« Tu ne devrais pas avoir à t’inquiéter de ces choses-là à ton âge ». Ces paroles, adressées par Raven à une enfant en difficulté, résument assez fidèlement le deuxième volume des aventures des New Teen Titans de Marv Wolfman et George Pérez. Après un premier tome des plus appréciables, Urban revient avec cet ouvrage contenant les épisodes 17 à 27 de la série régulière, son premier numéro annuel, sans oublier l’ensemble de la mini-série Tales of the Teen Titans. Après un si bon démarrage, légitime était la crainte d’une suite qui ne soit pas à la hauteur. Inutile d’essayer de maintenir le suspense : il s’agit d’une nouvelle réussite, qui perpétue les qualités du premier volet tout en adoptant une tonalité bien moins optimiste.
Commençons par les constantes : les pages feuilletées sont toujours aussi agréables à regarder, autant pour le trait de Pérez que pour son découpage particulièrement soigné, qui exploite au mieux la verticalité des planches (rendez-vous p.142) et les bords de cases (mention spéciale à la p. 63 - également présente en noir blanc à la fin de l’album - qui les utilise intelligemment pour faire ressortir l’humanité de Cyborg). Si on retrouve Adrienne Roy à la couleur et Romeo Tanghal à l’encrage sur la plupart des numéros, on compte également la présence de Brett Breeding, Pablo Marcos, Gene Day et Ernie Colón (encrage) et de Carl Gafford (couleur). C’est, dans les faits, avant tout du côté de l’écriture qu’un changement est notable.
Il n’est pas tant ici question de nouveauté, mais plutôt d’approfondissement. Wolfman nous avait habitué, dès les premiers épisodes, à des personnages travaillés et à des thématiques matures pour une série visant un public relativement jeune. L’opposition entre parents et enfants en était la plus centrale. Elle y est toujours présente et plus violente que jamais, mais se voit dépassée par ce qui pourrait s’apparenter à une privation de la jeunesse, à l’impossibilité d’accéder à un semblant d’innocence durant cette période. Pour rappel, Dick Grayson a vu ses parents mourir et a grandi dans l’ombre d’une figure paternelle dont il était le protégé mais également l’outil.Victor Stone s’est vu privé de son corps et Rachel Roth de ses émotions. L’adoption d’un pseudonyme, souvent symbole d’une renaissance, n’en demeure pas moins également celui d’une renonciation. Une renonciation à une innocence le plus souvent déjà perdue, mais également à toute perspective de stabilité, de sécurité, de vie « normale ».
Qu’il s’agisse de la Guerre froide, d’un conflit galactique ou des ravages du trafic de la drogue, les individus se retrouvent régulièrement confrontés à des situations qui les dépassent. Dans ces contextes, les repères disparaissent, les frontières se brouillent et des questionnements moraux surgissent : des mineurs peuvent être des meurtriers, des ennemis peuvent avoir une famille à sauver. La narration humanisant certains adversaires et mettant en avant les facettes peu reluisantes de ceux qui se proclament défenseurs du bien, les protagonistes se retrouvent accablés par le doute. Comment Robin pourrait-il contredire le procureur Chase, qui n’a que faire de la loi, lorsque son mentor Batman est le premier à la braver ? Pour Starfire, Kid Flash, Changelin et les autres, l’entrée dans le monde adulte est faite de dilemmes douloureux, et les décisions prises ne sont pas toujours les bonnes. Les histoires des Titans sont chargées de désillusions, autant au sujet de leurs perspectives de construire quelque chose en parallèle de leur vie super-héroïque que de leur assurance d’agir comme il le faut.
Les adolescents brisés par la vie ne sont cependant pas tous revêtus de capes et de collants, et les histoires des New Teen Titans le mettent en images. La jeunesse s’y voit endeuillée, écrasée par le devoir, tombée dans la drogue, réduite en esclave ou en soldat, embrigadée dans une secte, contrainte à la prostitution… Le monde dans lequel se déroule l’action, le nôtre, est violent. On y assiste à la mort de l’enfance, voire de l’enfant. Équation insoluble, injustice flagrante ou même échec presque complet des personnages principaux : il est fréquent que le dénouement d’une intrigue n’aie rien d’une fin heureuse. En témoigne l’excellent double-épisode « Les fugueurs », dont l’épilogue vient remettre en cause la capacité des héros à venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin ; héros dont les pouvoirs - bien que capables de mettre fin à une guerre stellaire - sont inadaptés pour venir à bout de problèmes sociétaux. Comme un présage avant-coureur de cette conclusion amère, un Superman privé de ses pouvoirs parvenait quelques épisodes plus tôt à sauver in extremis les Titans, non pas en ‘volant’ à leur secours mais en utilisant un outil adéquat. Les super-héros sont-ils alors inutiles pour résoudre les problèmes du monde dans lequel leurs auteurs tentent autant que possible de les ancrer ?
Pour en revenir à notre bouquin, celui-ci n’est toutefois pas exempt de critiques, bien qu’ellesne soient pas nombreuses. On peut par exemple noter quelques méchants caricaturaux et sans grand intérêt, qui sont d’autant plus visibles qu’ils suivent ou précèdent des antagonistes particulièrement bien écrits. Le chef de la Citadelle, une brute à peine capable de parole tout droit sorti d’une série B fait ainsi pâle figure face à Leonid Kovar, agent russe aux motivations tout à fait crédibles au sujet duquel les Jeunes Titans se divisent. A l’image du « Choc des Titans » dans le premier volume, l’épopée spatiale engendrée par l’arrivée de Blackfire peut par moments donner l’impression de se perdre à viser une menace trop grande, ce qui ne l’empêche en rien d’être appréciée.
The New Teen Titans Volume 2 transforme donc l’essai et nous livre un contenu d’une qualité toujours aussi bonne, qui sait s’adresser à des jeunes sans les prendre pour des idiots en abordant parfois des sujets difficiles, voire douloureux. Ce bilan est néanmoins à nuancer : il reste très divertissant, avec un humour efficace et des personnages attachants. Si vous avez aimé le premier tome, celui-ci ne pourra que difficilement vous décevoir. On peut également saluer la présence des couvertures d’origine et de quelques planches en noir et blancs en bonus.
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