Au terme de l'été passé, la double publication House of X/Powers of X s'achevait du côté des Softcovers de Panini Comics. L'introduction ambitieuse de Jonathan Hickman permettait d'établir une nouvelle donne pour l'ensemble des X-Men. Après des décennies avoir tenté de cohabiter avec l'espèce humaine et avoir subi persécutions de tous genres, Xavier, Magneto, et tout le reste des X-Men ont créé leur propre état-nation sur l'île (mutante, elle aussi) Krakoa. Le point de départ est simple : en l'échange de la reconnaissance de cette nation mutante, qui accueille sous sa protection tous les porteurs du gène X, l'espèce humaine peut bénéficier d'avantages technologiques et médicinaux inestimables.
Bien entendu, l'être humain n'aime pas avoir à négocier avec ce qu'ils ne peuvent contrôler ou ce qu'ils convoitent, et le conflit idéologique envers l'homo superior est loin d'être terminé. Pour l'aborder, Hickman ne pouvait se contenter d'un seul comicbook. Arrive alors Dawn of X, un ensemble de six titres de lancement pour aborder à peu près toutes les retombées du présent de House of X, et qui nous arrive en cet automne en deux premiers volumes chez Panini Comics.
Pour cette publication en VF, Panini a fait le choix de suivre ce que Marvel a fait, dans un premier temps, pour ses albums, suivant la parution des différentes séries en single issues. Plutôt que de collecter chaque série dans son TPB dédié, les recueils Dawn of X compilent les numéros des six comics qui en constituent le démarrage : X-Men, Marauders, Excalibur, New Mutants, X-Force et Fallen Angels. Le tome 1 comprend l'ensemble des numéros #1 de chaque série, de même pour le tome 2, et ainsi de suite. En soi, cette façon de faire n'est pas si différente du fonctionnement du kiosque en France qui depuis des décennies, compilait des numéros de séries différentes, à suivre chacune mois par mois.
La différence avec Dawn of X, c'est qu'il y a un certain Jonathan Hickman derrière le tout. En grand architecte de sa relance des X-Men, le bonhomme veille à ce qu'il y ait une cohésion d'ensemble, et surtout à ce que les intrigues de chaque série soit étroitement liées. C'est à dire qu'un fait qui intervient dans la série X-Men sera pris en conséquence dans Marauders ou New Mutants, et inversement. Il ne s'agit pas que d'easter-eggs ou de faits de petite importance : pour prendre un exemple concret, ce qui arrive dans X-Force #1 a une importance telle que la plupart des numéros du tome 2 de Dawn of X doivent faire avec.
A chaque numéro, on s'aventurera donc du côté de héros (et vilains) différents, mais la lecture de Dawn of X se montre très fluide dans la plupart des moments. Le payoff immédiat est cette sensation de voir se dérouler une intrigue de long terme, ordonnée et cohérente, que l'on aborde par de multiples ramifications. Bien entendu, certaines histoires sont plus indépendantes que d'autres, notamment quand le contexte spatial vient à changer : Excalibur de Tini Howard nous plonge littéralement dans un autre monde ; les New Mutants de Hickman et Ed Brisson voient leur intrigue séparée en deux lorsqu'une partie des protagonistes s'aventure dans l'espace ; le titre Fallen Angels est certainement celui qui se déroule le plus en dehors des principaux fils rouges. L'essentiel restant que l'univers X-Men peut, par ce format de publication, s'aborder dans son ensemble. Idéal pour les complétistes.
