"Dans l'Oeil du Psy" est une rubrique qui propose d'éclairer l'univers de la culture comics et geek par le prisme de la psychanalyse. Pour y apporter un regard différent et inédit sur ce que nous croyons connaître déjà , mais qu'il s'agit parfois de regarder.. Ã deux fois!
Disclaimer : cette chronique a été rédigée en intégralité par Alex Hivence
Psychanalyste dans la vraie vie, il analyse sous son identité secrète la psyché et la personnalité des héros de la culture comics, manga, et geek.
Hulk ! Rien que ce nom sonne comme un coup violent, comme une force brute que rien n'arrête. Et si nous cherchions à entrevoir de quoi ce colosse de jade est le nom, de quels processus psychiques ce personnage témoigne ? Bien sûr, Bruce Banner a déjà son psychiatre attitré, en la personne du Dr Léonard Samson. Et ce dernier a à plusieurs reprises tenté de réparer la psyché de notre titan vert, ou gris, selon les époques. Néanmoins, misons que nous avancerons ici de façon plus clairvoyante que le psychiatre attitré de Hulk en nous posant les questions cruciales. Plutôt que lui apposer un diagnostic psychiatrique, si nous cherchions à savoir de quoi Hulk est le nom ? Que signifie cette bombe Gamma sur le plan psychique ? Aurait-on tout un chacun une part de Hulk en soi? Est-ce un Trouble de Personnalité Multiple ? Toutes les réponses et plus encore, juste ici, Dans l' Œil du Psy !
Le Dr Samson, dans son approche, illustre d'ailleurs bien l'approche qui est celle de la psychologie américaine, appelée l'Ego-psychology. Ce courant répandu aux Etats-Unis s'inspire d'une partie des travaux de Freud dans une vision devant amener le Moi, la partie consciente du psychisme, à se renforcer pour lutter contre les pulsions inconscientes du Ça et faire face aux injonctions du Surmoi, instance psychique amenant le Moi à accepter le frustration et à renoncer à ses désirs et pulsions immédiates.
Dans son objectif récurrent de rassembler la psyché de notre géant de jade, nous pouvons ainsi vérifier que le Dr Samson se réfère globalement à cette idée. Le Moi étant morcelé, il s'agit de le rassembler. La version la plus unifiée à laquelle le psychiatre boosté aux rayons gamma aboutira sera la version du Hulk Professeur, dans sa période du Panthéon. Là, Hulk manifestera une intelligence proche de celle de Bruce Banner tout en conservant sa forme et la force de Hulk, sans céder à la rage. Nous apprendrons plus tard que ce ne sera pas au final un rassemblement de la psyché de Banner/Hulk mais une des manifestations de Hulk, un de ses versants, nommé le Hulk Professeur.
Ainsi, le Dr Samson est le tenant d'une approche psychothérapeutique qui vise à recoller les morceaux d'une psyché avant même d'en comprendre les ressorts précis et les mécanismes sous-jacents. S'il entrevoit parfois les différentes facettes de la personnalité de notre géant de jade, c'est dans le but de les réorganiser, comme des pièces d'un puzzle qu'il s'agirait d'ordonnancer. Mais il n'a jamais tenté d'entrevoir ce que représente Hulk dans sa globalité, à quel processus psychique la naissance même de ce monstre vert renvoie. Il était donc temps de nous y pencher plus sérieusement.
Ce n'est un secret pour personne, Hulk est né de l'explosion d'une bombe. Une bombe Gamma dont l'explosion changera radicalement et définitivement le cours de sa vie. Et produisant la naissance de l'incroyable Hulk ! D'ailleurs, ce qualificatif est intéressant, "incroyable". Bien sûr nous l'entendons de la part de ceux qui croisent le chemin du géant et n'en croient pas leurs yeux, mais nous pourrions aussi l'appliquer, puisqu'il lui colle à la peau, à Hulk lui-même. A quoi ne peut-il pas croire pour sa part ? Cette façon d'inverser une pensée, en psychologie, se nomme la projection. On prête à autrui ce que l'on pense soi-même, sans oser se l'avouer. Cela demeure un mécanisme inconscient qui amène à attribuer à l'autre des idées que l'on ne reconnaît pas en soi-même, parce qu'on les refoule, qu'on les maintient inconscientes. Sur ce qualificatif d'"incroyable", si nous nous y attardons un moment en lui appliquant ce principe, il pourrait dès lors signifier un aspect de Hulk que lui même ne parvient pas à croire.
