vrai qu'en général, je n'aime pas ça. Mais quand ils l'ont fait pour Harley, avec les différentes Harley sur chaque cover, j'avais vraiment aimé ça, car je voyais tous ces artistes travailler sur Harley, c'était amusant de voir tout ça.
C'était amusant, mais je n'aime pas l'idée que le fan moyen va dépenser autant d'argent. S'il prend deux couvertures supplémentaires, c'est qu'il y aura deux autres livres qu'il ne lira jamais, qu'il ne va pas essayer.
C'est vrai. Pour le cas de Harley, j'ai pris ma préférée seulement, mais j'ai bien aimé regarder toutes les autres.
Je préfère la manière Européenne pour faire des livres. Avec 128 pages et une paire de sorties par an, c'est tellement mieux. La sortie mensuelle prend énormément d'argent de la poche des gens, c'est fou. La bonne chose depuis que j'ai commencé est l'avènement de tellement de grands artistes. L'évolution de l'industrie des comics est que ça ne tourne plus autour des super héros seulement, et j'en suis content. J'ai bien sûr fait Jonah Hex, Painkiller Jane qui n'étaient pas vraiment des super héros. J'aime la variété mais j'ai un goût plus Européen en comics. Je suis un énorme fan de Jordi Bernet, Moebius ou Milo Manara.
J'adore le format, j'adore l'idée qu'une histoire n'a pas besoin de super pouvoirs ou deux mecs qui se tapent dessus, c'est fatiguant au bout d'un moment. C'est pourquoi dans Harley, il n'y a jamais eu de gros super-vilain, c'est juste Harley qui court partout et devient dingue, c'est la vie d'Harley, pas besoin d'avoir Thanos. J'aime bien l'aspect soap opera, et il y en avait beaucoup dans Harley. J'espère que le marché américain dépassera ses limites, en ayant moins de super héros. C'est dur car les films marchent très bien.
Mais il n'y a pas autant de lecteurs.
Je ne pense pas que les films attirent le public vers les comics.
Ce qui est dommage.
Malheureusement. C'est pour ça que le format a besoin de changer, car en Amérique, tu lis ce petit truc et tu le jettes.
Ils ne jettent plus maintenant, ils ont de boites à comics géantes.
Ou ils recyclent, ou pas, je l’ignore. Mais, ils ont des boites avec des centaines de fascicules. Je préfère un TPB avec une couverture rigide, qui reste sur une étagère en librairie pour une année ou deux.
Je comprends qu’ils enchaînent continuellement les numéros de comics, mais honnêtement, je préfèrerais voir un bon livre Superman, un bon livre Batman, un bon livre Harley… Les singles tuent le portefeuille même si les vrais fans de comics peuvent encore se le permettre.
D’un autre côté, deux livres Batman et deux livres Superman permettent peut-être à d’autres auteurs d’écrire des histoires.
C’est vrai, mais je ne m’inquiète pas vraiment pour le boulot, car je pense il n’y aura plus de boulot si personne n’achète. Je m’inquiète pour les lecteurs avant de m‘inquiéter du boulot. Si on a un marché en bonne santé, il y aura du boulot, mais si le marché ne va pas bien, il n’y aura plus rien dehors.
En parlant de marché, j’ai vu que vos livres Harley ont été ré-imprimés dans les magazines Wallmart.
En partie seulement.
Je pense que c’était un peu dangereux pour le marché de Wallmart.
Je crois qu’ils ont fait 4 numéros avant de tout arrêter.
Il y avait beaucoup de censure dessus.
Oui, ils ont beaucoup censuré nos livres. Ils se sont rendu compte que ça n’en valait pas la peine, alors ils l’ont sorti de là.
Je l’ignorais, car nous ne les avons pas ici. Je parlais aussi de l’initiative DC/Walmart, qui semble vouloir s’éloigner des comics shops.
Le truc est que les magasins Walmart sont partout aux Etats Unis, alors que les comics shops se trouvent uniquement dans les grandes villes. L’idée avec Walmart est de rendre les comics disponibles dans des endroits où il n’y en a pas afin d’attirer de nouveaux lecteurs. Pour 5 dollars, tu as une centaine de pages, la majorité étant des réimpressions, à part quelques nouvelles histoires. Nous avions fait celle Wonder Woman. Ça marche plutôt bien, mais ils vont les mettre à disposition de tout le monde prochainement, tu pourras bientôt te les procurer.
Oui, si un éditeur Français s’y intéresse. En parlant de Wonder Woman, peux-tu nous dire de quoi il s’agit ? car nous n’en connaissons aucun détail.
Steve Trevor est perdu au Triangle des Bermudes, et elle part à sa recherche. Et ça devient très bizarre, il y a des dinosaures.
