En 2016, après cinq années de bons et loyaux services, Scott Snyder et Greg Capullo terminaient leur run sur la série régulière Batman. Une aventure de longue haleine qui a vu les meilleurs moments (La Cour des Hiboux, le concept d'Endgame) côtoyer les pires (Zero Year, l'après Endgame avec l'armure de Bat-lapin), et pour laquelle Snyder s'est approprié le Chevalier Noir pour en faire son super-héros ultime. Un Batman capable de tout, de surpasser n'importe quelle situation, et persuadé de l'absolue nécessité de son rôle pour Gotham City. Ce qu'on pourrait appeler l'Über-Batman.
Après avoir laissé le titre à Tom King, Snyder n'abandonne pas complètement son héros favori pour un All-Star Batman qui a le mérite de mettre en avant quelques artistes talentueux, sans que la ferveur et les ambitions du précédent run se trouvent aussi marquées. Dès lors, alors que l'auteur mettait l'univers DC Comics sens dessus dessous dans Metal, à multiplier les références et les emprunts de continuité à tout va, pour un event boursouflé et indigeste, on pouvait craindre d'une énième réunion des deux compères avec Batman : Last Knight on Earth. La mini-série en trois numéros, qui a fait partie des gros projets pour la première année du DC Black Label, était vantée comme l'ultime histoire du duo sur le Chevalier Noir. Sorti tout récemment chez Urban Comics, force est de constater qu'avec ce récit, le tandem a su à la fois proposer quelque chose d'aussi, disons généreux, que leurs dernières frasques métalliques, tout en restant bien plus consistant dans leur discours et curieusement concis dans leur rapport à Batman.
Au départ, Last Knight on Earth nous emmène sur les débuts d'une enquête qui interroge Batman, car elle semble avoir été constituée par quelqu'un qui le connaît très bien. Des traits tracés à la craie dans les rue de Gotham forment la silhouette costumée du super-héros, son coeur se trouvant à Crime Alley. Par la suite, l'intrigue va promener le lecteur dans une aventure aux ramifications bien plus vaste. Se retrouvant à présent dans un futur post-apocalyptique, Batman va parcourir une Terre qu'il ne reconnaît plus, pour tenter de venir à bout de celui qui a transformé son monde en un cauchemar vivant. L'idée ici sera de rester vague pour ne pas en dire trop sur les multiples bouleversements du voyage, mais posons le clairement : Last Knight on Earth s'adresse en premier lieu à celles et ceux qui ont suivi Snyder pendant toute la période New 52/Renaissance.
Les textes d'introduction propres à Urban Comics étant toujours assez bien rédigés, bien évidemment qu'un lecteur débutant peut aller lire Last Knight on Earth parmi ses premières oeuvres. Mais ce serait passer à côté d'éléments essentiels à sa totale compréhension. Qu'on ait aimé ou non ledit run par ailleurs. Scott Snyder reprend en effet de nombreux éléments de ses écrits passés, sans chercher à en faire plus ou à étendre ce qu'il avait déjà établi. Au contraire, on se recentre sur quelques points essentiels, comme cette idée qu'il faudra toujours un Batman présent (souvenez vous de Detective Comics #27) ; une relation avec le Joker qui dépasse largement celle du simple ennemi ; une logique implacable pour donner à son Über-Batman le seul adversaire qui serait, selon ses préceptes, capables de l'affronter.
Ceci étant dit, les idées folles ou originales ne sont pas en reste quand Snyder se lance dans son post-Apo, et que Capullo doit l'illustrer. Comme dans son épopée Metal, les concepts fusent : on retrouve des tornades de Speedforce, un monde qui s'en remet à une Wonder Woman au design largement discutable ; des utilisations bizarroïdes de plusieurs concepts entremêlés pour expliquer la puissance d'un dispositif. De quoi perdre quiconque ne serait pas familier de l'univers DC Comics, et pourtant. Pourtant l'ensemble tient bien debout, et certaines situations ont quelque chose de fascinant. On pourra citer les résultats de l'obsession de Lex Luthor comme l'une des belles trouvailles, ou quelques passages plus descriptifs, ou des personnages plutôt habitués du catalogue Vertigo font une apparition, donnant fortement envie d'en connaître plus sur le monde qui nous est présenté.
Il faut dire que Greg Capullo se montre non seulement assez inspiré, mais surtout constant. L'avantage du format de publication, peut-être. Alors que le trait était confus et désordonné par son trop plein sur Metal, Last Knight on Earth permet au dessinateur de se donner à fond sur un univers DC réinventé. Quelques planches sont réellement majestueuses, quand d'autres visions infernales sont impressionnantes de maîtrise. L'artiste s'en donne à coeur joie pour dépeindre un univers post-apocalyptique où les éléments les plus connus du lectorat seront montrés sous un jour nouveau. Le parcours, parfois en cartes postales, permet d'apprécier une certaine science dans la composition. Capullo s'amuse aussi à donner vie aux éléments les plus fous du récit. Mais comme expliqué précédemment, ces derniers s'inscrivent dans un déroulé cohérent dans l'ensemble de ce que le duo a produit depuis Batman #1 en 2011.
S'il n'est pas l'auteur le plus engagé politiquement, Scott Snyder livre avec Batman : Last Knight on Earth une forme de discours assez transparent sur l'état de sa société. Spectateur de contemporains qui prennent de façon commune de très mauvaises décision, il réaffirme la nécessité d'avoir besoin de symboles et donc de super-héros. Tout ceci est assez lisible, mais en jouant sur les failles de son über-Batman, tout comme en s'attaquant à la seule chose qui permette de les affronter, le récit essaie de gommer la carte du héros qui arrive à tout arranger par sa seule force. Bien sûr, le Chevalier Noir reste la figure ultime mais le chemin que ce dernier fait n'est pas solitaire - ne serait-ce qu'avec la compagnie du Joker, qui reste son ennemi juré en temps normal. La force du collectif se fait donc ressentir, avec une note d'espoir sur la fin qui laisse espérer que Snyder et Capullo ont vraiment donné le point final à leur Batman. On peut en rester là, sans se préoccuper de ce qu'ils feront dans le canon par la suite - et c'est tant mieux.
Batman : Last Knight on Earth est une bonne conclusion pour qui aura suivi l'ensemble du run de Snyder et Capullo sur le Chevalier Noir. Avec un postulat prétexte à partir dans de nombreux délires, le duo reste malgré tout cohérent par rapport à leurs productions passées, et Snyder retrace ses obsessions et sa vision très personnelle de Batman dans un ensemble synthétique, et cohérent. Joliment illustré, pas toujours accessible, mais réussissant à se cadrer par rapport à d'autres oeuvres récents du tandem. En somme, le véritable point final sur le super-héros de la part de ces deux créatifs - en tout cas, on se plaît à l'espérer.
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