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Marvels : L'Oeil de l'Objectif : devant la difficulté d'égaler le chef d'oeuvre

Marvels : L'Oeil de l'Objectif : devant la difficulté d'égaler le chef d'oeuvre

ReviewPanini
On a aimé• Un ensemble sincère et poignant
• La métaphore sociale, encore bien ficelée
• Un récit (peut-être) personnel pour Kurt Busiek
On a moins aimé• Alex Ross est absent
• Moins dense, moins généreux que le premier volume
• Un rapport aux héros qui se cherche un peu
Notre note
Beaucoup se sont cassés les dents dans l'exercice (périlleux) de donner suite à un chef d'oeuvre. Les comics en particulier, où des figures de proue comme Dark Knight Strikes Again et Doomsday Clock témoignent de la difficulté à passer sur les notions d'héritage, de parvenir à retrouver les ingrédients originaux, ou de développer une histoire qui n'avait, en définitive, pas besoin d'aller plus loin. Dans la longue liste des essais perpétrés par l'industrie, Marvels : L'Oeil de l'Objectif (Marvels : The Eye of the Camera) se situe quelque part entre la déception sincère et le contrat rempli. Histoire agréable, authentique, humaine, cette seconde mini-série tombe toutefois assez loin de l'original à plusieurs niveaux, et se terre dans la catégorie des oeuvres dispensables, malgré tout.
 
Quatorze ans et un dessinateur séparent la seconde série Marvels de la première. L'artiste Jay Anacleto passe derrière Alex Ross, après cette période de retrait où le géant du pinceau avait décidé de consacrer le moins de temps possible aux planches intérieures. Beaucoup de continuations de l'oeuvre de Ross (comme Earth-X) souffrent de cette difficile transition - comme si l'auteur, en entrant en pré-retraite, avait laissé derrière lui une quantité considérable de projets orphelins. Pour Marvels : L'Oeil de l'Objectif, la Maison des Idées a tenté le compromis en allant chercher un autre artiste peintre susceptible de tenir la comparaison. Hélas, dès les premières pages, on comprend que le temps de la grandeur est derrière nous.
 

 
Ce à plusieurs niveaux, d'ailleurs, attendu que le thème de l'utopie brisée jalonne l'ensemble de cette seconde mini-série. Là où le premier volume de Marvels se présentait comme une déclaration d'amour aux super-héros, à l'optimiste des Etats-Unis dans l'après guerre et au développement des grands mythes américains, L'Oeil de l'Objectif reprend directement après la mort de Gwen Stacy pour faire le point entre réalité et fiction. Dans les comics, le décès de Stacy correspond à l'une des balises du Bronze Age, une période où les super-héros entrent dans un monde plus violent, plus social, plus réaliste et moins simpliste. Parallèlement, l'inconscient collectif des citoyens des Etats-Unis évolue à la même période, au tournant des années 1970 avec les chocs pétroliers, la défaite annoncée au Vietnam, une guerre qui divise davantage et où le sentiment de combattre dans le bon camp est un peu moins présent. La monté de l'insécurité, la remise en question des figures d'autorité, un sentiment de stagnation très général et l'avènement des scandales politiques et de la paranoïa se ressentent à plusieurs endroits de ce second volume, lorsque le héros Phil Sheldon ne reconnaît plus ses sympathiques bouilles costumées.
 
Le monde est alors plus complexe, plus noir, et pour ce personnage, contemporain de Captain America, il est plus difficile de cataloguer les nouveaux anti-héros de la Maison des Idées (Wolverine, Punisher) ou l'obsession pour les monstres qui s'était abattue sur les comics de super-héros au début des années 1970 (Man-Thing, Werewolf by Night, Dracula). Étalé sur une période de temps bien plus restreinte que la première mini-série, L'Oeil de l'Objectif se concentre essentiellement sur cette période de transition. Lorsque l'Amérique remet en question ses symboles, son enthousiasme, au coeur d'une division sociale et d'un pessimisme de plus en plus présent. 
 
La transition des générations, en somme, qui passe aussi par des points intéressants : l'analogie avec les super-héros permet, par le prisme de Sheldon, d'expliquer comment l'humain peut se sentir dépassé devant l'ampleur de certains événement. Là où le premier volume impliquait mine de rien le citoyen de plus près, les super-héros paraissent ici plus distants, plus inaccessibles, plus compliqués à approcher. Comme si l'homme commençait à perdre son emprise sur les grands éléments historiques, était moins impliqué dans les faits importants. A l'inverse, le héros de l'histoire ne supporte plus la presse à scandale, qui tente justement de faire maladroitement le pont entre l'homme normal et les vedettes, les élites.
 

