La promesse d'intention de la collection DC Confidential d'Urban Comics était claire dès le départ : faire découvrir à un lectorat déjà initié aux personnages de l'éditeur à deux lettres des récits marquants de son Histoire éditoriale, mais qui n'ont pas forcément pignon sur vue dès lors que l'on parle de DC de façon générale. La collection a déjà pu accueillir quelques incontournables de personnages bien connus (avec Emerald Twlight pour Green Lantern ou Longbow Hunters pour Green Arrow), et l'on attendait forcément à ce qu'un des groupes les plus iconiques, mais les moins connus en France, soit au programme. Profitant de l'arrivée du titre Legion of Super-Heroes en période Rebirth par Brian M. Bendis, le moment est tout trouvé pour proposer en parallèle un récit certainement parmi les meilleurs de la série initiale consacrée à ce groupe de super-héros. The Great Darkness Saga a tout de l'épopée épique et cosmique qui permettra à la fois de replonger dans une narration à l'ancienne, tout en découvrant ce qui fait le sel et la richesse de la Légion, le récit ayant la force de s'appuyer sur un antagoniste on ne peut plus charismatique.
Il faudra d'abord simplement définir ce qu'est la Légion des Super-Héros : un groupe de personnages qui vit au 3e millénaire (donc mille ans après notre époque), dont chaque membre dispose d'un pouvoir particulier. Il s'agit d'un ensemble de héros et héroïnes qui se caractérise par son nombre important de personnages (et pouvoirs associés), même si quelques uns s'en distinguent généralement. Notamment le trio fondateur, composé de Saturn Girl, Cosmic Boy et Lightning Lad, mais aussi de certains membres populaires, comme Dreamgirl, Mon-El ou Brainiac-5. Le rapport de la Légion à Superman, ou plutôt Superboy, est historique, puisque ce dernier avait été dépêché par le trio fondateur pour faire partie du groupe, quand bien même il vit dans une époque passée.
Ces présentations sommaires étant faites, il faudra rappeler que la Légion a été très populaire à un moment donné, notamment lorsque Paul Levitz (qui sera par la suite rédacteur en chef de DC Comics) en a repris les commandes, pour un total de plus de 180 numéros. L'arc Great Darkness Saga est considéré par toutes et tous comme le pinacle de ce run, et c'est donc forcément par celui là qu'Urban allait entamer la publication en VF de la Légion d'antan. L'idée principale est aussi assez simple. Au gré de plusieurs missions diverses, les membres de l'organisation super-héroïque se font attaquer à plusieurs reprises par des êtres formés de ténèbres, qui répondent à un mystérieux "Maître", une entité qui est sortie d'une torpeur millénaire, bien décidée à retrouver son règne dans le futur.
Point de spoiler ici puisque la menace est affichée dès la couverture, et les lecteurs d'antan pouvaient s'en douter assez rapidement : la Légion fera donc face au fil des numéros de la Great Darkness Saga à Darkseid, formidable création de Jack Kirby, tyran d'Apokolips et figure maléfique du Quatrième Monde. Réveillé après un long sommeil, le super-vilain emploie toutes les techniques possibles pour retrouver son pouvoir, et asservir les mondes qui font partie de l'Organisation des Planètes Unies, amenant par là un déluge d'action et des scènes grandiloquentes, dignes des plus grandes épopées cosmiques, même pour l'époque. Tous les membres de la Légion finissent par être mobilisés, et font usage de leurs capacités spéciales, alors que se multiplient les affrontements contre les forces des ténèbres, où que l'on assiste à la destruction de planètes entières par des peuplades de milliers de Daxamites contrôlés par Darkseid.
En se reposant sur le super-vilain ultime qu'est Darkseid, la Great Darkness Saga est d'emblée une proposition d'aventure et d'action qui ne peut que se révéler divertissante et entraînante. Les retournements de situation sont multiples, la tension grandissante au fil des chapitres, avec un climax qui laisse Keith Giffen s'amuser comme un fou sur des planches qui débordent de grandiloquence. Si vous aimez naviguer entre différentes planètes, les déplacements spatiaux, cet album de la Légion devrait vous procurer un certain plaisir de lecture, avec un charme indéniable sur le côté oldschool d'un dessin, qui a certes un peu vieilli, mais reste très lisible encore aujourd'hui. Giffen et ses quelques compères qui l'assistent réussissent à dépeindre correctement les nombreux membres de la Légion, si bien que même en tant que débutant, on identifie rapidement qui est qui, quelle importance a chacun - et si ce n'était pas le cas, n'ayez crainte, un petit guide est présent à la fin.
The Great Darkness Saga est non seulement une aventure épique, mais aussi une très bonne vitrine de ce qui a pu faire les grandes heures de la Légion sous l'égide de Paul Levitz. Avec une quantité si grande de personnages, vous pensez bien que l'important n'est pas que de suivre de grosses scènes de bagarre, mais de voir les relations se faire, se tisser et se défaire entre les divers Légionnaires ; avec aussi un côté politique omniprésent, qu'il s'agisse de la relation du groupe par rapport à l'O.P.U. et les directives qu'elle applique (par exemple, elle a interdit aux Green Lantern d'intervenir sur Terre), mais aussi en interne. Cet album notamment apporte un changement important dans la présidence de la Légion, un aspect important puisque les variations des leaders suivent aussi leur tempérament. On aborde donc ces questions de cohésion d'équipe, de prise de décision, mais aussi des éléments plus classiques (la présence d'un traître dans le groupe). De quoi mettre plusieurs couches et plusieurs sous-intrigues dans la lecture, puisque les Légionnaires doivent autant composer avec leur tâche héroïque qu'avec leurs propres aspirations personnelles, ou aux contraires leurs traumas liés à leurs activités.
On a donc un sentiment, en parcourant les aventures de la Légion, de voir une forme de soap opera young adult se faire entre les pages bien plus intenses de scènes d'affrontements cosmiques, Paul Levitz ayant bien eu conscience, en son temps, d'assurer un côté feuilletonnant à son histoire. L'album compile les numéros qui précèdent l'arc Great Darkness Saga, où l'auteur plaçait ses pions petit à petit, avec en outre l'occasion d'en découvrir plus sur le QG de l'équipe avec un Annual assez important, où toute la bâtisse de la Légion est attaquée de l'intérieur par Computo, le super-vilain cybernétique. Une narration un peu difficile sur ce passage en particulier, puisque chaque planche ou presque nous emmène dans un coin différent, avec une case omniprésente de communications qui explique la situation en haut de la planche - ce qui rend la lecture un peu lourde. Ce sera d'ailleurs l'un des principaux défauts de l'album : la narration a mal vieilli. Les dialogues, nombreux, ne sont pas tous nécessaires, Levitz est très verbeux, et il y a une façon d'écrire qui accuse le coup aujourd'hui. Certains y trouveront un charme d'époque, mais il ne faut pas s'en cacher, ça pourra en rebuter certains, et ce style d'écriture ne répond plus aux standards d'aujourd'hui.
Que cela n'empêche pas en revanche de plonger dans une saga marquante de l'histoire d'un groupe qui mérite qu'on lui accorde plus d'attention. Par ses aspects un peu soap, la diversité des protagonistes et leur richesse, le côté cosmique démesuré, et une aventure on ne peut plus épique qui oppose la Légion au plus grand super-vilain de DC Comics, The Great Darkness Saga est bien plus qu'une curiosité. Un petit monument historique qui démontre encore une fois toute l'importance de cette collection DC Confidential. En espérant que la "suite", The Curse, puisse voir le jour en VF un jour ou l'autre également...
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