Qui ne connaît pas Robert Kirkman ? Avec ses sagas de long court que sont Invincible ou The Walking Dead, le scénariste s'est imposé comme un modèle dans l'industrie des comics et sur le secteur indé'. Depuis des années, l'auteur s'amuse également, compte tenu de son statut, à surprendre le secteur avec des modèles de publication atypiques. L'an passé, on le voyait publier sans prévenir une nouvelle série (Die!Die!Die!) avec Chris Burnham, alors que The Walking Dead trouvait sa conclusion, là aussi sans prévenir, contre le fameux système de sollicitations américain (qui consiste à annoncer trois mois avant toutes les sorties à venir, pour que les comicshops puissent ensuite passer commande).
En 2020, Robert Kirkman jouait une fois de plus sur son terrain de prédilection. Avec Fire Power, qui le voit s'associer à l'incroyable Chris Samnee, le scénariste n'avait pas l'intention de suivre les règles. Plutôt que de sortir un premier numéro à la normale, c'est directement avec un premier album complet, servant d'introduction, que Fire Power devait démarrer sa publication. Le premier numéro devait ensuite être distribué gratuitement au cours du FCBD 2020, avec ensuite une sortie plus classique des deux premiers numéros le mois suivant.
Bon, il va sans dire que la crise du coronavirus aura fortement perturbé les plans de publications de Robert Kirkman. Par exemple, le tome "prélude" devait arriver en même temps en VO et en VF chez Delcourt, qui retrouvait là une façon de faire amusante, telle qu'opérée avec Oblivion Song (souvenez-vous : le lectorat VF avait droit au premier album alors que la série démarrait en single issue en VO). C'est finalement en cet automne que le premier tome de Fire Power, soit le fameux prélude, arrive chez l'éditeur français. S'il a fallu attendre un peu plus longtemps, qu'on se rassure : il fait parfois bon d'être patient, particulièrement dans ce cas là.
Robert Kirkman et Chris Samnee ne mentent pas un seul instant sur ce qu'ils vous vendent avec ce premier tome - et le projet fait un poil plus de sens sur le modèle de publication américain. Vu qu'il s'agit de faire une origin story très classique, il est compréhensible que le duo a préféré se passer d'une introduction dans le secteur hyper compétitif des single issues pour qu'elle soit abordée plus tranquillement en album (d'autant plus que les TPBs étant vendus en dehors du direct market, sa portée se trouve en fait amplifiée dès le départ). Le pitch suit donc : Owen Johnson, un américain d'origine chinoise, quitte son pays à la recherche de ses parents biologiques. Sa quête le mène aux portes du Temple du Poing Enflammé, une école Shaolin dédiée à l'apprentissage et la transmission de techniques de combat redoutables, dont celle de ce poing enflammé (le Fire Power du titre) a priori perdue, mais aussi convoitée par une autre école de ninjas, redoutable.
Partant de là, Kirkman déroule un récit classique qui expliquera comment Johnson parviendra, comme il est attendu, cette fameuse technique ancestrale. Tous les éléments auxquels on s'attend sont présents : les épreuves de force et de méditation ; le grand maître, son second ; l'élève rival ; le love interest alors que les relations amoureuses sont naturellement interdites. Un terreau classique sur lequel Kirkman s'appuie, tout en s'amusant de certains codes, qui permet d'apporter un poil de modernité à ses archétypes. Par exemple, le maître Wei Lun a beau être le doyen d'un temple shaolin, il ne renie pas le monde occidental, est fans de baskets à la mode, et s'enjaille toujours à retrouver un nouvel iPod. De petits détails de la sorte, qui amènent également avec eux des touches d'humour bien sentie.
La progression du récit ne cherche pas à renverser les codes pour le moment : Fire Power suit une ligne tracée par des décennies d'histoires du même registre ; mais Kirkman est un bon scénariste : aussi se prend-on au jeu rapidement. Les mystères sont nombreux : sur les parents d'Owen, sur une salle qui est interdite à tout le monde, sur le clan ennemi du temple du Poing Enflammé. Le déroulé, aussi classique puisse-t-il être perçu, n'en reste pas moins efficace, l'action prenant un tour magistral sur l'ultime acte, où Chris Samnee se donne à cent pour cent pour le grand spectacle.
De façon plus générale, il sera indéniable qu'ici l'intérêt de Fire Power est dans son artiste. Dès les pages d'ouverture, entièrement silencieuse, Chris Samnee régale dans sa composition, dans ses paysages étendus ; le cadre du temple permet une immersion réussie dans le récit. Le design des personnages va de pair avec leur personnalité et permet de bien identifier le rôle et l'importance de chacun (maître Wei Lun est décidément un sensei bien trop cool) ; les costumes des ninjas leur donnent un réel aspect menaçant. Enfin, dans l'action, Samnee se fait aussi plaisir. Le découpage accompagne le balancement des corps, les danses de coup de poings et de pied : la chorégraphie trouve une justesse avec la mise en scène ; en bref, on prend son pied. D'autant plus dans une démonstration de pouvoir attendue dès les premières pages, et sur laquelle l'artiste ne décevra pas. Reste alors un épilogue, pour emballer cette introduction satisfaisante, avec la certitude que les choses vont pouvoir s'accélérer au prochain tome.
Pourquoi faire compliqué si on peut faire simple ? Avec ce premier tome, Fire Power ne cherche pas à réinventer la roue du récit d'origine, de l'initiation d'un homme aux arts martiaux et mystiques. Robert Kirkman maîtrise ses références et les convoque dans un récit maîtrisé, classique mais moderne, qui profite surtout de la patte graphique qu'apporte un Chris Samnee très en forme. Malgré quelques personnages un peu trop esquissés, la performance artistique est une grosse plus-value, et donne une furieuse envie d'aller s'entraîner à la bagarre. Un divertissement satisfaisant, qu'il faudra maintenant confirmer avec la seconde livraison.