Si nous ajoutons à cette idée que la naissance de cet "incroyable" provient de l'explosion de la bombe, alors ce serait l'explosion qui aurait engendré chez Hulk l'équivalent d'un évènement incroyable. Il se pourrait alors, comme dans le développement psychologique d'un enfant, que quelque chose ait eu l'effet d'une bombe dans le psychisme de Bruce Banner, engendrant ce Hulk qui lui colle à la peau, verte de sucroît, comme l'expression "vert de peur". De quoi la bombe Gamma serait-elle le nom ?
Quand l'ère atomique survient, vient très rapidement avec elle l'idée de la possible destruction de la planète entière. Ce pouvoir auparavant réservé au châtiment divin devient dès lors une possibilité humaine. Le monde acquiert une finitude, et un ensemble de récits, y compris dans les comics, traiteront de ce sujet de l'angoisse de fin du monde généré par la naissance de la bombe nucléaire. Pour Bruce Banner, l'explosion de la bombe auprès de laquelle il se trouve accidentellement conduit à une naissance, celle de son alter-égo colossal et vert. Mais c'est aussi à une fin que l'on assiste, à la fin d'une période tranquille pour Bruce Banner, seulement concentré sur ses travaux scientifiques, osant à peine regarder la fille du général Ross, Betty.
C'est une sorte de période sans problèmes, où Bruce évolue dans le savoir scientifique de façon paisible, discrète, effacée mais somme toute plutôt heureuse. La bombe met fin à cette tranquillité, comme elle met fin dans le monde à cette même tranquillité. Sur le plan psychique, cela pourrait être l'équivalent de la petite enfance, cette période où le très jeune enfant ne se pose pas de questions, découvre et explore le monde, et dont plus tard il aura la nostalgie tout en sachant qu'il ne pourra plus jamais retrouver cet état de paradis primordial.
Il est dans cette période de la petite enfance une forme à la fois d'insouciance et de toute-puissance. L'enfant découvre et explore le monde sans conscience du danger ni de ses limites. Il réalise ses expériences sans se soucier de ce qu'elles vont provoquer, animé seulement par sa curiosité. Ainsi, il apparaît un parallèle avec Bruce Banner, scientifique dévoué à ses découvertes, s'engageant dans cette invention d'une bombe qui sera l'objet qui transformera sa vie à jamais. Ce qui est l'équivalent d'une bombe pour le très jeune enfant, c'est l'angoisse appelée l'angoisse de castration. Cette angoisse aux effets dévastateurs et définitifs confronte l'enfant au fait qu'il n'est pas tout-puissant.
Si cette angoisse se nomme ainsi, de castration, c'est qu'elle renvoie symboliquement au fait que le petit enfant va associer la présence d'un phallus à la notion de pouvoir. Soit en l'ayant déjà, pour le petit garçon, soit en imaginant qu'il va pousser, pour la petite fille. Cette angoisse surgit ainsi au moment de la découverte fondamentale de la découverte des sexes chez le jeune enfant. Réalisant cette différence, le petit garçon va craindre de perdre son phallus, symbole pour lui de sa toute-puissance, quittant cette croyance infantile où tout le monde en possède un, et va après cette découverte explosive entrer dans une autre période de son enfance. Cette angoisse de castration, cette finitude du monde pour lui tel qu'il se le représentait, est souvent concomitante de la découverte de la mort, là aussi de la finitude du monde, de la séparation à venir avec ses parents, ses proches, et de la sienne propre. En somme, c'est un véritable cataclysme, une véritable bombe nucléaire qui explose psychiquement chez le très jeune enfant, le propulsant vers une réalité incroyable !
Face à cette réalité, Hulk se manifeste comme un très jeune enfant et réagit face à cette forme de traumatisme. Il va tenter de s'en préserver en partie. Si une part de lui ne peut nier la réalité, une autre part de lui va tenter de la mettre de côté pour surmonter ses angoisses. Chez Bruce Banner, cette part qui va tenter de lutter face à cette idée de la castration, d'une absence de toute-puissance, s'appelle Hulk. Hulk est la manifestation d'un clivage chez l'individu, c'est-à-dire d'un cloisonnement psychique. Une part va admettre qu'il n'est pas tout-puissant, que ce monde d'avant où le danger n'existait pas, où la fin n'existait pas, est terminé, et qu'il doit affronter désormais un monde fait de limites, de finitude, de séparations, de mort.
