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Eric Stephenson (Image Comics) fustige l'attitude de DC Comics dans une lettre virulente

Eric Stephenson (Image Comics) fustige l'attitude de DC Comics dans une lettre virulente

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Depuis plusieurs mois à présent, l'industrie des comics toute entière subit de nombreuses difficultés des conséquences de la pandémie de Covid-19. Tous les éditeurs avaient été marqués dans un premier temps par la cessation d'activité de Diamond Comics, distributeur principal pour l'ensemble des comic shops. En conséquence, les éditeurs avaient mis leurs publications en pause, cherchant parfois à contourner cet inconvénient par la voie du numérique, et en ajustant leurs plannings pour la reprise.

A ce jeu pourtant, DC Comics a décidé de jouer cavalier seul. Premièrement, l'éditeur à deux lettres n'a pas attendu la reprise d'activité de Diamond Comics et se trouvait quelques semaines avant tout le monde deux nouveaux distributeurs, Lunar et UCS, en fait des services de distribution assurés par deux énormes revendeurs américains que sont Midtown Comics et DCBS. Ce nouveau modèle pluri-distributeurs s'est retrouvé consolidé la semaine passée, lorsque DC a pris la décision historique de mettre fin à son partenariat avec Diamond Comics, après 25 ans de collaboration.

La décision a été largement critiquée au cours de la semaine par l'ensemble du marché, notamment les comic shops qui se retrouvent désormais contraints d'ouvrir des comptes et gérer une toute nouvelle logistique de commandes auprès d'entités qui sont en fait des concurrents directs, pour un éditeur représentant quasiment 30% de la production actuelle. De plus, DC Comics a agi très rapidement, et ne compte pas laisser de délais d'ajustement aux acteurs du marché, imposant des prises de décision tout aussi rapides dans un contexte économique, social et sanitaire toujours tendu aux Etats-Unis. 

En conséquence, le directeur créatif et de publication d'Image Comics, Eric Stephenson, s'est fendu d'un communiqué à ses nombreux collaborateurs de la maison d'édition. Une lettre pas vraiment ouverte, qui s'est retrouvée ensuite reproduite dans les colonnes de Bleeding Cool, et qui donne le la sur ce que pense Stephenson de l'attitude de DC Comics. D'autant plus que plus tôt, Stephenson avait appelé publiquement DC (et Marvel) à faire preuve de solidarité.

Avec un rappel historique et une note d'espoir malgré tout, on vous laisse découvrir le long phrasé traduit par nos soins - à supposer que vous serez d'accord ou non sur l'analyse, on vous laisse en débattre en commentaires. Mais à plusieurs égards, l'attitude de DC sur le marché devient problématique. On y revient bientôt dans un autre article.

"Chers créateurs

Ceux qui n'apprennent pas de l'Histoire sont destinés à la répéter. C'est vrai. On peut soit apprendre des erreurs passées, ou les refaire.

Dans les comics, il apparaît souvent que l'on aime reproduire les mêmes erreurs. 

Demandez à DC.

En 1994, Marvel avait acheté un distributeur du nom d'Heroes World. A cette époque, il existait de multiples distributeurs, les plus importants étant Diamond Comics Distributor et Capital City Distribution. Et donc Marvel avait acheté Heroes World et annoncé qu'ils ne distribueraient leurs produits qu'exclusivement par ce créneau. La réponse de DC a été de signer une exclusivité avec Diamond. Ce qui a poussé Archie, Dark Horse et Image de négocier avec Diamond et Capital pour l'exclusivité. Diamond a fait les meilleures offres. Viz et Kitchen Sinl sont devenus exclusifs à Capital, mais en 1996, leur business est tombé en faillite et Diamond les a rachetés. Un an plus tard, Heroes World rendait également ses clés, et Marvel s'en est retourné chez Diamond.

Pourquoi Diamond ?

Hé bien, Diamond était le seul distributeur restant à ce moment. Bien sûr, il y avait quelques petits distributeurs qui s'occupaient de titres indé' et alternatifs, mais ils ne livraient rien des éditeurs les plus importants. Pour un éditeur de la taille de Marvel, Diamond était littéralement la seule option restante lorsque Heroes World a cessé son activité en 1997. Et n'oublions pas que Marvel était en faillite à ce moment.

Nous voilà donc en 2020, avec un monde dans un état qui se rapproche du pire qu'il a jamais connu, et DC a oublié ce petit moment d'histoire des comics et choisi ce moment pour quitter Diamond. J'imagine que vous avez lu leur déclaration expliquant que cette décision a été faite pour renforcer le marché.

Excusez ma vulgarité, mais ce sont des conneries.

Il s'agit d'une décision précipitée, sociopathique, prise par des personnes qui se contrefichent du bien-être du marché sur le long terme, et encore moins des comics.

La bonne nouvelle est que, comme Marvel n'a pas été capable de détruire l'industrie en 1994, DC - qui toujours bon second derrière Marvel après toutes ces années - n'en sera pas capable non plus. Certains d'entre vous s'inquiètent de la stabilité de Diamond après avoir perdu son business avec DC, mais ce qui importe est que DC vaut pour à peu près 30% de ses affaires en comics, et que Diamond ne vend pas que des comics.