Sur le plan de l'histoire, on conseillera évidemment d'avoir parcouru HoX/PoX avant de se lancer dans DoX qui reprend tout ce qui a été établi vis-à-vis de Krakoa, et du fonctionnement de la nation mutante. Tout ce qui a trait au futur est pour le moment écarté ; Xavier continue sa tournée mondiale pour rallier à lui les pays et leur faire reconnaître la souveraineté de Krakoa ; Kate Pryde, qui curieusement ne peut pas traverser les portails krakoans, profite de son bateau pour aller libérer les mutants faits prisonniers des pays qui ne veulent pas reconnaître la nation mutante, alors que se jouent également des luttes intérieures dans les différentes organisations qui gèrent les échanges avec le monde extérieur. La X-Force est créée lorsque les X-Men se rendent bien compte que Krakoa n'est pas le havre de paix qu'ils auraient souhaité. Les New Mutants, on l'a dit, partent dans l'espace chercher un des leurs, quand Excalibur et Fallen Angels sont là, d'une part pour aborder le pan magique de cet univers (et quelque part, semer les graines d'un futur X of Swords) ou réunir un groupe de X-Men pour éliminer un certain Aboth.
Ce qui en ressort, c'est que les actions des X-Men sont à chaque fois conditionnées par les interactions de Krakoa avec le reste du monde. Les échanges avec le reste de l'humanité, les jeux de pouvoir en interne, le rôle d'anciens méchants (comme Apocalypse, ou Magnéto), forcés de mettre de l'eau dans leur vin pour participer au rêve de Xavier ; les escapades de Pryde pour sauver ses semblables retenus prisonniers ; voire certains mutants qui se rebellent et refusent de "rentrer dans le système". Les abords politiques sont nombreux et façonnent un socle solide sur ce qui, en vérité, est la base même des X-Men depuis leur création. C'est à dire que les idées fusent au fil des pages, tandis que les évènements s'enchaînent, alternant les moments "de vie", où les mutants doivent au quotidien se faire à leur nouveau statut, et les scènes d'action - car l'ennemi est bien présent, et plus que de raison. De surprise en surprise, la plupart des numéros apporte le lot d'inattendu nécessaire pour donner envie de poursuivre la lecture.
Ce qui ne veut pas dire que tout est excellent. Par ici, on affectionnera bien plus le titre principal X-Men, ainsi que X-Force (pour sa brutalité) ainsi que Maraudeurs (parce que Kate Pryde), peut-être parce qu'ils seront les mieux écrits et les plus imbriqués entre eux. C'est là aussi que les enjeux (géo)politiques seront les plus prononcés (pardonnez l'affinité de votre rédacteur avec ces thématiques). A côté, New Mutants apporte un peu de frais par une tonalité plus légère, et la vadrouille dans l'espace, sublimée par un Rod Reis aux planches magnifiques, qui ne sont pas sans rappeler l'excellent Bill Sienkiewicz de l'époque bénie de ce titre. Excalibur profite aussi d'un apparat graphique avec Marcus To, mais Tini Howard pêche dans son écriture, avec des ellipses ou des déplacements de personnages qui ont tendance à entraîner une certaine confusion. Fallen Angels, enfin, est le titre le plus faible du lot. Bryan E. Hill ne convainc pas avec cette traque qui n'a rien d'original, et on en est d'autant plus désolé pour Szymon Kudranski, un artiste au style marqué et que l'on trouve ici injustement sous-côté.
Ce qui permettra d'émettre un point particulier sur la solidité artistique, sur ces deux premiers tomes, de Dawn of X. L'ensemble des dessinateurs choisis pour chacun des titres se montre très bon dans l'exercice - mention spéciale pour Joshua Cassara sur X-Force, dont l'approche photo-réaliste régale les yeux sur les séquences d'action les plus brutales. On sent bien que Marvel a mis les bouchées doubles pour attirer le lectorat à force de grands noms et d'une certaine constance. Un point de détail aussi tout bête : le lettrage adopté pour chacune des séries est le même, ce qui participe également à la dimension d'ensemble cohérent et cohésif. Alors oui, on pourrait se passer d'un ou deux titres pour raconter cette grande histoire, mais il faut aussi reconnaître quand le taff' éditorial est bien mené.