L'autre part va refuser ce constat, va le refouler, et va dans l'inconscient continuer à lutter contre cette angoisse. Il est intéressant notamment de se rappeler qu'à l'origine, Hulk apparaissait une fois la nuit tombée, à l'instar des cauchemars des enfants quand leur Inconscient se manifeste une fois l'heure du coucher venu. Cette phrase "Hulk écrase" comme un leitmotiv rejoint bien cette idée que Hulk ne souhaite qu'écraser cette partie de la réalité, et que face à la frustration, c'est-à-dire une limite, il sera toujours de plus en plus fort, à l'instar d'un enfant-tyran qui ne cèdera rien par la force, préférant tout détruire autour de lui. C'est ainsi que Hulk se définit, plus il est en colère, plus il est frustré, plus on tente de lui mettre une limite, plus Hulk... est fort!
Hulk serait alors un être de frontière. Il est celui qui lutte contre un traumatisme fondamental, cette partie inconsciente du psychisme qui ne veut pas reconnaître ses limites, sa castration symbolique, c'est-à-dire entrer dans des relations avec l'autre qui intègrent cette composante. Hulk va sans cesse être cette part qui va tenter rageusement de réparer cette réalité dont il ne veut pas.
Son avatar gris et mafieux sévissant un temps à Las Vegas, Joe Fixit, porte un nom éloquent. "Fix it" dans la langue de Shakespeare signifie étonnamment "Répare ça"! Parmi tous les noms possibles, Hulk lorsqu'il prend un nom en prend un qui signifie sa fonction, celle de réparer le traumatisme lié à l'explosion de la castration, de réparer en gardant dans le Ça, l'Inconscient, cette explosion nucléaire, au sens où c'est le noyau-même de son être qui a volé en éclats.
Comme nous l'avons rappelé précédemmment, quand le Dr Samson croit avoir rassemblé les parties psychiques de Hulk en une seule entité, il ne sait pas qu'il crée en fait une troisième entité. Après le Hulk sauvage, le Hulk gris "Joe Fixit", le Hulk "Professeur" manifestera très rapidement une absence de limites en croyant tant dans son intellect que dans sa force. Il intégrera pas moins qu'un Panthéon, évoluant parmi des êtres portant le nom de héros antiques. Il passera ainsi d'une croyance dans sa force brute illimitée à une croyance dans son intellect sans bornes, faisant preuve d'une forme d'arrogance. Ce savoir érigé comme une autre manifestation phallique en plus de sa force sans limites formera ainsi un autre avatar de Hulk, tout autant aux prises avec une absence de castration.
Les moments liés à Planet Hulk et World War Hulk qui verront Hulk se déchaîner et se revendiquant comme le destructeur de mondes rejoint cette idée selon laquelle le monde devra être détruit plutôt que lui ne succombe. Hulk destructeur préférera voir s'effondrer le monde plutôt que s'effondrer lui. Il ne pourra accéder à la dépression, comme un adulte ordinaire, mais comme un enfant-roi, il réagira avec une colère phénoménale, destructrice, à la frustration. Seule la mort, celle que Bruce Banner aura décidée et planifiée par l'intermédiaire de son ami Hawkeye pourra l'arrêter. Mais là encore, en dépit d'une flèche conçue pour le tuer lancée en plein cerveau, ça ne durera qu'un temps.
Ainsi les avatars de Hulk agissent comme des fétiches, c'est-à-dire qu'ils se présentent comme des figures luttant contre le traumatisme de la castration et ses avatars : ne pas pouvoir, le Hulk sauvage, ne pas se faire avoir, le Hulk Joe Fixit, ne pas savoir le Hulk professeur, ne pas perdre, le Hulk destructeur, ne pas mourir, le Hulk diabolique. Reste à voir si d'autres avatars verront le jour, mais la série des Hulks s'organise bien comme des figures fétiches face à la castration et les limites qu'elle pose à Bruce Banner.
L'autre nom de l'angoisse de mort, disait Freud, c'est l'angoisse de castration. Freud voulait dire par là que la crainte de la mort n'était qu'une émanation d'une angoisse plus ancienne, plus enfouie, plus inconsciente, à savoir cette bonne vieille angoisse de castration. Cette dernière étant refoulée, cela permet qu'une part du psychisme continue de se croire tout-puissant et immortel.. En effet, même lorsqu'on tente de se représenter sa propre mort, on se la représente comme étant soi-même présent pour observer ce qu'il se passe à notre enterrement par exemple. Si l'on rêve de sa mort, soit on se réveille instantanément, soit on voit ce qu'il se passe comme un spectateur de sa mort. Cela signifie que l'Inconscient ne peut se représenter sa propre mort. Et que l'angoisse de mort qui peut saisir parfois, dans certains moments un peu crépusculaires, n'est qu'un avatar de l'ancienne angoisse de castration refoulée au plus profond.
