Après deux tomes sortis chez Delcourt, le super-héros Fox-Boy de Laurent Lefeuvre s'est offert en début d'année un troisième tome publié chez l'éditeur indépendant Komics Initiative. Objet en premier lieu d'une campagne de financement participatif couronnée d'un fort succès, ce troisième ouvrage constitue en fait le premier tome d'un Fox-Boy prêt à repartir sur une nouvelle lancée. Après avoir repris les droits de sa création, Lefeuvre veut à la fois présenter son personnage aux lecteurs arrivants, et préparer le terrain pour les fidèles de la première heure. L'un dans l'autre, le constat est sans appel : Troisième Souffle est on ne peut plus réussi et remplit ses objectifs avec brio.
Tout n'était pas forcément gagné. Si la France a une histoire riche dans la création de super-héros (on vous conseillera l'ouvrage Super-Héros : une histoire Française de Xavier Fournier pour un panorama détaillé), adapter à l'hexagone des personnages avec des codes, des costumes et des décors typiquement taillés pour la grandiloquence américaine entraîne souvent une forme de réticence dans l'esprit commun. Une façon de créer des frontières, comme si le super-héros ne pouvait vraiment se décliner en chez nous. A cela, Laurent Lefeuvre ne cherche pas à copier ce qui se fait dans la production mainstream aux Etats-Unis, ou même les nombreuses déclinaisons et parodies du registre que l'on retrouve en indépendant (The Boys, Invincible, voire Jacked). Fox-Boy a son propre registre, ses thématiques, et surtout un univers entier à son compte.
Troisième Souffle, comme son nom l'indique, est historiquement le troisième album de Fox-Boy, mais le premier dans ce qui veut être une reprise de A à Z, une forme d'introduction généreuse pour ceux qui ne le connaissent pas encore. On retrouve un ensemble d'histoires courtes, qui permettent de découvrir Pol Salpedo (c'est son nom), sa jeunesse et sa fougue, ses idéaux, ses imperfections, son entourage. Laurent Lefeuvre insuffle autant de ses idées dans les dialogues du héros, qui transpirent une honnêteté sincère, parfois naïve (comme il le reconnaît lui-même). Fox-Boy, tout inspiré de pop culture qu'il est, connaît les limites de ses pouvoirs, de ce qu'il est capable de faire pour aider ses proches. On lui reconnaît néanmoins une envie de bien faire, d'aller dans le "bon" sens. C'est à dire que l'auteur parle, au travers de ses histoires, de ce qui lui tient à coeur, et sans détours : on aborde beaucoup l'écologie, la maltraitance animale, l'immigration et l'extrême droite. Mince, encore des comics politiques, même sous nos latitudes, voyez-vous.
Tout en restant ancré dans le réel, Fox-Boy est un puits de références imaginaires. Dans Troisième Souffle, Lefeuvre va puiser dans les contes et légendes de sa Bretagne, qui ne l'oublions pas, jouit d'une certaine richesse. Les intrigues tournant autour d'écologie et de science amènent avec elles des créatures inquiétantes, qui vont chercher dans le fantastique et l'horreur inquiétante des publications EC Comics d'antan. L'auteur et artiste n'en oublie pas son amour des comics, Fox-Boy étant truffé de rappels aux grands noms de la BD américaine - avec des clins d'oeils appuyés aux acteurs de l'édition française au fil des cases. Tout un pan de l'imaginaire du super-héros, qui fait partie d'un plan sur le long terme de Lefeuvre, sert d'amorce concrète à ce qui permet à Fox-Boy de se démarquer, et qui donne furieusement, en quelques dernières pages, de poursuivre la lecture.