On expliquait plus tôt dans le texte pourquoi Dawn of X est publié dans cet album aux allures de Softcover (ou anciennement "kiosque") de luxe. L'idée d'avoir l'ensemble de l'histoire en un seul endroit est largement compréhensible - et dans les faits, il paraît assez évident que le calcul économique de publier plutôt (mais plus tard) six albums dédiés pour chacune des séries serait beaucoup trop risqué. Alors, oui, on peut arguer que toutes les séries ne nous intéressent pas - notamment parce que tout n'a pas le même niveau de qualité. A l'inverse, on ne pourra pas reprocher ici à Panini de faire l'impasse sur quelque chose - mettons que Fallen Angels ait été par exemple écarté, il y aurait forcément eu une partie du lectorat pour s'en plaindre. La réalité est qu'il est plus que difficile de contenter tout le monde tout en ayant un modèle de publication viable (on vous rappelle que le secteur "comics" sur le marché VF n'est pas celui qui se porte le mieux). Ce qui amène également à la question du prix.
Bien que le lecteur qui arpente les rayons comics saura reconnaître que l'ensemble des albums des éditeurs a augmenté ces dernières années, avec une moyenne grosso-modo à 16€ le tome de 5/6 numéros, il est un fait que Panini Comics est au-dessus de cette moyenne, généralement de 1 à 2€. Concernant Dawn of X, l'album est vendu à 16€ pièce, ce qui représentera donc un investissement à 32€ par mois pour pouvoir tout suivre, puisque la publication va être bi-mensuelle. C'est un investissement, et il n'y aura pas lieu de le nier. En revanche, il faut aussi être honnête et reconnaître la qualité de ces albums souples - notamment en comparaison des Softcovers mensuels : le papier y est de meilleure facture, la maquette qui suit les albums VO est efficace, avec un vernis sélectif appliqué sur la couverture d'un très bel effet. Sur la VO par ailleurs, le prix proposé est strictement identique via les albums, si ce n'est que le Vol. 1 est lui (parce que plus épais) à 20€ - là, Panini aura choisi de ne pas augmenter le prix de son premier tome. L'éditeur propose aussi une édition "collector" en cartonné, pour 20€ qui, au vu de la pagination, se montre très compétitive par rapport aux autres albums cartonnés tels que ceux de la collection 100% Marvel.
On reconnaîtra donc que l'éditeur a tenté une forme d'entre deux pour satisfaire le plus grand nombre, même si ici, on pense qu'une occasion a été manquée. Il paraît évident qu'avec les coûts de fabrication, diffusion, inhérents à la production du bouquin, mais aussi (on aurait tendance à l'oublier) avec le coût de la licence Marvel qui se cache derrière chaque titre, Panini ne peut pas non plus "brader" ses titres. Malgré cela, vu le succès de HoX/PoX et des X-Men de Hickman, il paraît évident à votre rédacteur que ne pas dépasser la barre symbolique des 15€ (voire même, soyons fous, passer à 14€) aurait été bénéfique tant du côté du lectorat que de l'éditeur. A voir sur la durée si ledit lectorat saura ajuster son budget pour suivre DoX tout du long (avec dans le viseur le challenge de publication que constituera X of Swords, mais n'allons pas trop vite). Sinon, les alternatives (l'occasion, le prêt, les bibliothèques) existent également, et il serait dommage de ne pas en profiter : car Dawn of X est une bonne lecture. Il ne faudrait pas l'oublier.
HoX/PoX annonçait déjà en grandes pompes que Hickman n'était pas là pour rigoler en reprenant les X-Men à son compte. Avec ces deux premiers tome, la confirmation se fait pour qui a aimé son introduction. Dawn of X est grand, donne le sentiment d'entrer dans une épopée de long terme, qui s'aborde par de multiples ramifications diverses et variées. L'aspect politique n'est jamais négligé, mais on trouve de tout : de l'action brutale, de la magie, des jeux de pouvoir, et même des voyages spatiaux. La partie artistique se montre hyper solide, et si toutes les séries ne sont pas du même acabit sur le scénario, cette entrée en matière est on ne peut plus convaincante. A présent, il faudra tenir sur la durée !
- Vous pouvez commander Dawn of X Tome 1 et Dawn of X tome 2 à ces liens