Ainsi, il n'est pas étonnant de voir la dernière itération de Hulk, passé de "incroyable" à "immortel". Puisque comme nous l'avons vu Hulk est la part qui résiste à la castration, que castration et mort sont identiques pour le psychisme, alors il va de soi que si Hulk est cette part de l'Inconscient qui ne croit pas à sa limite au sens psychique, à la séparation, à la finitude des choses, alors il ne peut croire à la mort elle-même. Hulk est ainsi définitivement le nom de cette part du psychisme qui lutte à mort contre l'effondrement de Bruce Banner si celui-ci venait à accepter cette castration que tout un chacun, ou presque, reconnaît. Cela fait de Hulk un rempart contre un effondrement qui au fond n'est pourtant pas destructeur.
La castration est un effondrement qui permet d'envisager le monde avec ses limites propres, occasionnant un deuil et une nostalgie de cette période paradisiaque de l'enfance, paradisiaque au sens d'une innocence originelle. La connaissance de cette castration engendre la chute de ce paradis. Mais pas l'enfer pour autant, juste le monde ordinaire avec ses possibilités et ses limites, et ses névroses ordinaires, sa culpabilité, ses doutes. Hulk lui évolue entre le paradis qu'il tente de préserver, quitte à tout détruire, et l'enfer qui envahit sa vie, puisqu'il est dans une voie qui ne comporte pas d'issue, à part celle de sans cesse trouver un moyen de ne pas s'effondrer. Dans le film Avengers Infinity War, la seule occasion où Hulk aurait pu affronter sa limite en la personne de Thanos, il est resté ... tapi dans l'ombre. Tel un phallus impuissant, la métaphore lorsque Banner tente de bander Hulk sans y parvenir amène à cette analogie : Hulk est lui-même un phallus aux avatars multiples, s'érigeant face à ce qui pourrait le limiter. Dans la série Hulk, Bruce Banner devient Hulk pour justement dépasser une impuissance, l'impuissance à soulever une voiture accidentée et à sauver sa femme.
Ce qui pourrait limiter un enfant, c'est le père. Non pas le père tel quel mais une figure parentale n'étant pas la mère, symbolisant la séparation d'avec la figure maternelle. Le père symbolique, c'est donc le parent qui dit non à l'enfant avec bienveillance. Sur ce plan, nous pouvons situer les deux figures paternelles dont Bruce Banner/Hulk a hérités : le père maltraitant qui est le sien, et le Général Ross, sorte de père persécuteur cherchant à l'arrêter à tout prix. Les deux figures paternelles semblent d'ailleurs être l'envers et l'endroit d'une seule pièce. Dans les deux cas, le père est vécu comme une figure tyrannique, persécutrice, cherchant à nuire au monstre. Nous pourrions entendre cette idée de "stopper le monstre" comme la fonction paternelle qui vise à poser des limites à l'enfant pour lui permettre de les intégrer à son développement psychique. Lui rappeler qu'il y a des lois fondamentales, à savoir des limites qu'il ne peut transgresser impunément.
Ces figures paternelles vécues comme persécutrices ne sont-elles pas des figures que Hulk rejette du fait même de ce qu'elles représentent pour lui : n'avoir aucune limite, ne pas être soumis à la loi de la castration symbolique et de ses limites comme tout un chacun peut l'être? Ainsi, la part toute-puissante, qui écrase tout, qui maîtrise tout, peut continuer à s'exprimer, même quand Bruce Banner meurt. Comme un enfant lorsqu'il s'endort, le sommeil laisse les angoisses inconscientes resurgir, sa part d'ombre passe alors la porte de son Inconscient, et resurgit de façon cauchemardesque. Mais d'un autre côté, Hulk est aussi cet enfant qui ne cesse pas de ne pas pouvoir tuer ce père tyrannique pour enfin devenir adulte. Quand bien même cela ne suffit pas à faire un adulte, ce serait un premier pas. Tuer le père, symboliquement, c'est accéder à un au-delà de la castration, commencer à s'assumer comme personne à part entière, non comme un enfant assujetti ou devant lutter contre.
En parallèle de cette fuite des images paternelles, quand bien même ceux-ci sont provisoirement battus, la relation avec la figure maternelle apparaît comme celle d'un enfant cherchant à sauver sa mère. Que celle-ci se présente sous les traits de la mère morte sous les coups du père et que Bruce n'a pu sauver, ou sous les traits de Betty Ross, reformant ainsi un triangle oedipien avec le Général Ross, Bruce Banner se retrouve dans l'idée de sauver la veuve et l'orphelin, ce qu'on pourrait entendre sur le plan fantasmatique comme se sauver lui-même et sa mère. Hulk est la part de l'enfant qui voudrait avoir réussi à tuer son père et à épouser sa mère, en échappant là encore à l'angoisse de castration en se substituant à son père.