Les lecteurs des précédents tomes (surtout le second) se souviennent que Laurent Lefeuvre a en effet inventé de toutes pièces un univers de BD dans sa BD. Les éditions ROA sont pour Pol ce qu'est Marvel ou DC dans notre réalité. Une maison d'édition qui a son propre ensemble de personnages, un univers bâti par un Jack Kirby entièrement fictionnel, et dont les personnages pourraient bien, dans le monde de Fox-Boy, se refuser à n'être que des personnages de bande dessinée. Quand Laurent Lefeuvre commence à nous parler de brèches dimensionnelles, qu'il nous emmène aux portes d'une crise aux proportions cosmiques, qu'on plonge dans la méta-fiction, c'est là que tout l'ouvrage offre un pan de richesse supplémentaire, dans un premier contour qui déjà prometteur. On reconnaît dans cette nouvelle forme de narration l'influence des grands noms des comics, mais Fox-Boy ne fait pas dans l'imitation ou la copie. Les éditions ROA, et ce que Lefeuvre appelle le ROAyume, existe depuis bien longtemps (la fresque historique en fin d'album vous l'expliquera), et s'il a fallu du temps pour entrer à fond dans le sujet, on sent que l'auteur, maintenant, ne peut plus s'arrêter.
Cet amour des comics, on le ressent tout autant dans le dessin de Lefeuvre, appliqué et généreux. Dans son approche "traditionnelle", on aime à voir les personnages expressifs, l'important travail sur l'ombrage et les couleurs, qui apportent du relief aux planches. Dans la composition de ses planches, le dessinateur sait amener le regard du lecteur là où il le veut. Sans qu'on les voit forcément, on retrouve des lignes qui attirent l'oeil et le baladent, amenant à une lecture fluide, qui s'accélère dans les scènes d'action, mais prend aussi le temps de se reposer dans les moments plus calmes. Mais Laurent Lefeuvre aime à expérimenter et ça se voit.
Il faudrait regarder avec le concerné tout le détail du procédé, mais aux couleurs posées sur les dessins, on remarque par exemple des planches où l'illustration est directement peinte, pour certains contrastes parfois saisissants. Les références artistiques sont aussi appuyées, entre clins d'oeil au Calvin et Hobbes de Bill Waterson, ou des compositions qui font appel au psychédélique d'un Ditko ou d'un Kirby. Lefeuvre convoque les Maîtres du médium mais toujours dans l'hommage respectueux. Le dessin gagne en profondeur et en diversité, tout en conférant à Fox-Boy une identité, une patte (le jeu de mots est voulu) qui lui est propre, et que l'on sera sûr de reconnaître d'un coup avec le temps.
Au final, le seul reproche que l'on puisse faire à ce Troisième Souffle, c'est qu'il souffre, malgré tout le contenu, d'histoires séparées (dont une partie n'est pas inédite, par ailleurs, mais il y a de grandes chances que vous ne les ayez pas lues, puisqu'elles n'étaient pas dans les deux précédents tomes mais dans d'autres publications). Si elles réussissent à se faire écho, il manque un forme de grand ensemble. On assiste à une présentation, efficace, de ce Fox-Boy, mais qui fait office d'échauffement. La frustration a le mérite d'exister de prouver qu'on attend donc la suite - mais il faudra pour cela d'abord attendre la publication du "Cycle des origines" (soit une réédition des deux premiers tomes parus chez Delcourt) avant de pouvoir poursuivre l'aventure. A ce jeu, si vous êtes un fidèle depuis les débuts, il faudra prendre son mal en patience. Pour les autres, banco, car les deux albums en question sont bons, et connaissant l'auteur, on sait qu'ils bénéficieront d'ajouts.
Après quelques années de publications plus ou moins difficiles, c'est avec ce Troisième Souffle que le Fox-Boy de Laurent Lefeuvre prend son appui le plus solide. Un troisième album qui devient chez Komics Initiative un premier tome, une rampe de lancement permettant de faire le tour du super-héros, de le découvrir sous tous ses atours. Réalité sociale, imaginaire breton et méta-univers cosmique, la recette prend forme et démontre de la richesse et de l'amour du super-héros que l'auteur porte à son personnage. Tout en lui apportant une marque forte, une empreinte cosmique envoûtante, avec l'envie de poursuivre la lecture coûte que coûte. Seul regret pour les lecteurs de longue date, c'est d'avoir à attendre plus longtemps pour avoir la "vraie" suite. Pour les autres, il n'y a pas à hésiter.
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