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Silver Surfer Black : Voyage dans les souvenirs de Jack Kirby, Steve Ditko et Moebius

Silver Surfer Black : Voyage dans les souvenirs de Jack Kirby, Steve Ditko et Moebius

ReviewPanini
On a aimé• Tradd Moore
• L'hommage aux géants
• Un métaphore chevaleresque bien filée
• Un placement cohérent dans l'oeuvre de Donny Cates
On a moins aimé• Quelques facilités
• Le Surfer, encore et toujours là pour expier
Notre note

Depuis sa prise de fonction sur la série Venom, avec ses multiples dérivations, Donny Cates s'est d'emblée manifesté comme un architecte du cosmique, bâtissant autour des ruines de son volume sur Thanos une mythologie à part. Empruntée pour partie à Jason Aaron, qui posait les premières pierres de l'entité sombre dans God of Thunder, à Jim Starlin pour sa grande cartographie des puissances cosmiques, et à Jack Kirby, fondateur, théoricien monumental de l'espace divin de Marvel Comics, cette oeuvre s'est déclinée sur plusieurs volumes toujours connectés entre eux. Comme Scott Snyder ou Mark Millar avant lui, Cates s'amuse à tisser un ensemble de parutions liées entre elles par un jeu d'auto-références à ses propres créations. Dans le cas de Silver Surfer Black, le titre s'appuie sur les premiers numéros de sa propre série Guardians of the Galaxy, elle-même basée de loin en loin sur son Thanos, et utilisant des personnages vus dans Venom ou Cosmic Ghost Rider.
 
Cette méthode d'écriture, très égocentrée, aurait tout d'un hubris malhabile vu de l'extérieur. De plus près, les bouquins en question ont cependant tous quelque chose de particulier. Si le travail de Cates n'est pas systématiquement exceptionnel, le scénariste fait généralement l'effort de donner une voix propre à chacun de ses projets, une tonalité, une ambiance, une couleur permettant de naviguer sans trop de répétitions entre les différents îlots de sa bibliographie. Silver Surfer Black a, de ce côté là, un ton très authentique. L'intrigue, en revanche, est toute proche de sa mini-série sur le Cosmic Ghost Rider, mais les deux ont autant de points communs que de différences - l'une se présente comme une balade endiablée et furieusement satirique du Punisher, de Thanos et de la cosmogonie Marvel, tandis que l'autre cherche des référents plus nobles, épurés et quasi-ésothétiques dans son découpage.

 
 
Silver Surfer Black commence lorsque Norrin Radd se retrouve aspiré dans un vortex après être parvenu à sauver les nouveaux Gardiens de la Galaxie. Reprenant ses esprits dans un environnement qui ne lui est pas familier, l'ancien Hérault comprend que le voyage l'a mené à un autre moment de l'histoire de l'univers - encore jeune, ce-dernier vient à peine de vivre le Big Bang et la création du réel par les Celestials. Un présupposé très proche de Cosmic Ghost Rider, avec toute une série de rencontres (fortuites) en prévision, un choix sur la possibilité d'altérer ou non la chronologie des événements, et de comprendre un héros (ou un vilain) en le posant face à son origine.
 
Considéré par beaucoup de scénaristes comme une énigme à part entière, le Silver Surfer a souvent été l'objet d'analyses semi-bibliques. Galactus étant tantôt Dieu ou le Diable, et le Surfeur, un Saint-esprit ou un Christ cosmique emprunté par l'imagerie extra-terrestre du très créatif Kirby - se sacrifiant pour sauver la Terre d'une Apocalypse inévitable, ou annonçant la venue d'un dieu vengeur selon les deux interprétations. En l'occurrence, cette lecture symbolique est mise à l'emploi dans le volume de Cates, qui oppose les ténèbres et la lumière, la lutte éternelle du bien et du mal, la nature contre le néant, le passage des générations contre l'arrêt total et catastrophique du vivant. Une façon de piocher dans l'héritage de Jack Kirby, qui ne s'était jamais caché des usages très religieux de certains personnages dans son oeuvre (la trilogie de Galactus, par exemple, mais aussi les New Gods, Eternals ou Celestials). En hommage à la génération d'auteurs qui auront vu l'avènement du Surfer et de Galactus, on retrouve aussi une métaphore filée sur la bombe nucléaire. Avec, notamment, une citation de Robert Oppenheimer adaptée en Français, mais reprise in extenso dans la version originale.


