Conscients de l'intérêt de capitaliser sur la nostalgie depuis quelques années, la Maison des Idées se réintéressait récemment au cas des Marvels. Différents projets, mandés à l'une ou l'autre des deux têtes pensantes de la série originale, avec quelques propositions tantôt intéressantes ou dispensables mais toujours floquées du même nom propre. En France, cette aventure éditoriale se présentait comme une bonne opportunité pour Panini Comics de republier la saga originale de Kurt Busiek et Alex Ross, complétée par l'ajout récent Marvels Epilogue, pour passer la main à une autre autre génération de lecteurs, qui était peut-être passée à côté de ce chef d'oeuvre unique en son genre.
Le cas
Marvels X est toutefois un peu différent : à la croisée des envies, la série embarque bien
Alex Ross au scénario et sur les couvertures, tout en ne répondant que partiellement à l'esprit du projet original. Le cocréateur de
Marvels va plutôt cette fois revisiter un autre pan de son épaisse bibliographie, en concevant une préquelle à la série des
Earth-X, inventée avec le scénariste
Jim Krueger et l'artiste
John Paul Leon en 1999. Futur dystopique relativement populaire (et déjà complétée par deux suites), cette continuité à part se plie aux codes des
Marvels pour un étrange résultat, agréable à l'oeil, mais relativement dispensable à l'échelle des sorties importantes de cette fin d'année (
y compris chez Panini).
La saga des Earth X marche dans les traces d'autres obsessions populaires des années 1990, en imaginant un futur dans lequel il n'existe plus que des individus dotés de capacités exceptionnelles. Moins Top 10 que Kingdom Come, la série originale se voulait ouvertement fataliste et suivait les personnages principaux de Marvel dans ce nouveau statu quo, avec un bilan humain assez chargé. La préquelle va donc forcément s'attacher à suivre la façon dont l'humanité à peu à peu laissé la place à un genre nouveau, un parterre humain victime d'une épidémie de super-pouvoirs. Les premières pages comprises dans ce volume évoquent un contexte étrangement familier compte tenu de l'année de parution, quoi que la pandémie en poste soit bien plus violente. L'esprit général du titre reste pessimiste, en essayant de caler le style Marvels dans l'équation : l'histoire est vécue par les yeux d'un personnage lambda qui narre le récit à la première personne. Le garçon David est bien sûr un amoureux des super-héros comme Phil Sheldon avant lui.
Lorsque sa famille tombe victime de la pandémie, le héros tente de rejoindre New York pour trouver un peu d'espoir auprès de ses justiciers préférés. Le voyage passe vite, pour se transformer en une joute d'idées entre un Spider-Man désabusé dans ce présent étouffant et un Daredevil étrangement optimiste compte tenu de la situation. David représente l'espoir de l'humanité : immunisé au virus en apparence, il serait l'embryon de solution pour un vaccin éventuel qui suffirait à sauver l'espèce humaine de sa nouvelle condition. Pour ceux qui auront lu Earth X, cette promesse paraît évidemment assez factice, et les lecteurs de l'original se contenteront donc de compter les points de passage obligés (comme la conversion de Luke Cage en flic du futur), en attendant de savoir où Ross et Krueger veulent en venir.
L'ouverture de chaque numéro rend un hommage superbe aux comics des années 1960, avec de belles pages de l'artiste Well-Bee, qui rentre dans le moule esthétique posé par John Paul Leon pour une belle copie d'ensemble. Le volume est beau, complet, et s'amuse à quelques folies derrière les couvertures d'Alex Ross. Le personnage de David est hélas l'une des faiblesses de Marvels X : peu attachant, souvent en décalage avec les situations et assez caricatural dans son admiration obsédée des super-héros, qu'il détaille dans toute une série de cases de narration souvent assez lourdes pour coller au prisme Marvels, David ne sonne pas vrai dans ce grand micmac de justiciers cherchant à échapper au désespoir.
Le bouquin proposera un retournement final agréable sur le rôle du petit gars dans la grande équation Earth X, mais cette narration qui cherche à rendre hommage à deux grands pans de la carrière d'Alex Ross trouve assez mal son tempo, avec de constantes allées et venues de personnages et un arc scénaristique qui ne raconte pas grand chose en dehors de ce que l'on savait déjà. Le rythme est chaotique, et quoi que le "vilain" choisi pour remplir le vide de cette intrigue pandémique offre de vraies promesses au départ, il finira lui aussi par s'échouer devant la finalité assez simple de la série Marvels X : combler un vide sur un personnage précis de Earth X, sans plus à dire ou à faire. Sans être désagréable ou repoussant, le projet manque d'ambition et se cantonne à un rôle de préquelle au sens strict.
On attrape quelques qualités au passage, depuis les dessins, la générosité de personnages, l'iconographie du vilain et quelques scènes qui fonctionnent, mais le projet Marvels X manque manifestement d'une réelle direction de fond. Il est probable que la Maison des Idées ait bêtement proposé à Ross et Krueger de concocter une extension à leur univers original sans que la question de l'intérêt réel se soit posée au fil du processus créatif. En dehors de justifier l'identité d'un des héros mystérieux de Earth X, Marvels X reste un bonus agréable pour une continuité appréciée par pas mal de lecteurs, mais n'a rien d'un indispensable, en plus de soulever le problème philosophique de ces continuations nostalgiques proposées par Marvel depuis quelques années. En l'occurrence, on conseillera plutôt les originaux de la trilogie X, et de s'attaquer à ce volume au cas où on aurait envie d'y retourner, pour caler un creux.