Il s'est passé presque un an et demi depuis que Jeff Lemire concluait (en VF) son excellent run avec le second tome de Bloodshot Salvation. L'éditeur français du personnage, Bliss Editions, a pris la décision de ne pas proposer la mini-série Rising Spirit pour passer directement à la nouvelle série de Valiant, relancée à l'automne dernier, avec Tim Seeley au scénario et Brett Booth aux dessins. Un choix plutôt judicieux au vu de la qualité de ladite mini-série. Démarrons donc avec une nouvelle entrée en matière qui a le mérite de ne prendre aucune pincettes, avec un tour d'horizon de tout ce que Bloodshot est capable de faire.
Sans trop de fioritures, Tim Seeley nous jette dans la mêlée. Bloodshot est un super-soldat qui, grâce aux millions de nanites (nano-robots) transfusées dans son sang, est capable de redoutables prouesses. Son corps peut se régénérer à volonté, tant qu'il a accès à quelques sources de protéines ; il est peut prendre l'apparence, temporairement, de n'importe qui ; et ses robots lui permettent de communiquer avec tous les réseaux de technologies. Si l'on rappelle que le super-soldat était autrefois le jouet d'une entreprise militaire, le Projet Rising Spirit (PRS), le postulat de cette nouvelle série est simple : désormais libéré de ses tortionnaires, Bloodshot va choisir ses propres combats.
Bien entendu, l'entrée en matière n'est pas sans liens avec ledit PRS puisque Bloodshot veut défaire toutes les autre super-armes fabriquées par le complexe militaro-industriel, et livre un combat explosif (au sens propre comme au sens figuré) pour ruiner ses ennemis. Les balles fusent dans tous les sens, les course-poursuites se font à coup de gros camions et de tanks, et les explosions sont légion. Bloodshot encaisse les coups, les balles, se métamorphose, joue des fusils, fait le bourrin mais ruse également : en quelques planches, Brett Booth profite de son trait dynamique pour montrer le héros Valiant au top de sa forme. Une entrée en matière vivifiante, qui permettra aux nouveaux venus de se familiariser avec les capacités de Bloodshot très rapidement.
Si le précédent run de Jeff Lemire s'attardait à explorer la psyché de Bloodshot et de son alter égo Ray Garrison, avec un accent sur la famille proche à l'auteur canadien, Tim Seeley va plutôt puiser dans les racines de certains travaux passés (G.I. Joe, Grayson) pour une intrigue plus militaire, orientée techno-thriller et espionnage musclé. Tout à la recherche de ses cibles qu'il est, Bloodshot n'en reste pas lui même un sujet d'intérêt pour d'autres agences obscures de l'univers Valiant - notamment les Black Bar, que l'auteur introduit dans ce premier chapitre, et qui s'apparente aux Black Ops du gouvernement américain dans l'univers Valiant Comics. Du super-soldat contre des espions et des militaires, certains profitant évidemment de capacités spéciales qui pourront mettre à mal Bloodshot ; et dans le lot, une troisième faction apparaît, pour apporter un niveau de complexité supplémentaire au conflit.
L'intérêt dans ce rapport de forces, c'est que Seeley travaille les nuances de gris. Tout le monde a ses propres intérêts et pense agir dans une bonne direction, en fonction de ses valeurs morales. Entre les effusions de sang et les explosions, on essaie de définir les motifs de chacun, et si le rythme, rapide, empêche de trop se poser aux côtés des personnages, le scénariste réussit à leur donner assez d'épaisseur pour qu'on ait envie de s'intéresser à eux. Malgré des débuts expéditifs, les vilains qu'affronte Bloodshot ne sont pas que de la chair à canon, et les lignes d'une intrigue avec des enjeux plus amples se laisse entrevoir. Le principal souci de l'album, c'est que tout paraît trop court (on ne compte là que trois chapitres en plus de l'introduction du FCBD). Habitué dernièrement aux récits complets, Bliss Editions se risque ici à jouer la carte de la série régulière comme à ses débuts. La lecture, quoique courte, reste sympathique : à voir le ressenti du lectorat, sachant que, pour compenser, l'ouvrage dispose d'un partie bonus fort bien fournie. Dans la tradition de la maison d'édition, les variantes, les planches encrées et crayonnées sont nombreuses, permettant de voir le travail fourni sur la série.
De quoi mettre quelques mots sur les dessins qui, en fonction de votre affect avec le style de Brett Booth, pourront être un avantage ou un défaut sur la série. Il faut dire que le dessinateur, que les lecteurs de The Flash des dernières années connaissent bien, s'accorde assez bien avec la direction que Seeley donne à cette nouvelle série Bloodshot. Capable de dessiner des personnages musculeux, l'artiste n'hésite pas à déformer son trait et tord son héros dans tous les sens, avec une certaine aisance dans le travail du corps pour faire le body horror qu'on aime à retrouver avec ce personnage. Le style très "mainstream des années '90" sied correctement pour tout ce qui est action. Booth est à l'aise dans tout ce qui est armement militaire, explosions en tous genres, mais l'on pourra reprocher à son trait de manquer un peu de fermeté. Certaines planches sont un peu brouillon, avec des personnages qui ont du mal à se démarquer des décors.
On aura également le plaisir d'avoir un peu de Tomàs Giorello sur l'introduction de l'ouvrage, avec des esquisses plus soignées que le style chargé de Booth. Dans l'ensemble, au même titre que le scénario, le dessin est tout à fait acceptable compte tenu du produit que Valiant nous propose. On imagine aisément qu'il a été demandé à Seeley d'être dans ce style d'actionner avec un certain film sorti en parallèle sur les écrans - à la différence que ce comicbook s'attache à un héros en pleine possession de ses facultés, qui les expose (et l'artiste s'amuse vraiment là dessus), et qui donne envie de poursuivre la lecture dans le tome 2.
Après un excellent run de Jeff Lemire, la nouvelle série Bloodshot était forcément attendue au tournant. Avec une approche très militaire, sur fond de conflits d'agences d'espionnage, cette nouvelle série Bloodshot séduit par son plein d'action, un héros au top de sa forme (qui serait même un peu trop über-Bloodshot par moments) et vilains qui font l'effort de puiser dans l'historique plus ou moins récent du personnage. Le dessin se montre efficace pour cette approche, et si le tout est un peu court, les fans de Bloodshot devraient y trouver leur compte. Ici, on est curieux de découvrir la suite.
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