En plus de la distribution de domics, Diamond s'occupe également de figurines, de jeux, d'autres produits dérivés, avec les jeux qui deviennent une partie de plus en plus importante de leur business. Diamond possède un distributeur de jeux - Alliance Games - dont les revenus arrivent quasiment à la moitié de ce que parvient à donner le marché des comics, et leur activité a été assez robuste. 

En ce qui concerne les comics, le reste du marché représente environ 70% du marché de Diamond Comics envers le Direct Market. Ce qui ne veut pas dire que ça ne va pas être difficile pour Diamond et le reste du marché, mais ce n'est pas tant que ça le coup fatal que tant craignent.

Cette peur, malgré tout - qui a motivé tant d'e-mails et de messages de votre part, et qui a parcouru parmi toute la communauté des revendeurs depuis la nouvelle de vendredi dernier - souligne quelque chose qui devrait alerter tout le monde dans les comics :

DC a agi sans aucune considération sur l'impact qu'il aurait sur le reste du marché.

Il y a une belle citation de Maya Angelou qui, avec celle par laquelle j'ai démarré cette lettre, est ma préférée : "Quand quelqu'un vous montre qui il est, croyez le la première fois."

De façon générale, quand un éditeur quitte un distributeur pour un autre, il y a une période de transition. Il faut transférer les inventaires et les données, s'occuper des comptes - et tout est fait avec un planning soigné pour que toutes les parties impliquées puissent aller de l'avant sereinement. Quand Marvel a acheté Heroes World et qu'ils ont cessé leurs affaires avec les autres distributeurs, ils ont donné un délais. Non en termes de jours, mais de mois.

Ce n'est pas ce qu'il s'est passé ici.

Avec tout ce qu'il se passe en ce moment - pas seulement cette pandémie qui a mis notre économie à genoux, mais aussi un mouvement de protestation nationale sans précédent contre les violences policières et le racisme instituionnalisé -, DC a choisi de frapper en traître Diamond et le reste de l'industrie avec leur décision de mettre fin à un partenariat de plusieurs décennies. Ils sont le second plus gros éditeur de comics et d'albums aux Etats-Unis, appartenant à l'une des plus grosses entreprises de télécommunications du monde, et dans une sécurité financière bien plus importante que la plupart des autres éditeurs de comics.

N'avaient-ils pas les moyens de ne donner ne serait-ce que quelques mois de délais ? Pas simplement pour la courtoisie professionnelle, mais par considération pour le reste des revendeurs et du marché avec qui ils vont continuer d'opérer sans prendre en compte qui distribue leurs comics ?

Au final, tout ce à quoi ça mène est un chaos dans la distribution menant à la panique des revendeurs et à leur désarroi, et tout au bout de la chaîne, on a des lecteurs de Batman qui se demandent ce qu'il peut bien se passer.

Ce qui est embarrassant, c'est qu'il ne s'agit que d'un comportement négligent, d'un manque de perspicacité dans ce business, et d'un leadership interne appauvri. Ce pourrait être pardonnable venant d'une petite entreprise avec moins de ressources et un plus petit historique sur le marché, mais pas d'un éditeur de la stature de DC.

Pour remettre les choses en perspective : il y a des créatifs chez Image qui nous ont demandé de ne pas faire de promotion pour l'instant de leurs travaux parce qu'ils pensent que ce serait faire les sourds face aux évènements en cours - mais DC a fait son coup non seulement en faisant le sourd, mais de façon complètement inconsciente d'autre chose que leurs propres ambitions.

Notre industrie ne se limite pas qu'à un seul éditeur, néanmoins, et nous nous en sortirons.

Si quelque chose devait arriver à Diamond, nous ne sommes pas sans options, tant pour le Direct Market que pour les libraires, mais pour l'instant, nous espérons qu'il ne sera pas nécessaire d'étudier ces options. Si cela devait changer, nous tiendrons informés tout le monde.

J'ai discuté avec Steve Geppi et d'autres membres de l'équipe de Diamond de ces évènements, comme l'a fait le Président d'Image, Todd McFarlane. Nous pensons que Diamond n'est pas au bord de l'effondrement, bien que le marché va à l'évidence à l'encontre de difficultés.

Quelqu'un m'a demandé si Image reçoit des versements de Diamond, et c'est le cas.

Quand Diamond a cessé la distribution des conséquences de la Covid-19 et des injonctions à rester chez soi dans les états, cette action - aussi frustrante soit-elle - a demandé à Diamond de mettre en place des paiements réduits envers les éditeurs.

La façon dont ces versements ont été échelonnés fait que pendant huit semaines nous avons reçu 25% de qu'on nous devait pour les ventes de janvier à mi-mars, et que les 75% nous seraient versés pendant les huit semaines d'après.

Bien que cela n'a pas été idéal à ce moment, les versements que nous recevons aujourd'hui permettent de compenser cette période pendant laquelle les magasins ne pouvaient recevoir nos nouveautés, et nous sommes bien en chemin vers un retour à quelque chose qui se rapproche de la "normale".