 
Cela étant, ce discours, quoi qu'intéressant au premier plan, se mélange assez mal avec la véritable trame de fond : Phil Sheldon est atteint d'un cancer des poumons, et n'a plus que quelques mois devant lui. Pour Kurt Busiek, un auteur lui-même victime de maladie grave depuis un certain temps, cette thématique paraît d'autant plus personnelle. Or, si le récit de la fin de vie du journaliste est poignant, bien raconté, humainement mouvementé et pose de lourdes questions sur le rapport à l'héritage ou au fait d'avoir fait les bons choix, la métaphore du justicier s'intercale difficilement avec cette mélancolie, cette tristesse accablée. On se demande d'ailleurs pourquoi certaines têtes connues de la Maison des Idées se pointent dans les dernières pages, quand le volume semble développer l'idée que Sheldon souffre justement de la distance entre eux et lui. 
 
Il est probable que Busiek exorcise quelques démons avec cette aventure crépusculaire, ou un bonhomme qui aura passé sa vie au service des super-héros s'aperçoit qu'il avait peut-être mieux à faire, et surtout, que ces mêmes super-héros lui correspondent de moins en moins. Dans l'ensemble, le bouquin est tout de même très gris, et loin de la justesse avec laquelle l'auteur, bien aidé par Alex Ross, parvenait à rendre matérielle l'idée du hors champ. De ces personnages anonymes, inconnus, en bord de case, qui vivaient leur vie à l'ombre des surhommes de la même façon que des milliards d'individus transitent à travers l'existence sans entrer dans les livres d'histoire (réelle ou fictive). L'Oeil de l'Objectif se contente peu ou prou de raconter "comment se termine la vie du héros de Marvels". Contrat frustrant, quand certaines choses restent justement en suspens, et que cette suite ne comprend qu'une petite partie des qualités du premier volume (la durée, le rapport méta-fictionnel, et, au demeurant, une capacité à célébrer la vie des gens ordinaires). Gorgé d'amertume, le bouquin paraît très personnel, et constellé de pistes qui ne vont pas toutes suffisamment loin.
 

 
Mais, on serait cruels de manquer d'honnêteté : la raison de ce décalage s'explique aussi, en grande partie, par le choix de dessinateur. Sans remettre en doute les qualités de Jay Anacleto, passer après Alex Ross est difficile. Dans le comparo' général, il paraît même assez curieux de se dire que L'Oeil de l'Objectif a finalement l'air plus vieillot que l'original, en particulier dans le choix des couleurs. Un comble pour un bouquin sorti quatorze ans après le premier, au moment où l'industrie était parvenue à domestiquer la colorimétrie numérique pour maîtriser les rendus. A l'image du scénario, le style Anacleto est un peu plus brouillon, mais surtout un peu plus déprimé. On ne ressent plus le même enchantement à suivre un personnage dans "les coulisses" du monde de Marvel. Au mieux, on profite des nombreux hommages éparpillés çà et là, mais l'union formée par le couple Ross et Busiek opère à un tel degré de perfection que tout le monde ne sera probablement pas prêt à faire ce compromis.
 
Que l'on ne s'y trompe pas, cependant : dans son ensemble, la bibliographie de Kurt Busiek fait partie des oeuvres les plus importantes de l'histoire des comics. Véritable auteur avec ses thèmes, obsessions et méthodes très identifiées, le bonhomme s'est imposé dès ses premiers travaux comme l'un des plus talentueux de sa génération. Marvels : L'Oeil de l'Objectif est à ranger entre le haut et le bas de ses indispensables, agréable, touchant, gorgé de cette humanité qui caractérise ses passionnants récits de vie, mais difficilement comparable avec l'authentique chef d'oeuvre des débuts. Moins ample en thématiques, moins compréhensible ou moins direct dans son rapport entre lecteur et personnage, héros et super-héros, réalité et fiction, l'ouvrage se contente de raconter de belle manière la fin d'une histoire qui n'avait sans doute pas besoin de suite en réalité. Particulièrement quand l'édition récente de Marvels par Panini intégrait le fameux Epilogue, réalisé avec Alex Ross pour mettre un point final plus optimiste à l'aventure de la famille Sheldon. A conseiller aux vrais amoureux de Busiek, ou à ceux qui auraient encore de l'appétit après le premier volume.

Corentin
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