Le prix à payer pour ces pensées inconscientes de Bruce Banner est d'être sans cesse persécuté par des pères cherchant à le neutraliser, le détruire, le couper en morceaux etc. Comme chaque enfant traversant le complexe d'Oedipe, l'angoisse de castration revient lorsque le père indique que l'enfant ne peut imaginer être l'homme de sa mère, qu'il devra renoncer à cette toute-puissance infantile là encore. C'est ce qui amène Hulk à ne pas cesser de fuir malgré sa puissance brute et sauvage, confronté à cette dualité, cette ambivalence qu'il n'a pas résolue, entraînant un clivage du Moi. Une part de lui, Bruce Banner, a accepté cette castration, une autre part, la part Hulk, ne l'accepte pas, veut se penser plus fort que cette bombe psychique.
C'est ce clivage primordial, c'est-à-dire cette première coupure du Moi en deux parties distinctes que l'on peut retrouver chez tout un chacun, qui produit une première séparation entre Bruce Banner et Hulk. Ce mécanisme psychique existe chez l'individu lambda, et peut correspondre à l'installation d'une psychose s'il s'installe de façon radicale. Plus souple, il peut exister chez tout un chacun pour différencier une part de soi d'une autre, le Moi n'étant pas tout le sujet. Je est un autre, comme disait le poète en effet. Mais dans le cas de Hulk, ce clivage est installé pour lutter contre un effondrement psychique, contre un état psychotique avéré. Cette lutte étant sans fin, Banner n'étant pas un individu lambda mais gamma, tout est alors plus massif. Ce clivage va lui aussi se démultiplier pour se greffer à des traumatismes et générer plusieurs Hulks, plusieurs morceaux du Moi. Ceux-ci sont cependant irréconciliables, chacun luttant avec l'autre dans des conflits intrapsychiques que l'on peut voir à l'occasion dans le comics où l'on assiste à de véritables luttes de pouvoir entre les différents Hulk.
Là où les psys américains parlaient de Trouble de la Personnalité Multiple, celui-ci a ensuite été renommé dans le manuel américain des troubles mentaux comme Trouble Dissociatif de l'Identité. Ce trouble demeure descriptif mais ne situe pas son origine, en dehors de traumatismes liés à des violences et du stress. Mais toutes les victimes de violences ne développent pas ce trouble, il est donc intéressant de creuser davantage les mécanismes intrapsychiques à l'oeuvre. ll est notamment essentiellement décrit en Amérique du Nord, justement là où les psychiatres ont cette conception d'un Moi unifié, alors que d'autres courants psychanalytiques permettent d'imaginer que le Moi n'est qu'une partie du psychisme, avec le Surmoi et le Ça, et que le Moi est divisé, c'est-à-dire qu'on peut penser une chose et son contraire selon les moments, ou penser une chose et agir en contradiction (ex. Je sais que fumer tue mais je fume quand même). Si le trouble en lui-même atteste d'une souffrance chez des patients, sa dénomination demeure controversée, et de plus est souvent confondue dans les films et séries avec des états psychotiques de type schizophrénie.
Or, ici, chez Bruce Banner/Hulk, ce diagnostic ne dit rien de ce contre quoi se protège notre scientifique irradié. Ainsi, penser que cette bombe est la métaphore d'une bombe psychique qu'est l'angoisse de castration, contre laquelle lutte Banner en conservant dans sa psyché une part de lui qui la nie, la refuse, la rejette, lutte contre, et se bat de toutes ses forces, forme une hypothèse qui rassemble tous les aspects de son parcours, y compris jusque dans sa dernière version d'immortel Hulk.
Hulk est une déclinaison des fétiches créés par l'Inconscient de Banner pour lutter contre les aspects de la castration. En soi, nous avons tous un Hulk en nous, en modèle réduit et moins destructeur, une part qui refuse de ne pas pouvoir, ne pas savoir, de perdre, de ne pas régner sur le monde, mais que nous gardons dans l'ombre de la raison, de notre Moi plus présentable. Mais nous pouvons apercevoir ces petits aspects de Hulk dans certains moments de frustration, d'insatisfaction, quand nous pensons qu'il ne vaut mieux pas nous énerver. Hulk n'a-t-il pas un côté cathartique, défouloir, que nous pourrions rêver d'avoir parfois pour raser les obstacles d'un coup de "Hulk écrase!"? Après être allés voir au fond de la psyché de Hulk, nous savons peut-être un peu plus pourquoi nous avons tous un côté Hulk caché au fond de soi...