Cela fait bientôt un mois que nous avons repris la distribution de comics, et bien que tous les comicshops ne soient pas encore rouverts, la baisse sur nos commandes a été assez mineure. Il y a même des commandes sur certains titres qui ont augmenté par rapport à la période pré-Covid.

En d'autres termes, il y a des raisons d'espérer.

Ce n'est pas facile pour tout le monde, et c'est compréhensible. 

Image n'appartient ni à AT&T, ni à Disney. Image n'a pas un contrat de premier terme avec Paramount, Netflix, Amazon Studios, Legendary, HiveMind ou toute autre ferme à licences qui n'a en fait pas de réel intérêt dans la vente de comics. Nous ne sommes pas comme tout le monde.

Quand Image a débuté, beaucoup avaient accusé les fondateurs d'Image de quitter Marvel et créer leur propre entreprise par pur égoïsme, et au vu de l'incroyable succès d'Image à son départ, ils auraient aisément pu se contenter de ne produire que leurs propres comics et d'en rester là. 

Ce qu'ils ont fait, à la place, a été d'inviter leurs camarades créatifs à construire avec eux l'entreprise qu'ils avaient lancée, ou comme le disait Larry Marder, l'ancien directeur exécutif d'Image, "à briser les chaînes du travail sur commande et rejoindre la révolution".

En conséquence, Image ne fonctionne comme aucun autre éditeur - surtout pas Marvel et DC.

Ce qui fait que publier chez Image peut être décourageant par moments, car "différent de Marvel et DC" peut être vu quelques fois comme "je dois tout faire tout seul et je n'ai pas un tarif par page, et si personne n'achète mon bouquin et que je ne génère pas d'argent en faisant cela, est-ce que j'arriverai à trouver un job ailleurs si ça ne marche pas ?"

Mais Image est l'entreprise qu'elle a été depuis 30 ans car nous offrons aux créatifs la même indépendance que Rob, Todd, Jim, Marc, Erik, Whilce et Valentino ont recherché pour eux-mêmes en 1992.

Ce n'est pas toujours aisé, cette indépendance s'accompagne parfois d'épreuves et d'incertitudes, mais c'est cette indépendance qui rend le tout possible pour chacun - de quelqu'un de relativement inconnu à la superstar reconnue - de travailler avec Image, plutôt que de travailler pour Image, et partager les même opportunités. Ou du moins les opportunités que chacun veut partager.

Il n'y a pas une façon de faire propre à Image - pas de grand plan d'ensemble. Ce qui peut ressembler à une opportunité à un créatif sera vu comme des ennuis par un autre, et vice versa. 

Quand l'entreprise a démarré, les fondateurs s'étaient fixé une seule règle : qu'aucun des partenaires ne pouvait dire à l'autre comment faire marcher son business. A un degré plus large, ça s'étend à la philosophie de l'entreprise envers les créatifs avec qui nous travaillons et pour qui nous travaillons. Pour certains, c'est libérateur, pour d'autres c'est frustrant. Ce qu'il faut retenir c'est que l'idéal qui a permis à l'entreprise de se lancer en fanfare il y a des années est le même qui sert de carburant à l'Image d'aujourd'hui.

Nous utilisons beaucoup le terme "créatif/créateur" - parce que nous publions des comics en creator-owned, le terme est donc difficile à éviter - mais quelque chose qui n'est pas assez souvent dit à propos d'Image et de ses fondateurs est qu'ils aiment les comics. Ils ne sont pas devenus les plus gros noms de Marvel par accident ou passés des années à leur planche à dessins avant cela parce qu'ils avaient perdu de l'intérêt pour le dessin.

Sans exception, ils adoraient les comics, et c'est par leur affection commune de ce médium et leur frustration partagée de la façon dont le business s'était développé tout autour qu'ils se sont rassemblé pour monter une entreprise qui, aussi frustrante puisse-t-elle être à son propre égard, était meilleure que les autres.

Ce n'est pas une entreprise qui existe comme un item sur le tableur des investissements d'une entreprise plus importante, qui ne fonctionne pas dans la seule fin d'être un laboratoire d'idées pour d'autres médias, mais qui existe comme la vision matérialisée de ce qu'il arrive quand des personnes qui aiment sincèrement ce qu'elles font se retrouvent ensemble et forment un groupe.

Pour en revenir à DC, et à la situation dans laquelle se trouver l'industrie soudainement après leur décision de cesser leur accord de distribution avec Diamond, ce n'est pas la première fois que l'un des "Big Two" de notre industrie nous a montré leur vrai visage, et l'histoire a déjà prouvé que ce ne sera probablement pas la dernière.

C'est effrayant et stressant pour tout le monde, mais ce sont aussi des moments comme ceux-là qui rappellent pourquoi Image existe.

Nous croyons aux comics, nous croyons à cette industrie, et nous croyons en vous.

Même si les choses nous paraissent mornes maintenant alors que nous restons chez nous et qu'on s'inquiète des surprises possibles de demain, nous croyons que nous allons au devant de meilleurs jours. 

Sincèrement, 

Eric Stephenson.

Source

Arno Kikoo
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