Si Neil Gaiman fait partie de cette catégorie d'auteurs qu'Hollywood adapte régulièrement (avec Stardust, Coraline, Good Omens ou American Gods), le bonhomme entretient un rapport conflictuel avec l'industrie de l'image animée. Gaiman a souvent accepté de travailler avec les promoteurs du grand comme du petit écran, jusqu'à devenir son propre patron, s'occupant lui-même de certaines adaptations, tout en restant assez méfiant avec les projets de commande.
En témoigne notamment la nouvelle Smoke & Mirrors, comprise dans le recueil d'histoires courtes The Goldfish Pool & Other Stories. Ce récit particulier suit la mésaventure d'un jeune écrivain qui s'installe dans un hôtel de Los Angeles pour rédiger un scénario basé sur son propre roman, qu'un studio aimerait justement adapter. Les bizarreries d'Hollywood, l'exigence de véreux producteurs qui exigent systématiquement des corrections supplémentaires, quitte à dénaturer le fond de l'oeuvre originale, les rencontres avec des vedettes déconnectées, un ensemble assez dense sur la relation de l'écrivain solitaire Neil Gaiman contre la machine balourde et imposante du cinéma.
Le cas de son chef d'oeuvre
Sandman représente cette distanciation permanente. Depuis la fin des années 1990,
Warner Bros. tente tant bien que mal de produire une adaptation de cette saga en dépit des difficultés évidentes posées par le matériau d'origine. A force de se casser les dents, tandis que
Gaiman espérait la fidélité d'un
Peter Jackson ou la folie d'un
Terry Gilliam, le studio a fini par transitionner vers deux projets distincts :
une série télé' pour Netflix, et
une saga radiophonique pour Audible. Avec la sortie toute proche de cette version sonore,
Gaiman sera revenu sur sa hantise de voir le
Sandman devenir, un jour, un long-métrage d'Hollywood - et ce dès les premiers temps.
"Je pense que beaucoup des problèmes que certains ont pu rencontrer au moment d'essayer de faire un film Sandman, c'est que ces projets étaient arrivés trop tôt par rapport aux moyens nécessaires pour créer cet univers. Je me souviens de mon premier rendez-vous sur le sujet, je crois, en 1990, quand j'étais allé aux bureaux de Warner Bros.. Ils m'ont dit 'qu'est-ce que tu en penses, on le fait ce film Sandman ?', et je leur avais répondu 'Par pitié, non'. Et je me souviens que la productrice de Warner Bros., Lisa Henson, m'avait regardée d'un drôle d'air. 'C'est la première fois que quelqu'un entre dans mon bureau pour me demander de ne pas adapter son travail', et je lui ai répondu que c'était pourtant mon cas. S'il vous plaît, ne le faites pas, je travaille sur le comics et un film ne ferait que me compliquer la vie. Et je les en remercie, ils m'ont fichu la paix ensuite."
Quant au fait qu'une série fonctionnerait mieux, et de pourquoi Gaiman serait soudain plus intéressé par le projet fomenté par Netflix et Warner Bros. Television, le bonhomme semble plus optimiste.
"A l'époque où les gens essayaient d'écrire des scripts de Sandman pour le cinéma, on leur répondait 'mais il nous faudrait au moins 100 millions de budget pour ça, on ne va pas faire un film Rated-R à 100 millions de budget'. Donc, ça ne se faisait pas. Il fallait un format dans lequel les histoires qui durent longtemps sont un avantage et non un désavantage. Le fait qu'on ait aujourd'hui, plus ou moins, 13 livres à adapter, est une très bonne chose. Ce n'est pas un problème, cette fois ça joue en notre faveur. Et le fait est que nous évoluons dans un monde où on peut enfin adapter des choses qui n'auraient été possibles qu'en comics jusqu'ici, qu'on peut enfin les transposer dans la réalité."
A ce sujet, on se souvient que le scénariste
Eric Heisserer, auteur d'
Arrival et
Bloodshot, avait abandonné le film prévu par
Joseph Gordon-Levitt en expliquant que
Sandman était incompatible avec un format de long-métrage, et s'adapterait mieux à une série télé'. Le bonhomme aura finalement vu juste, et il est possible que
Warner Bros. ait suivi son conseil pour fomenter le projet suivant.
Pour l'heure, on se contentera déjà d'écouter l'adaptation audio' prévue sur Audible avant de s'emballer sur la série Netflix, puisqu'en dépit de l'optimisme de Gaiman, l'univers graphique dans lequel évolue le dieu des rêves risque bien de poser une difficulté aux décideurs d'Hollywood (en particulier pour cette plateforme, tristement célèbre pour ses adaptations de BDs).