L’île est une sorte de mélange d’espace-temps. Jonah Hex et Aquaman y sont, c’est complètement fou. C’est une aventure où Wonder Woman recherche Steve, et se retrouve face à des aliens et des dinosaures, et ça devient fou. Ensuite ils sortent dans l’espace, ils ont un vaisseau qui a la taille d’une planète, Wonder Woman se retrouve au milieu d’une énorme bagarre, c’est complètement dingue. Une sorte de gigantesque « Gardiens de la Galaxie » avec Wonder Woman. Et on a ajouté Jonah Hex et Cheetah aussi, mais elle ne combat pas Wonder Woman, elle se bat à ses côtés. On voulait faire une grosse aventure épique, mais c’est un format 12 pages, donc 12 parties de 12 pages. Ils vont peut-être en faire un TPB dans un an ou deux.
Vous ne vouliez pas faire cette histoire dans les comics traditionnels ?
Non, c’est quelque chose qu’ils nous ont demandé. J’avais écrit les deux premiers numéros du Batman et Superman. Ensuite Tom King a repris Superman et Bendis a repris Batman.
Ensuite ils nous ont demandé de faire Wonder Woman avec Amanda, alors on s’est demandé ce qu’on pourrait faire avec elle. Pas un truc sur les amazones, pas à Washington DC, on a voulu une histoire où elle serait Wonder Woman tout le temps. J’avais écrit les deux premiers numéros, qui n’étaient pas lié aux suivants, c’est une histoire avec des pompiers. C’était drôle, c’était une histoire courte qui devrait faire 3 ou 4 numéros en tout.
Vous avez aussi fait beaucoup de travaux en dehors de DC, et je voudrais revenir sur « SuperZero » chez Aftershock, quelle est l’histoire derrière ce projet ? Pourquoi Aftershock, qui venait de se lancer ?
On connaissait les gars derrière Aftershock, Joe Pruett et Mike Marts. Ils démarraient et ils nous ont dit « Si vous créez quelque chose pour nous, on se partage les droits et on vous paiera » On a donc créé un personnage qui s’appelle SuperZero, une jeune fille qui veut devenir une super héroïne et ils ont adoré l’idée. On a fait 6 numéros qui ont bien marché pour eux, et c’est tout. On est juste passé par là, on n’en a pas fait d’autres pour eux et ils sont bien établis maintenant. On voulait les aider à démarrer.
Il semble qu’il y a de plus en plus de nouveaux éditeurs de comics indé ces dernières années.
Il y en a des tonnes.
Est-ce qu’il y a de la place pour tout le monde ?
Le problème est que le lectorat n’a pas autant d’argent à dépenser et il y a des centaines de petits éditeurs. Le temps nous le dira, mais à moins qu’ils n’aient un gros hit, beaucoup d’entre eux ne se font pas un rond, et je ne sais pas comment ils continuent à publier. Peut-être qu’ils ont des investisseurs, ou peut être qu’ils espèrent vendre une licence à la TV ou pour un jeu vidéo, je ne sais pas comment ils réfléchissent.
Il y de la place pour beaucoup de voix, mais encore une fois, on doit faire avec un marché où les gens ont, disons 5 dollars à dépenser, et ces éditeurs réfléchissent comme s’ils en avaient 500. Beaucoup de séries sont annulées et non achevées, des petites compagnies déclarent faillite. C’est comme tout, il y un boom, ensuite la réalité rattrape tout. En plus, il y a Marvel et DC qui se battent pour avoir plus d’espace sur les étagères en sortant de plus en plus de livres.
En fait, DC vient de revenir un peu dessus, mais Marvel continue à sortir beaucoup de livres. Et ces petits éditeurs essaient de rentrer là-dedans. Je pense que ça commence à faire beaucoup et qu’on devrait changer de format, passer au format Graphic Novel et arrêter avec les numéros de 22 pages, je ne vois pas de futur avec ça.
Vous avez aussi fait des campagnes Kickstarter pour certains de vos projets. Est-ce parce qu’ils sont trop limites ?
Certains sont pour un public adulte oui. Mais la raison pour laquelle je fais ça, est que je veux posséder les droits à 100%, je ne veux pas que quelqu’un possède les droits de mes propriétés. Regarde Harley par exemple, si nous avions créé notre propre Harley, on serait sur un yacht là dehors. Le Kickstarter me permet aussi de voir si l’idée est bonne, si le lectorat ne soutient pas, je me dis que ce n’est pas terrible, mais si ça marche et que j’atteins mon objectif, ça veut dire que l’idée marche.
On a parlé d’adaptations un peu plus tôt. Certains de vos travaux sont en cours d’adaptation à l’écran, certains de vos artworks sont des produits, comme les posters et les statues. Comment travaillez-vous avec ces industries ? Comment se passe le contact avec eux ?
J’ai la chance que certains scénaristes et producteurs apprécient mon travail, et ils m’appellent pour faire des projets pour eux. Il y a un épisode de « Big Bang Theory » où un de mes posters est sur le mur et ils en parlent. Il y en a un autre qui arrive, mais je ne peux pas encore en parler, c’est une surprise, qui représente beaucoup de travail.
C’est un des trois derniers épisodes du show.
C’est très amusant.