 
La série est aussi à mi-chemin entre différentes techniques d'écriture. Une façon de faire progresser le récit fonctionnant comme les vieilles histoires du Silver Age, avec des rebondissements constants, des rencontres hasardeuses et accidentelles utiles au héros, une envie de mettre des mots sur les situations, et, plus proche du Bronze Age, une narration très intérieure d'un héros solitaire en proie au doute, à la terreur et au danger. Un ton de conte mythique ou chevaleresque s'instille dans la voix de ce Norrin en lutte avec des forces évoquant, justement, un environnement de médiéval fantastique à coups de dragons, de seigneur noir à l'immense épée, de royaume chaotique et de quête arthurienne d'un héros noble tenté par le mal. l'acolyte du personnage central serait aussi à voir comme une sorte de Merlin, esprit de la nature convoquant avec lui une sorte de magie de l'espace. On pourra reprocher aux bouquins de jouer sur du déjà vu, avec un Surfer encore et toujours hanté par son passé, encore et toujours dans l'expiation de ses fautes, et si l'histoire se lit avec plaisir, l'ensemble n'ajoute pas grand chose au mythe en lui-même.
 
Cela étant, bien écrit, lyrique, le scénario est dans l'ensemble très convaincant et suffisamment poétique pour porter cet affrontement particulier, derrière des atours déjà vus et quelques facilités. Dans la grande tradition des séries de Donny Cates, on trouve aussi un aspect ludique dans la façon de présenter les personnages, de mettre en scène les combats (à coups de planètes, ni plus ni moins) avec une générosité d'enfant scénariste dans un corps d'adulte, qui aime tout faire péter quand l'occasion s'y prête. Les dialogues, présentant un Surfer en héros de la lumière et de l'espoir, pencheraient pour un hommage à Silver Surfer Parabole de Stan Lee et Moebius, voire de la nature contre la fin des temps. L'immense artiste français inspire aussi quelques décors, quelques ennemis et quelques environnements à cette aventure spatiale, très généreuse sur le plan du dessin.



Puisque, au-delà du texte, l'intérêt de Silver Surfer Black est évidemment à chercher dans les dessins de Tradd Moore. Avec une place assurée dans les livres d'histoires de la bande-dessinée, l'artiste donne tout dans cette toile de fond empruntée à Kirby, mais aussi à Steve Ditko : le créateur de Doctor Strange, second grand architecte du cosmique à la Marvel, inspire les pages d'une réalité contorsionnée, pliée, restructurée, d'expérimentations sur la mise en scène de concepts abstraits ou de super-pouvoirs capables de tordre la compréhension traditionnelle du dessin de comics. Oscillant entre des planches plus traditionnelles, Moore fabrique un Surfer aux proportions invraisemblables à la Mike Allred, une technique d'expression des traits et du visage à la Paul Pope, et des exagérations de vitesse, de souffrance ou de destructions quasi-expressionnistes, avec des cases inspirées par la peinture de Vassily Kandinsky.

Certainement l'un des plus beaux bouquins sortis l'an dernier, Silver Surfer Black continue d'installer le personnage de Norrin Radd dans la catégorie de ces héros incapables de s'épanouir dans la mollesse graphique. Le bouquin allie la forme au fond, avec le psychédélique des années 1970 et toute la générosité de cette conception particulière du cosmique, bien plus coloré et vivant que l'habituelle froideur spatial de certains autres environnements galactiques de bande-dessinées (ou autre). Une utilisation qui tiendrait presque de l'exception culturelle des comics de Marvel, qui font de l'espace un environnement du vivant, de la lumière, de l'organique, tout en acceptant l'idée que ce terrain de jeu reste la propriété des dieux et des êtres hors normes plus que des humains ou des voyageurs de navettes. Moore s'en sert comme d'une fresque dense, à la fois épique et surréaliste, avec des rondeurs douces ou exagérément disproportionnées et un monde semblable à la richesse de fonds marins peuplés d'algues et de créatures flottantes et mystérieuses.



Silver Surfer Black vient se glisser entre les différentes oeuvres de Donny Cates comme une curiosité très à part des autres. En reprenant certaines de ses techniques habituelles, avec des têtes connues ou déjà vues à d'autres endroits de sa bibliographie, le scénariste porte sur ses épaules un bel hommage au personnage de Lee et Kirby, à toute la fabrication de cette imagerie propre aux comics de Marvel pour les mondes qui se cachent dans la noirceur du cosmos. Plutôt bien écrit, avec une tonalité lyrique pétrie de bonnes influences, le bouquin n'existerait pas sans le talent indiscutable de Tradd Moore, passé après d'autres grands artistes sur le Surfer pour apporter sa pierre, considérable, à l’édifice coloré et flamboyant de ce personnage unique en son genre. A posséder pour les dessins, à lire pour le plaisir, et à ranger entre la trilogie Galactus et Parabole pour l'apport indiscutable de ce concept fou, d'un type argenté surfant entre les étoiles, à la gloire de la bande-dessinée.

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Corentin
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