Ils l’adorent en fait.
Il y a aussi une série animée Harley Quinn basée sur nos livres, et je fais un peu de character design dessus.
On a déjà vu certains de tes designs qui sont déjà inclus.
Effectivement, et c’est très amusant. Récemment, on a vu des shots du film « Birds of Prey », je suis presque sûre d’y avoir vu Bernie le castor, il porte un tutu, je suis très excitée par tout ça. C’est marrant de voir ça se développer sur d’autres supports. C’est très amusant, j’espère en voir plus.
Oui, c’est bon de savoir qu’on a laissé une trace sur quelque chose. Il y aura l’adaptation de Random Acts of Violence par Jay Baruchel qui sortira en Septembre, je ne sais plus si c’est aux USA ou au Canada. Je travaille aussi sur Painkiller Jane, dont je viens de terminer le scénario. On termine aussi le casting de Back to Brooklyn. Il y a plusieurs projets en cours, certains ne se concrétiseront pas, d’autres si. On était sur le plateau de tournage de « Random Acts », donc ça va se faire vu qu’ils l’ont tourné. On aime bien les adaptations, mais on ne dépend pas d’elles. Mais c’est bien si ça se concrétise.
Oui, on se repose sur les comics.
Vous n’avez donc jamais écrit des comics en pensant à une adaptation potentielle ?
Parfois on y pense en se disant, ça ferait un super film ou série TV, mais sans que ce soit un objectif.
Tu dois d’abord faire un bon comic book, si c’est le cas, quelqu’un se penchera dessus pour une adaptation potentielle. Mais si je veux un truc pour l’écran, autant écrire un scénario au lieu de s’embêter à passer par la case comics, c’est de la perte de temps. Il faut juste faire des bons comics. Prends par exemple The Pro, on a dû le vendre au moins 5 fois pour une adaptation en film, la dernière fois, c’était Paramount qui l’a gardé pendant un an et demi avant de nous le rendre car ils ne savaient pas quoi en faire. Et on va sûrement continuer à le vendre, tout le monde veut l’adapter, mais personne ne sait comment. On va prendre leur argent et partir en vacances, un week-end à Monaco, une balade à Nice. On prendra leur argent, ils en ont plein.
Qu’est-ce que l’avenir vous réserve ?
On fait quoi dans le futur ? Déjeuner (rires)
Vous faites un numéro de Batman avec Tom King non ? [nda : il est désormais sorti]
Oui, je devrais être en train de travailler dessus maintenant, mais je suis là à m’amuser.
Ah, on va arrêter l’interview alors.
Non, ne fais pas ça (rires).
On a un projet qu’on fait avec Franck Tieri, j’ai commencé à travailler dessus il y a un moment, mais je ne l’ai plus touché depuis. C’est pour cette raison qu’on fait moins de boulot pour DC et Marvel, on se laisse le temps de faire plus de projets en creator-owned. Je travaille aussi sur une histoire de Jimmy dans Sex and Violence. C’est ce qu’on fait actuellement, on travaille sur plusieurs projets en creator-owned. Maintenant qu’on a travaillé sur plusieurs personnages que nous voulions faire, on se concentre sur nos propres créations.
Et si ça ne marche pas, tant pis, on fera d’autres livres, on s’amuse en expérimentant. On a Sex and Violence, j’ai mon livre sur Coney Island qui arrive bientôt sur Kickstarter, du nouveau Painkiller Jane qui arrive. J’écris aussi une histoire pour enfants. Bref, beaucoup de choses, et ce n’est pas aussi dur que de faire Harley deux fois par mois.
Ça c’était dur.
Ce que nous faisons actuellement est plus facile. Même le numéro sur Batman est plus simple.
Tu penses que c’est la trajectoire normale d’une carrière en comics de démarrer chez les big two pour se faire un nom, et terminer en faisant du creator owned ?
C’est plus facile oui, de se faire connaître chez les big two d’abord. Notre nom est une marque, les gens le regardent et disent « Jimmy et Amanda on déjà fait des trucs, donnons-leur une chance » au lieu de « C’est qui ce mec ? ». On fait ça avec les films aussi, quand il y a une star ou un grand réalisateur « C’est un Tarantino, je vais aller le voir, je me fiche de quoi ça parle, je vais le voir car c’est lui ». On fait ça avec tout, on a tendance à donner des marques et les suivre ensuite.
Mais il y en a toujours qui tirent leur épingle du jeu pour faire leurs propres trucs, comme Billy Tucci, Jeff Smith ou Terry Moore. Des créateurs indépendants, comme Neil Gaiman aussi et tout un tas de gens qui sortent de nulle part et font de bons trucs.
Notre manière de faire n’est pas pour tout le monde. On est là aussi pour porter notre nom.
Très bien, merci beaucoup !
Merci, c’était un plaisir.
Oui, c’était un plaisir de te rencontrer.
C'étaient de bonnes questions, il nous a fait réfléchir.
Et réfléchir, c’est bien !